Comment le « P4 » de Wuhan , exporté par la France , a échappé à tout contrôleÀ l'époque, la livraison du laboratoire avait été critiquée par de nombreux spécialistes.
ET SI LE COVID-19 s'était échappé du laboratoire P4 de Wuhan au lieu d'être apparu, comme le prétendent les autorités chinoises, sur un marché ? Et s'il s'était répandu dans la population à la suite de l'infection accidentelle d'un employé ? Si la théorie du complot, celle d'un virus fabriqué par les chercheurs chinois, développée par le P r Luc Montagnier, a été écartée par tous les spécialistes sérieux, la thèse d'un accident est étudiée par les services de renseignements américains. Elle est entretenue par le fait que les autorités chinoises n'ont pas rendu public le résultat de leur enquête épidémiologique et par le fait qu'elles aient empêché toute investigation de l'OMS et d'experts étrangers à Wuhan.
L'affaire, soulevée par le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, qui a évoqué une « enquête » pour creuser cette théorie, a peut-être aussi été indirectement évoquée par le chef de la diplomatie britannique Dominic Raab, qui considère que la Chine doit répondre à des « questions difficiles » et par Emmanuel Macron pour qui « à l'évidence, des choses se sont passées là-bas dont nous n'avons pas connaissance ». Elle embarrasse d'autant plus Paris que le P4 de Wuhan, un laboratoire de très haute sécurité biologique destiné à l'étude de virus pathogènes pour lesquels n'existe ni vaccin ni traitement, a été exporté par la France. Et qu'à l'époque déjà, cette coopération très sensible avec les autorités sanitaires chinoises avait créé des tensions dans l'Hexagone.
En 2004, comme le raconte l'enquête très fouillée de la cellule investigation de Radio France, Jacques Chirac et le président chinois Hu Jintao décident de s'associer pour lutter contre les maladies infectieuses émergentes. Dans la foulée, l'accord sur le transfert d'un laboratoire P4 est signé par le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier. Auparavant, le premier ministre Jean-Pierre Raffarin était allé rencontrer le médecin Chen Zhu, formé à l'hôpital Saint-Louis et proche de l'ancien président chinois Jiang Zemin. Un an plus tôt, la Chine avait été victime du Sras, le syndrome respiratoire aigu sévère. « Certains pensaient qu'il fallait absolument aider les Chinois à travailler sur ces nouveaux virus. Et surtout leur permettre de le faire dans de bonnes conditions, d'éviter qu'ils oeuvrent seuls, sans le matériel adéquat ni les connaissances indispensables à ce type de manipulations. Bref, il fallait les empêcher de bidouiller dans leur coin », explique un haut fonctionnaire qui a suivi l'affaire de près.
Mais le projet est loin de faire l'unanimité en France. Raffarin et Chirac sont pour. Une partie du corps médical, dont Bernard Kouchner, aussi. L'industriel pharmaceutique Alain Mérieux également, qui préside le comité de pilotage avec son homologue chinois le D r Chen Zhu. Mais les spécialistes de la non-prolifération, aux Affaires étrangères et à la Défense, de même que le SGDSN, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et les milieux de la recherche, sont réticents. Les uns redoutent que le P4 puisse se transformer en arsenal biologique. Les autres font valoir que contrairement aux sites nucléaires ou chimiques, il n'existe pas de contrôle international pour ce type de matériel sanitaire sensible.
Manque de transparence
Ils notent le manque de transparence sur l'utilisation qui a été faite par la Chine des laboratoires mobiles P3, dont les règles d'exportation sont moins sévères, livrés par le gouvernement Raffarin juste après l'épidémie de Sras. Ceux qui traînent des pieds s'inquiètent, comme le rappelle l'un des acteurs de l'époque, « de la difficulté d'apprentissage » des Chinois, de leur « opacité » et des « résistances » qu'ils opposent au projet de coopération bilatérale voulu par les Français. « Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'un P4, c'est comme une usine de retraitement nucléaire. C'est une bombe atomique bactériologique », poursuit la même source. Les virus qui sont testés, comme Ebola par exemple, sont extrêmement dangereux. Les procédures de sécurité - scaphandres, sas de décontamination...- doivent être respectées à la lettre.
Les hommes politiques ont arbitré en faveur du projet, contre l'avis des spécialistes. Le chantier a été terminé en janvier 2015 et la mise en exploitation du laboratoire a coïncidé, en janvier 2018, avec la première visite d'État d'Emmanuel Macron à Pékin. « Les choses ont beaucoup traîné mais Paris a fini par donner son feu vert. À l'époque, nous étions engagés dans d'autres projets avec les Chinois, comme un centre de retraitement de déchets radioactifs, des contrats de vente d'Airbus. Contrairement aux États-Unis, la France, qui n'est qu'une puissance moyenne, n'a pas les moyens d'arrêter un projet car elle ne peut assumer les rétorsions économiques qui s'en suivraient », affirme un spécialiste. Il poursuit : « Nous sommes vulnérables. Les Chinois cherchent à s'approprier notre technologie. Et nous allons parfois plus loin que nous le devrions de peur d'être victime d'un chantage ». Les autorités, poursuit un diplomate, « ont pêché par innocence. Elles ont cru qu'on pouvait faire confiance aux Chinois ». Le dossier, ajoute-t-il, « a toujours été compliqué. On se donnait des assurances sur le papier mais on n'était pas sûrs de pouvoir les faire respecter ».
La suite de l'histoire du P4 de Wuhan a montré que ceux qui traînaient des pieds avaient raison. Les entreprises chinoises ont tenu, d'abord, à assurer l'essentiel de la construction du P4. Or, comme l'explique un spécialiste, « l'architecture d'un P4 est très complexe, l'agencement de ses espaces confinés requiert des techniques et des connaissances particulières ». En 2015, déçu que la coopération franco-chinoise ne se concrétise pas, Alain Mérieux quitte la présidence de la commission bilatérale. Les 50 chercheurs français qui devaient travailler au P4 de Wuhan pendant 5 ans ne sont jamais partis.
La Chine a-t-elle bloqué leur départ ? Ou les moyens financiers ont-ils manqué à la France ? Le fait est que peu à peu, le laboratoire échappe au contrôle des scientifiques français. Contrairement au « contrat » qui avait été passé entre Paris et Pékin, les Chinois de Wuhan travaillent désormais sans le regard critique et vigilant des chercheurs français. C'est un scoop du Washington Post : la semaine dernière, le quotidien américain a révélé qu'en janvier 2018, des membres de l'ambassade américaine à Pékin, après avoir visité le laboratoire de Wuhan, ont alerté l'Administration américaine sur l'insuffisance des mesures de sécurité.
Le 16 février dernier, des médias d'État chinois ont eux aussi rapporté des défaillances. Ils affirmaient notamment que des chercheurs jetaient les matériaux de laboratoire dans les égouts, après expérimentation et sans leur avoir fait subir le traitement spécifique destiné aux rejets biologiques. Ils rappelaient aussi qu'un certain nombre de chercheurs, pour arrondir leurs fins de mois, vendaient des animaux de laboratoire ayant subi des expérimentations sur les marchés de Wuhan. Or, tous les spécialistes le disent : connaître l'origine du virus est indispensable, notamment pour prévenir l'avènement d'une nouvelle épidémie. Le Figaro