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Le Japon a - t - il trouvé la recette miracle pour contenir l'épidémie ?
Malgré une population de 126 millions d'habitants en moyenne très âgée, le Japon n'a enregistré, au total, que 400 décès liés à l'épidémie de covid-19. Si sa stratégie de dépistage étonnamment limitée et la qualité de sa réponse hospitalière ont pour l'instant fonctionné, les spécialistes et le gouvernement refusent de crier victoire.
Alors qu'elles identifiaient chaque jour, début avril, près de 200 nouvelles contaminations au covid-19 à Tokyo et souvent plus de 600 à l'échelle nationale, les autorités médicales japonaises n'ont découvert mardi que 112 infections dans la capitale pour un total national d'à peine 275 nouveaux cas sur une population de 126 millions d'habitants.
Si le pays ne pratique que très peu de tests - moins de 10.000 par jour - et n'a donc aucune idée du nombre réel d'infections, il n'a, jusqu'ici, pas connu d'envolée des décès liés au coronavirus, comparable à celles vécues en France, en Italie, en Belgique et aux Etats-Unis. Malgré une population extrêmement âgée sensible aux maladies pulmonaires, la maladie n'a fait, depuis la découverte du premier cas sur son territoire fin janvier, que… 400 morts.
Les autorités nippones et les médecins refusent toutefois de crier victoire et continuent d'appeler la population à respecter les règles de distanciation sociale et le confinement volontaire, notamment au moment où la « Golden Week », les grands congés de printemps, débute dans le pays. Le gouvernement qui va maintenir, au moins jusqu'au 6 mai, un « état d'urgence », a demandé aux entreprises de recourir au maximum au télétravail mais n'a pas le pouvoir d'imposer de fermetures et soutient même l'ouverture, dans une politique confuse, des restaurants et de la plupart des commerces. « Il est toujours très difficile de savoir ce qui se passe exactement au Japon », met en garde le professeur Kenji Shibuya, directeur de l'Institut sur la Santé des Populations au King's College de Londres. « A Tokyo, nous pourrions toujours être en phase d'infection explosive », assure le médecin qui pointe le dépistage extrêmement limité.
Identifier les cas graves
Depuis le début de la crise, les autorités ne se concentrent que sur l'identification des cas graves et l'étouffement des différents foyers d'infections. Elles refusent délibérément d'identifier les asymptomatiques ou de contrôler les personnes ne souffrant que de symptômes modérés pour ne pas être contraintes, comme le prévoit la loi pour les cas positifs, de prendre en charge tous les infectés dans des hôpitaux déjà surchargés par les 13.700 cas recensés. « Les hôpitaux sont notamment surchargés car les régulations interdisent de laisser sortir des patients guéris tant qu'ils n'ont pas eu deux tests négatifs », regrette Kentaro Iwata, un spécialiste des maladies infectieuses à l'Université de Kobe.
Si ces spécialistes critiquent la stratégie gouvernementale, ils ne croient pas à une sous-estimation massive ou délibérée des décès. « Nous ne voyons pas les gens mourir soudain de causes indéterminées dans les hôpitaux », assure Kentaro Iwata, même si Kenji Shibuya relève dans les statistiques de Tokyo une très légère hausse du nombre décès par rapport à la courbe théorique des morts anticipée par les démographes. « On le voit surtout depuis la mi-mars et la fin de l'épidémie de grippe sur le territoire », détaille-t-il.
Des hôpitaux solides
Habitué à gérer des millions de cas de pneumonies par an, le système médical semble tenir bon. « Le faible nombre de décès est lié à la bonne réponse dans les hôpitaux et à la qualité de nos soins », assure Yoshitake Yokokura, le président de la Japan Medical Association qui pointe notamment l'utilisation efficace sur les cas les plus critiques des systèmes d'oxygénation par membrane extracorporelle, connus sous le nom d''ECMO'. Des machines très sophistiquées et coûteuses qui semblent offrir des meilleurs taux de survie que les simples respirateurs. L'archipel en compte 1.412. « Du fait de la stratégie d'identification des foyers, nous avons aussi réussi à éviter une explosion des cas qui aurait déstabilisé le système médical », insiste le médecin.
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Des médecins estiment aussi que le virus se serait propagé moins rapidement dans une population très soucieuse de son hygiène et où les contacts physiques sont rares. Les habitants ne se serrent pas la main, ne se font pas la bise et ne pratiquent pas l'embrassade. Dans les métros bondés, ils restent aussi silencieux et projetteraient donc peu de particules éventuellement contaminées.
Pour certains commentateurs, le port du masque généralisé dans les espaces publics pourrait aussi avoir été favorable même si les spécialistes nippons s'interrogent sur son efficacité réelle. « Je pense toutefois qu'il va falloir encore attendre quelques jours avant de se prononcer sur la réalité de la baisse de la courbe des contaminations. Le nombre de tests reste trop faible pour tirer aujourd'hui des conclusions », avance Yoshitake Yokokura, qui anticipe un allongement de l'état d'urgence au-delà du 6 mai.
Yann Rousseau
Les Echos