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La recherche française distancée par les labos privés
LA FRANCE sera équipée en vaccin contre le Sars-CoV-2 dès que ceux-ci seront approuvés par les autorités sanitaires, et certains scénarios très optimistes tablent sur de premières campagnes de vaccination (très ciblées) avant la fin de l'année. Mais pour assurer sa couverture vaccinale, le pays s'appuie sur l'Union européenne et une stratégie commerciale plus que sur sa politique de recherche. Car la recherche française semble distancée par les Pfizer, Moderna et autre Sinovac.
« Développer un vaccin, le commercialiser, est désormais un enjeu industriel, confirme Christophe d'Enfert, directeur scientifique à l'Institut Pasteur. Ce n'est donc pas surprenant que les projets les plus prometteurs soient portés par des grands laboratoires. »
« Il y a un problème de souveraineté en France dû à un investissement trop timoré dans la recherche, expliquait fin août au Figaro Marie-Paule Kieny, virologue et présidente du comité Vaccin-Co-vid-19. Nous nous sommes trop reposés sur les industriels. C'est une des leçons qu'il faudra tirer de cette crise. » Les locomotives françaises dans cette course internationale sont l'Institut Pasteur et le laboratoire Sanofi Pasteur (branche vaccins du groupe Sanofi). Ils ne bénéficient que de leurs financements propres (certains liées à leurs partenariats) et de ceux issus de programme internationaux comme le Cepi (coalition internationale entre les organisations publiques et privées) ou Covax (collaboration de l'OMS qui vise à faciliter l'accessibilité du vaccin). « Les États-Unis bénéficient d'une structure extrêmement efficace, le Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority, NDRL), qui permet un financement rapide et réactif des projets, explique Jean Lang, vice-président, recherche et développement de Sanofi Pasteur. C'est un manque au niveau européen. Pendant la crise, il a pu être en partie comblé grâce aux précommandes. Mais il serait souhaitable que l'UE se dote d'une structure similaire. »
L'Union européenne a en effet précommandé 300 millions de doses d'un des vaccins en cours de développement par Sanofi. « Il s'agit d'une technologie utilisée contre la grippe et développée par les Britanniques de GSK avec qui nous travaillons, explique Jean Lang. La « version” contre la grippe vient tout juste d'être approuvée, ce qui montre que la technologie fonctionne. Pour la “version” contre le Covid-19, nous avons lancé les deux premières phases de test il y a plusieurs semaines et nous espérons lancer la troisième et dernière phase d'ici fin décembre. »Le laboratoire français travaille aussi depuis avril avec les Américains de Translate Bio sur un vaccin encore en phase préclinique et basé cette fois sur la technologie ARN, la même que Moderna et BioNtech.
Stratégies vaccinales
De son côté, l'Institut Pasteur (qui contrairement au laboratoire Sanofi Pasteur n'est pas un laboratoire de production) a signé un accord avec le géant américain Merck (MSD en Europe). « Nous avons fait le choix de partir sur une technologie que nous maîtrisons bien, explique Christophe d'Enfert. Nous utilisons la même plateforme (type de vaccin, NDLR)que contre le chikungunya et le Mers à partir du vaccin contre la rougeole. Mais pour mettre en place les phases 2 et 3 des tests et envisager sa distribution à grande échelle, disposer d'un nouveau partenaire plus important est un avantage. » L'idée d'utiliser le vaccin rougeole pour développer des vaccins contre d'autres maladies a été lancée dans les années 2000 par un scientifique de l'Institut, Frédéric Tangy. Il sert alors de transporteur, auquel on adjoint les informations pour la protéine de spicule du Sars-CoV-2. La première phase clinique a été lancée en août, mais le géant américain a pris la main sur le protocole et refuse de commenter les essais en cours. Tout juste concède-t-il le fait d'être « en phase avec le calendrier prévu. (…) Nous pourrons avoir plus de recul sur les résultats début 2021. »
Deux autres projets défendus par l'Institut Pasteur sont encore en phase préclinique. L'un est un vaccin à ADN, une plateforme assez proche de celle de Pfizer et Moderna, mais qui présente l'avantage d'être un peu plus stable. Le second, développé avec le laboratoire TheraVectys, est un vaccin par voie intranasale qui a montré des résultats prometteurs sur l'animal. « Il présente l'avantage de solliciter l'ensemble du système immunitaire, juge Pierre Charneau, responsable de l'unité de virologie moléculaire et de vaccinologie de l'Institut Pasteur. Ce qui devrait garantir une protection plus stable sur le long terme, quand les vaccins à ARN vont surtout stimuler la production de certains anticorps. Mais l'optimisation d'un vaccin en modèle animal est lente et complexe, et nous n'avons pas beaucoup de financement. »
Le ministère de la Recherche a décidé de soutenir directement trois autres projets à hauteur de 3 millions d'euros. Des vaccins qui ne devraient pas entrer en phase d'évaluation clinique avant 2021. Parmi eux, celui développé par le Pr Jean-Daniel Le-lièvre, immunologiste à l'hôpital Henri-Mondor (AP-HP, Créteil) et par le Vaccine Research Institute, laboratoire d'excellence créé par l'Agence nationale française de recherche sur le sida et les hépatites virales et l'université Paris-Est Créteil. « On se place dans une stratégie vaccinale de deuxième vague, explique le scientifique. Les premiers vaccins disponibles ne seront peut-être pas les plus performants, mais ils seront indispensables pour répondre à l'urgence et aideront à stopper l'épidémie. Ensuite la demande sera différente. »
Car c'est un point sur lequel tout le monde s'accorde : il y aura de la place pour tous. Certaines technologies peuvent être très rapides à mettre au point, mais coûter extrêmement cher quand il faudra produire un vaccin à grande échelle. Ainsi, les vaccins à ARN sont très fragiles et nécessitent une conservation entre - 20 et - 80 °C. Ils imposent donc une logistique assez lourde, quand les vaccins grippe ou rougeole se conservent à 2 ou 3 °C.