Information
Réouverture partielle des musées à la mi-juin, accueil des équipes artistiques dans les théâtres fin mai pour préparer la rentrée de septembre, création d’un maillage d’évènements en extérieur avec “Le Mois d’Août de la culture à Paris”, lancement d’un fonds de soutien “d’une ambition historique”, … L’adjoint chargé de la culture à la Mairie de Paris nous explique son plan de relance.
Dès son élection à la mairie de Paris, Bertand Delanoe a fait de Christophe Girard son adjoint chargé de la culture. Ce dernier imagine alors La Nuit Blanche - une nuit entière consacrée à l’art dans les lieux les plus insolites – qui sera bientôt copiée dans le monde entier. Elu maire du IVème arrondissement en 2012, Christophe Girard doit renoncer à ses fonctions. Pour les reprendre sous la mandature d’Anne Hidalgo, en 2018. Si la politique culturelle parisienne était alors peu lisible, peu visible, l’enthousiasme de Christophe Girard, son sens de la communication, comme son souci des artistes promettaient de beaux jours créatifs, malgré quelques couacs dont l’échec de la chaotique opération DAU au Châtelet en 2019. Après le choc du coronavirus et les rigueurs obligées du confinement, il explique avec son habituelle énergie, comment Paris va bientôt déconfiner arts et artistes.
Comment allez-vous procéder pour relancer la culture à Paris ?
La machine est grippée. Il faut y réamorcer la vie. En la circonstance, c’est un vrai travail d’horloger. Il faut d’abord établir un calendrier, un cadre, un cap et essayer de s’y tenir, même si nous les reverrons mois par mois. Nous avons tous besoin pour vivre de nous projeter dans un avenir, d’anticiper. L’objectif est ainsi que dès le 11 mai – première étape ! - les théâtres, les musées, les grands lieux culturels, comme par exemple le Centquatre, se mettent en conformité sanitaire pour leurs personnels. Quand tout sera en ordre, j’espère à la fin mai, on y fera revenir alors les équipes artistiques. L’idée est que nos théâtres municipaux deviennent des résidences d’artistes où ceux-ci pourront répéter, travailler dès juin – deuxième étape ! - leurs créations pour la rentrée.
Et pour les musées ?
Deuxième étape encore : les musées parisiens comme le Petit Palais, le Musée d’Art moderne devraient, eux, rouvrir partiellement à la mi-juin. Mais en privilégiant certaines de leurs salles et certaines de leurs collections pour qu’on ne dépasse jamais l’objectif de groupes successifs de 10 personnes dans l’espace public. Quant aux parcs et jardins, nous sommes en train d’en dresser des cartes, arrondissement par arrondissement, pour imaginer où l’on pourrait faire de la musique, du théâtre, des lectures. La réouverture y sera progressive en juillet – troisième étape où se preparera aussi notre grand évènement : un Mois d’Août de la culture à Paris, notre quatrième et dernière étape
Le Festival Paris l’Eté aura-t-il lieu ?
Non. En revanche, Paris Plage reprendra sur les quais de Seine, mais selon les nouvelles exigences sanitaires, et les Parisiens auront droit à ce Mois d’Août de la culture que je suis en train de mettre en place. Avec, je l’espère, la participation de tous les grands lieux culturels municipaux. On y verra des concerts, de la danse, du cinéma, des installations et des spectacles, en extérieur surtout, dans les parcs, jardins et sur de petites places. Et je n’ai pas renoncé à La Nuit Blanche début octobre.
Sous quelle forme désormais ?
Une forme ciselée et delicate. Quatre commissaires seront à la manoeuvre. Quatre conservateurs de musée : Amélie Simier qui dirige le musée Bourdelle, Jeanne Brun qui dirige le musée Zadkine, Christophe Leribault en charge du Petit Palais et Fabrice Hergott du Musée d’Art Moderne. Ils devront imaginer des évènements qu’on suivra encore par groupe de dix successifs. On y retrouvera une autre manière de vivre et de regarder l’art. La quête éperdue des records de frequentation dans les grandes expositions parisiennes de ces dernières années va être bouleversée. Je trouvais ça atroce, cette course à l’échalotte culturelle qui ne servait, en rien, à mieux regarder les oeuvres. Il faut sortir de ces critères d’industrie culturelle mais se rééduquer à voir, à être dans l’effort de la découverte, à prendre le temps de la déambulation. Les musées doivent se penser autrement qu’en termes de massification. On s’est trop abimé ainsi. Et la democratisation culturelle n’y a rien gagné. Je déteste cette formule qu’on entend tellement aujourd’hui : j’ai « fait » cette exposition. Comme un exploit sportif ! Mais ça veut dire quoi ? Sur le site de Paris Musée on peut voir gratuitement, lentement, toutes nos collections...
En termes d’enseignement artistique, quel est le nouvel agenda des conservatoires municipaux ?
Les concours d’entrée reprendront dès le mois de juin pour la réouverture en septembre, même si là aussi, selon le type d’instrument, il faudra réfléchir et s’adapter aux contraintes sanitaires.
