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Covid-19 : où en sont les vaccins développés par la Russie et la Chine ?
Par Florian Gouthière 18 décembre 2020 à 07:21
Bien que très peu de données sur l’efficacité ou la sûreté de ces vaccins aient été rendues publiques, ceux-ci sont déjà déployés dans les pays promoteurs. Ils sont également en passe d’être utilisés dans plusieurs pays tiers.
Question posée le 09/12/2020
Bonjour,
De nombreuses questions portant sur la sûreté et l’efficacité des vaccins développés en Russie et en Chine nous sont parvenues. Alors que des données détaillées relatives aux essais des vaccins Pfizer, AstraZeneca ou Moderna ont été mises en ligne ou publiées, il n’en est pas de même pour ces autres produits pharmaceutiques.
A l’heure actuelle, seuls quelques communiqués de presse informent sur l’efficacité alléguée de vaccins russes et chinois, sans que les résultats détaillés des essais phase 3 (évaluation de l’efficacité) ne soient encore portés à la connaissance du public.
Spoutnik V, le vaccin russe
Spoutnik V est un vaccin développé par l’Institut de recherche russe Gamaleya. Son nom fait référence au premier satellite à avoir ramené vivants des animaux après un séjour en orbite.
Comme pour le vaccin d’AstraZeneca (et l’un des vaccins développés en Chine), il s’agit d’un vaccin à vecteur viral non répliquant. Autrement dit, on utilise un virus non pathogène pour l’homme, reprogrammé pour exprimer à sa surface la protéine «spike» du Sars-CoV-2, afin d’entraîner une réaction immunitaire. Il s’administre par voie intramusculaire en une seule dose.
Les résultats des essais des phases 1 et 2 (menés sur un très petit nombre de personnes, et destinés à évaluer la tolérance des doses vaccinales et l’existence d’une réaction immunitaire significative) ont été publiés début septembre dans la revue The Lancet. Seuls des effets indésirables attendus ont été observés (élévation de la température corporelle, maux de têtes, fatigue, douleurs musculaires et articulaires).
Un essai de phase 2 (sur 110 participants), et deux essais de phase 3 (respectivement sur 40 000 volontaires en Russie et 100 en Biélorussie) sont encore en cours. L’essai le plus important doit s’achever début mai 2021. Des résultats préliminaires ont été diffusés par voie de communiqué durant l’automne. Selon les dernières annonces en date, supposément basées sur l’analyse de 22 714 volontaires suivis sur trois semaines, le taux d’efficacité de ce vaccin serait de 91.4% (avec l’absence de formes graves de Covid recensées sur cette période dans le groupe vacciné). Comme c’était le cas avec les annonces de Pfizer, AstraZeneca ou Moderna au mois de novembre, ces déclarations doivent être considérées avec prudence, dès lors que le détail des données n’a pas été soumis à l’examen de la communauté scientifique. Quand bien même ces résultats venaient à être confirmés, on rappellera qu’un essai ne permet qu’une estimation du taux d’efficacité réelle, que ce taux dépend fortement de la composition de la population étudiée et qu’il ne préjuge pas du caractère durable de la protection contre la maladie.
D’autres essais de petite envergure ont également été planifiés au Brésil, en Hongrie en Inde et au Venezuela.
Le ministère de la Santé russe a officiellement homologué le Spoutnik V en août 2020, lui conférant le statut de «premier vaccin contre le Covid-19 au monde». Contrastant fortement avec les pratiques réglementaires européennes ou étasuniennes, des campagnes de vaccination ont débuté en Russie avant que l’évaluation de l’efficacité de ces différents produits ne soit achevée. Début septembre, le gouvernement russe a ainsi annoncé que les premiers vaccins à destination des populations civiles avaient été produits, dans une version pour adulte et une version pédiatrique, «moins réactogène». Une campagne de vaccination «de masse» a été annoncée le 2 décembre, impliquant dès les premiers jours 70 établissements hospitaliers à Moscou.
