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Qui sont selon vous les « catholiques complotistes » ?
Jean-Loup Adénor : La crise du Covid-19 a mis en lumière le discours complotiste de certains groupes catholiques minoritaires, en particulier des traditionalistes ou intégristes. Le parti Civitas en est le meilleur exemple, ses membres ont manifesté devant des vaccinodromes, et sa revue a évoqué une « plandémie satanique », un vocabulaire particulièrement complotiste. Pour son président, le vaccin est au service d’un projet mondialiste visant à asservir les peuples.
L’aumônier de Civitas est un capucin de Morgon, une communauté non reconnue par l’Église catholique, et il provient de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Cette dernière est justement particulièrement opposée aux vaccins. Cette opposition se nourrit d’une sacralisation du corps, sur lequel toute intervention humaine est proscrite. Plusieurs personnes qui ont grandi dans des familles très engagées chez les lefebvristes nous ont parlé de la « peur » des vaccins dans laquelle elles ont été élevées.
À la FSSPX, ce discours sur les vaccins est assumé publiquement ?
Timothée de Rauglaudre : Pour ce qui est de la FSSPX, le discours de façade semble respectueux de la science et du vaccin. La Fraternité entretient des relations plus ou moins tendues avec le Vatican selon les périodes mais veut se montrer respectable. Elle a tout de même appelé publiquement à « changer les vaccins » pour lesquels ont été utilisées des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés, considérant contrairement à Rome que « celui qui fabrique ce vaccin ou le commercialise coopère au péché d’avortement ».
Mais, derrière ce discours, les témoignages que nous avons rassemblés montrent que lorsque l’on grandit dans des familles proches de la Fraternité, on est vraiment incité à ne pas se vacciner. Il y a aussi l’idée que celui qui suit les préceptes de la FSSPX, s’il mène une vie bonne et morale, ne tombera pas malade.
J.-L. A. : Ce qui est passionnant, c’est que le Covid-19 a été l’occasion d’une véritable convergence entre ce discours intégriste et celui du milieu très différent de l’écologie New Age. Dans les manifestations les plus virulentes, on a pu croiser des praticiens en médecine naturelle à côté d’un cortège Civitas et ses drapeaux du Sacré-Cœur de Jésus. On trouve d’ailleurs chez certains gourous du mouvement antivax un fond chrétien, comme Thierry Casasnovas qui est un chrétien évangélique.
Pierre Barnérias, le réalisateur du documentaire complotiste Hold-up, avait déjà réalisé d’autres documentaires pour KTO. Dans Hold-up, il donne d’ailleurs la parole à la généticienne Alexandra Henrion-Caude, véritable icône du mouvement antivax. Avant la pandémie, elle était déjà connue comme une scientifique chrétienne, demandant par exemple à l’Église catholique de reconnaître l’existence de l’âme dès la conception.
Et l’Église catholique, quel est son discours sur le vaccin ?
T. R. : L’Église catholique n’a jamais eu de texte magistériel qui condamne la vaccination, contrairement à une légende entretenue au XIXe siècle par la gauche anticléricale, qui voulait faire passer l’Église pour une institution obscurantiste. Bien au contraire, au moment des premières campagnes de vaccination, les curés étaient en première ligne pour diffuser les vaccins. Lorsque le pape François parle du vaccin comme « acte d’amour », et critique sur cette question les cardinaux « négationnistes », il s’inscrit dans la tradition de l’Église.
Qui sont les chrétiens opposés à la vaccination obligatoire ? D’où provient ce discours chrétien anti-vaccin alors ?
T. R. : Historiquement, s’il faut chercher une origine à ces discours chrétiens complotistes sur la vaccination, c’est plutôt dans le puritanisme protestant. Parmi les premières critiques de « l’inoculation », on trouve au XVIIIe siècle le pasteur protestant Edmund Massey qui compare la variolisation à « une opération diabolique qui usurpe une autorité, qui n’est fondée ni sur les lois de la nature ni sur la religion ».
Les premières ligues anti-vaccination en Angleterre recrutent essentiellement dans des milieux protestants minoritaires. C’est amusant de voir Civitas prétendre avec son discours anti-vaccinal être au plus proche de la tradition catholique, alors qu’il s’empare en réalité d’un héritage protestant minoritaire.
L’ordre de mission de la commission Bronner évoque le danger des « bulles » complotistes mais également les « dérives sectaires », ce second phénomène touche-t-il aussi les chrétiens ?
J.-L. A. : Il faut bien différencier le complotisme, qui est une forme déviante de pensée humaine, et les dérives sectaires, où surgissent des notions d’emprise, de communauté fermée avec des formes d’abus… Les deux se nourrissent mais doivent être bien distingués.
Aujourd’hui, les associations de lutte contre les dérives sectaires sont très attentives au développement de certaines Églises évangéliques qui installent en France des megachurches. Les évangéliques du CNEF sont eux-mêmes inquiets du succès du mouvement néo-pentecôtiste et de son évangile de la prospérité.
Le Covid-19 a là aussi révélé un rapport très distant à la raison. Le pasteur Yves Castanou de l’Église Impact centre chrétien a expliqué qu’aucune maladie ne pouvait l’atteindre et que le meilleur remède contre les symptômes du Covid-19 était l’imposition des mains.
T. R. : Un sujet d’inquiétude qui demeure aussi concerne les communautés nouvelles qui ont connu des scandales d’abus spirituels ou sexuels. Certaines ont entamé un chemin pour établir la vérité sur ce qui s’est passé et en sortir, mais d’autres restent fermées à tout regard critique. Il peut y avoir un manque de discernement chez certains évêques, qui malgré des témoignages précis continuent de soutenir ces communautés, car ils voient avant tout le rôle qu’elles jouent dans un contexte de déchristianisation.
L’épiscopat a pourtant mis en place une cellule chargée des dérives sectaires…
T. R : Oui, d’ailleurs, en France, l’Église est la première à s’être intéressée aux mouvements sectaires, dans une logique d’étude de courants minoritaires. Les associations de lutte contre les dérives sectaires sont aussi très investies par des catholiques. Dans les années 1970, face à la montée de mouvements comme l’Église de l’Unification du révérend Sun Myung Moon, qui recrute les enfants de familles bourgeoises à la sortie de la messe.
Les premières Associations de défense des familles et de l’individu sont créées par ces mêmes familles. Les ADFI sont encore un pilier de la vigilance anti-sectes en France, avec l’Avref (Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles) par exemple.
(1) Le Nouveau Péril sectaire, Jean-Adénor et Timothée de Rauglaudre, Robert Laffont, 2021, 21,50 €.