Et les bibliothèques, les médiathèques de la ville ?
Nos bibliothèques ont mis gratuitement en ligne 20 000 livres et les demandes ont suivi. Nous discutons actuellement avec les syndicats, elles devraient être réouvertes courant juin.
Mais pensez-vous réellement que ces évènements, ces réouvertures que vous promettez puissent avoir lieu avec des contraintes sanitaires qu’on ne maîtrise pas encore ?
Toutes nos mesures en faveur de la culture et des artistes seront évidemment prises dans le strict respect de ces prochaines règles sanitaires. Comme Anne Hidalgo – qui va rendre obligatoire le port du masque dans l’espace public - je suis un légaliste. Mais soutenir coûte que coûte les artistes est essentiel, même si on sait que tout le monde ne pourra pas immédiatement retravailler. Si d’un point de vue médical les choses évoluent au mieux, si les règles sont respectées, nous veillerons à ce que - dans chaque arrondissement - tous les endroits de taille modeste puissent rouvrir. Il faut construire. On ne va pas attendre sans rien prévoir ! Et si tout le monde prend sa part, ça peut marcher. Paris redeviendra cette « ville du quart d’heure » qu’Anne Hidalgo appelait de ses voeux lors de sa campagne. Une ville où l’on trouverait tout ce dont on a besoin – lieux culturels compris - à moins de 15 minutes de chez soi, à pied ou en vélo.
Où les artistes et créateurs trouveront-ils des financements alors que les jauges des salles seront réduites par les consignes sanitaires et leurs recettes amoindries ?
Anne Hidalgo va presenter le 18 mai au Conseil de Paris la création d’un fonds de soutien d’une ambition historique. Les établissements culturels municipaux pourront y accéder selon leurs besoins. Nous tendrons même la main aux théâtres privés, cabarets, bars, avec lesquels a déjà pris contact Frédéric Hocquard, adjoint chargé de la vie nocturne.
Le Théâtre de la Ville, dont les travaux vont encore être retardés, ne pourrait rouvrir qu’en 2022-2023 ?
C’est un sujet sur lequel je travaille. Un sujet politique, dont je ne peux parler encore, car à mon sens, c’est la question de la place même du Châtelet, au coeur de la ville, qu’il faut revoir. Et repenser la place et les rôles respectifs des deux théâtres qui en sont le phare.
Comment traversez-vous personnellement cette épreuve collective ?
J’ai eu la triste expérience du sida dès les années 1980. Il a mortellement frappé deux de mes compagnons et beaucoup de mes amis. Aux côtés de Pierre Bergé – je dirigeais alors la filiale américaine de la Maison Saint-Laurent – je me suis publiquement engagé dans la lutte contre le virus, via le Sidaction et Arcad-Sida et cela a changé ma vie, ma vision du monde. Voyez d’ailleurs les artistes, les créations que cette tragédie a inspirés ou fait naître : les plasticiens Hockney et Keith Haring, les dramaturges Tony Kushner, Jean-Claude Lagarce, Bernard-Marie Koltès et au cinema, Philadelphia, Les Nuits fauves… Le coronavirus est différent, il s’attrappe non par relation sexuelle ou transfusion, mais juste en respirant ou en se déplaçant. C’est presque plus terrible.
Vous aviez juste avant l’épidémie été interrogé par la police à propos de l’affaire Gabriel Matzneff, accusé de pédophilie. On vous reproche de l’avoir protégé.
Je le connaissais comme je connais bien des écrivains qui m’envoient leurs livres et me les dédicacent. En 1986, Pierre Bergé a cru Matzneff atteint du sida et m’a demandé de l’aider financièrement, comme il aidait Copi et tant d’autres artistes. Nous lui avons loué une chambre d’hôtel comme nous en avons loué pour d’autres victimes. Tout ce qui a circulé me concernant dans cette affaire m’apparaît surtout comme une tentative de déstabilisation politique au moment où se préparaient les élections municipales.
La gratuité des spectacles, à laquelle nous avons tous accès sur Internet, jointe à la crainte de l’épidémie ne risquent-elle pas de détourner pour longtemps le public des lieux artistiques ?
Je fais le pari qu’il aura envie de soutenir les artistes. Car nous avons besoin d’eux. L’art, la culture ne sont-ils pas le remède le plus puissant qui soit pour sortir de ses gonds, se réinventer, reprendre confiance, rêver ? Tant de choses ont changé avec l’épidémie actuelle. Elle a ainsi desserré l’étau de la lutte de classes que nous vivions depuis la crise des Gilets Jaunes. Quelques métiers réputés parmi les plus modestes, mais qui se sont révélés essentiels – aide-soignants, caissières, éboueurs - ont ainsi retrouvé leur dignité. Alors pourquoi ne nous rendrions-nous pas enfin compte de l’importance de la l’art dans nos vies ? Ne jamais abandonner la parole du poète, c’est une de mes lignes de conduite. J’aimerais que ce soit celle de la ville de Paris.