Certains Etats ont d’ores et déjà annoncé souhaiter se procurer des doses de Spoutnik V, parmi lesquels la Hongrie, l’Inde ou le Venezuela. Le prix du vaccin a été annoncé en dessous de 10 dollars (8 euros). Un accord de production a été signé fin novembre avec un industriel indien pour la production d’au moins 100 millions de doses dans le sous-continent. La production pourrait également avoir lieu au Brésil, en Chine, et Corée du Sud.
Les vaccins chinois
Quatre projets de vaccin sont particulièrement avancés en Chine. Deux d’entre eux sont menés par l’entreprise publique Sinopharm, respectivement en association avec l’Institut des produits biologiques de Wuhan (WIBP) et celui de Pékin (BIBP). Parallèlement, deux entreprises privées, Sinovac Life Sciences et CanSino Biologics, finalisent le développement de leurs propres vaccins et ont déjà débuté des essais d’efficacité de grande envergure.
Les vaccins de Sinopharm et le vaccin de Sinovac utilisent un virus inactivé (Sars-CoV-2 dont on a inhibé les capacités d’infection et de réplication). Le vaccin de CanSino Biologics est, comme celui d’AstraZeneca ou le Spountik V, un vaccin à vecteur viral non répliquant.
Comme en Russie, des campagnes de vaccination ont commencé en Chine avant que l’évaluation de l’efficacité de ces différents produits ne soit achevée. Actuellement, le pays dénombre (officiellement) 86 000 cas de Covid, dont 4 634 décès. Avec la décrue de l’épidémie en Chine, l’essentiel des essais de phase 3 en cours est réalisé dans d’autres pays parmi lesquels l’Argentine, le Brésil, le Chili, les Emirats Arabes Unis, l’Indonésie, le Maroc, le Mexique, la Turquie, le Pakistan, le Pérou ou la Russie. Plus de 100 000 volontaires de par le monde sont actuellement enrôlées dans ces essais. Des accords commerciaux ont d’ores et déjà été noués avec d’autres pays, parmi lesquels la Jordanie.
Vaccins Sinopharm
Les deux vaccins développés par Sinopharm à Wuhan et à Pékin s’administrent par voie intramusculaire en deux injections espacées de deux ou trois semaines. Les données intermédiaires sur les essais de phases 1 et 2 de ces deux vaccins ont été respectivement publiées mi-août dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) et mi-octobre dans The Lancet. Ces publications suggèrent chacune un faible taux d’événements indésirables, ainsi que l’existence d’une réaction immunitaire post-vaccinale.
Deux essais de phase 3 ont été enregistrés pour Sinopharm/WIBP, le premier portant sur 15 000 volontaires aux Emirats Arabes Unis, le second sur 600 participants au Maroc. Le second vaccin est également expérimenté sur 15 000 volontaires aux Emirats, mais également sur 3 000 personnes en Argentine. Un essai international des deux formules a été lancé auprès de 45 000 volontaires répartis entre le Bahreïn, l’Egypte, la Jordanie et les Emirats. Le Pérou conduit également un essai des deux vaccins sur son territoire, dans un essai impliquant de 6 000 à 12 000 volontaires. Ce dernier essai a été suspendu la semaine passée, suite à l’apparition d’un syndrome de Guillain-Barré chez l’un des participants, sans que l’on sache pour l’heure s’il faisait partie d’un des groupes vaccinés ou du groupe contrôle (placebo).
Le 9 décembre, les Emirats ont présenté par voie de communiqué une estimation de l’efficacité du vaccin codéveloppé avec l’institut de Pékin, basés sur une analyse préliminaire des essais menés sur son territoire. Une efficacité de ce vaccin de l’ordre de 86% a été annoncée, de même qu’une «efficacité de 100% dans la prévention des cas modérés et graves de la maladie», ainsi que l’absence «de problèmes sérieux de sécurité». Les précautions face à de telles annonces, rappelées plus haut, s’appliquent là encore, les études n’ayant pas été publiées.
