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Oublié en France, livreur Uber Eats puis qualifié au Final Four NCAA : l'épopée de Mohamed Diarra avec NC State
Non retenu en centre de formation en France et un temps livreur Uber Eats après avoir pensé arrêter le basket, Mohamed Diarra dispute à partir de samedi (dans la nuit de samedi à dimanche en France) le Final Four du tournoi universitaire américain avec NC State. Une trajectoire unique.
À peine sorti de l'avion, mercredi à Phoenix, Mohamed Diarra a observé le graal de très près. Une pièce d'or, de bois et de verre - le trophée de champion universitaire (NCAA) - convoitée chaque année par les 351 équipes de Division 1. L'ailier (2,08 m, 23 ans) est à 48 heures d'y poser les doigts avec North Carolina State. « Je serai le deuxième Français après Joakim Noah, c'est ça ? », demande le natif de Montreuil, joint par téléphone. Correct. Mais le double sacre du pivot en 2006 et 2007 n'avait surpris personne en France. Noah était alors attaché à la comète Florida, l'un des meilleurs programmes du pays, et en route vers la draft NBA (9e choix en 2007). La trajectoire de Diarra est aux antipodes de l'ex-joueur de Chicago.
Entre interviews et messages en tout genre, « le téléphone a pas mal chauffé », se marre l'ailier de NC State de retour sur les radars de ce côté-ci de l'Atlantique. « La France et moi, on a fait un bout de chemin ensemble, mais on ne s'entendait pas si bien que ça. C'est aussi de ma faute. J'ai fait des erreurs, mais je n'étais pas beaucoup reconnu. On n'a pas essayé de mettre la lumière sur moi », confie pudiquement Diarra, talent caché de la génération 2001. Inutile de le chercher au milieu des Killian Hayes ou Théo Maledon, champions d'Europe U16 en 2017. Le natif de Montreuil venait à peine de commencer le basket.
Gravelines, Orléans puis... UberEats
« Depuis tout petit, mon oncle voulait que j'essaye le basket, mais j'étais amoureux du foot. Quand j'avais 15 ans, il a tenté une dernière fois sa chance et ça m'a plu. Tout ça, c'est grâce à lui », raconte le Francilien, titulaire avec NC State (6,4 points et 7,8 rebonds de moyenne cette saison). Des débuts tardifs, à l'image des futurs internationaux Moustapha Fall ou Bodian Massa. Mais les deux pivots avaient ensuite franchi les portes d'un centre de formation. Après deux essais à Gravelines (2015-2016) et Orléans (2018-2019), celles-ci sont restées closes pour Diarra.
« Après Orléans, j'ai eu des mois compliqués. J'ai pensé arrêter. J'avais 19 ans, je ne pouvais pas rester à ne rien faire et j'ai commencé un mois comme livreur Uber Eats », poursuit Diarra. Un appel transatlantique d'un ami le ramène sur les parquets. Anthony Kabala, neveu de l'ancien pivot All-Star NBA Dikembe Mutombo, lui propose le grand saut vers les États-Unis. Direction la prep school (école privée pré-universitaire) Redemption Christian Academy près de New York. « Je ne voulais pas tout quitter comme ça, mais Redemption, la fac' portait bien son nom : je voulais me racheter. J'avais une bourse, j'étais nourri, logé, blanchi et je n'avais plus qu'à tout casser », rigole l'ailier.
Machine à rebonds, à l'aise ballon en mains, il tape vite dans l'oeil d'universités de Division 1 mais le Covid s'invite. Pas de fin d'année 2020, pas de diplôme et Diarra doit passer par l'échelon du dessous : le Junior College, équivalent d'une D2 universitaire, à Garden City (Kansas). Le natif de Montreuil quitte l'antichambre deux ans plus tard avec brio : 17,8 points et 12,5 rebonds de moyenne avec le statut de joueur numéro 1 de tous les Junior Colleges.
La NBA ? Pas un rêve, « un objectif »
Après une première saison NCAA à Missouri et 14 minutes dans le tournoi national, Diarra met le cap sur North Carolina State. Un programme deux fois titré (1974, 1983) mais maltraité depuis par les géants de sa conférence (l'ACC) : Duke, Virginia, Syracuse, Louisville et North Carolina, 13 titres cumulés depuis 1983. « Je me suis retrouvé dans leur mentalité d'outsiders. Je voulais prouver que NC State existe et moi aussi », martèle Diarra qui tape dans l'oeil de son coach dès l'été dernier. « C'est notre joueur le plus complet. Il pense même qu'il est un meneur », se réjouissait Kevin Keatts. « Je sais que je ne suis pas meneur, à part au playground avec les amis, mais mon oncle a toujours voulu que je sache tout faire : passer, dribbler, tirer (32 % à trois points cette saison) », corrige le Français.
Le conte de fées du printemps a bien failli être mort-né. Mal classé, NC State a obtenu son ticket pour le tournoi national au prix d'une semaine incroyable dans le tournoi final de l'ACC. En cinq jours, le Wolfpack a scalpé Louisville, Syracuse, Duke, Virginia et North Carolina pour obtenir son ticket vers la « March Madness ». Tête de série numéro 11, NC State a déjoué les pronostics sur ses quatre premiers matches jusqu'à écoeurer Duke une nouvelle fois (76-64). Neuf matches couperets disputés par Diarra... en plein Ramadan. « J'y suis habitué depuis des années », balaie l'ailier qui se lève à six heures pour s'alimenter et tenir jusqu'au coucher du soleil.
Un rythme de forçat qui a suscité l'admiration outre-Atlantique. Sur la route d'un improbable titre national, l'avant-dernier obstacle, samedi (dimanche 0h10 en France) prend désormais la forme d'une montagne canadienne. Zach Edey, 222 centimètres et 40 points en quarts avec Purdue pour détruire Tennessee. En finale lundi, le tenant du titre UConn pourrait attendre le Wolfpack au bout d'un week-end sous les projecteurs et l'oeil des scouts NBA. Un rêve pour Mohamed Diarra ? « Non, un objectif. Je me dis que c'est accessible avec mes qualités, avec ma taille. Notre devise ici c'est "Why not us ?" (Pourquoi pas nous ?), donc pourquoi pas moi ? ».