Sinopharm annonçait dès mi-septembre avoir administré ses vaccins – hors essais cliniques – à plus de 100 000 personnes sur le territoire chinois au cours de l’été. Mi-novembre, ce chiffre était officiellement porté à un million de personnes. De nombreux personnels soignants, diplomates et employés des douanes auraient ainsi reçu le vaccin, de même que les salariés des laboratoires qui développent ces produits (selon Sinovac, cela concernerait près de 90% de ses employés).
Une première livraison de doses du vaccin codéveloppé avec Pékin a déjà été effectuée durant la seconde semaine de décembre en Egypte. Le Bahreïn a également commandé des doses, destinées à être distribuées gratuitement auprès des citoyens qui en feraient la demande.
Vaccin CoronaVac de Sinovac
Le vaccin développé par Sinovac Life Sciences s’administre par voie intramusculaire en deux injections espacées de quinze jours. Il s’agit d’un vaccin avec adjuvant (hydroxyde d’aluminium). Des données de sécurité rassurantes ont été publiées mi-novembre dans The Lancet, suite à un essai de petite envergure mené dans la province du Jiangsu (au nord de la municipalité de Shanghaï). Quatre essais de phase 3 sont actuellement enregistrés, qui impliquent respectivement 13 000 participants au Brésil, 13 000 en Turquie, 1 040 dans le Jiangsu et un nombre non précisé de volontaires en Indonésie.
L’essai brésilien a été brièvement interrompu début novembre suite au décès d’un volontaire, décès finalement déclaré sans lien avec l’expérimentation. Le 14 décembre, l’Agence nationale de sécurité sanitaire brésilienne (Anvisa) a émis des critiques publiques sur la qualité des informations qui lui étaient transmises par la Chine. «Le Brésil est le leader international dans le processus d’évaluation de CoronaVac. Le vaccin dispose d’une autorisation d’utilisation d’urgence en Chine depuis le mois de juin de cette année. Les critères chinois pour l’octroi d’une autorisation d’utilisation d’urgence ne sont pas transparents, et il n’existe aucune information disponible sur les critères actuellement utilisés par les autorités chinoises pour prendre ces décisions.»
On notera toutefois que cette agence gouvernementale compte désormais en son sein plusieurs représentants du parti du président Bolsonaro, très critique à l’égard des collaborations avec les laboratoires chinois. De son côté, João Doria, gouverneur de São Paulo et opposant à Bolsonaro, a déclaré que les données d’efficacité des essais réalisés au Brésil seraient rendues publiques le 23 décembre.
Le Coronavac a fait l’objet de précommandes dans certaines provinces du Brésil, au Chili, en Indonésie, à Singapour et en Turquie. Le 12 décembre, le ministère de la Santé égyptien a annoncé avoir conclu un accord avec Sinovac pour que les doses de Coronavac destinées au continent africain soient produites dans son pays. Le coût des deux doses de ce vaccin est estimé autour de 60 euros.
Vaccin développé par CanSino Biologics
Le vaccin développé par CanSino s’administre par voie intramusculaire en une seule dose. Les résultats des essais de phase 1 et de phase 2 ont été publiés. Deux essais de phase 3 sont toujours en cours. Ils impliquent 40 000 participants répartis entre l’Argentine, le Chili, le Mexique, le Pakistan et la Russie et 500 patients en Russie. Ce vaccin a été approuvé en Chine pour usage militaire dès le 25 juin. Les résultats définitifs de ces essais ne sont pas attendus avant fin 2021.
Parmi les autres projets en cours de développement en Chine, on peut citer le projet de vaccin ARNm «ARCoV» développé conjointement par l’Académie des sciences militaires, les laboratoires privés Walvax Biotechnology et Suzhou Abogen Biosciences. Selon les promoteurs de ce projet, ce vaccin à ARNm serait stable à température ambiante, contrairement à ceux de Pfizer ou de Moderna.
Courant octobre, la Chine a rejoint le projet Covax lancé par l’Organisation mondiale de la santé, destiné à financer l’accès au vaccin pour les pays les plus pauvres.
Florian Gouthière - Libération