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Assises : quand un père tue son gendre dans une rue de Paris
Il a cherché sa fille pendant des mois et quand il l’a retrouvée, en juin 2020, ce Roumain de 64 ans a sorti un couteau… Au bout de sa lame, il y avait Roméo, l’ex-mari de sa fille aînée devenu le compagnon de sa cadette.
Un jour d’été 2020 à Paris, dans une rue baignée de soleil, un grand-père vêtu d’une chemisette et d’un bermuda est devenu un criminel en tuant son gendre d’un coup de couteau à la gorge, sous les yeux de sa fille. La scène s’est déroulée à la mi-journée en présence de nombreux témoins.
Roméo, la victime, est attablé avec Béatrice, sa petite amie, dans un restaurant caritatif du Xe arrondissement de la capitale. Il n’a pas vu le beau-père arriver dans son dos. Le visage dissimulé par un masque chirurgical et une casquette, Antal Balogh frappe d’abord au niveau de la fesse et de la hanche avant de viser les cervicales. Alors que son gendre se met à cracher du sang, il retire son masque pour lui dire ces quelques mots définitifs en langue roumaine : « Tu vois qui je suis ? Regarde-moi, espèce d’abruti ! Je suis le père de Béa. »
Pour l’accusé, c’est un malheureux accident
Puis il prend sa fille par le bras et quitte les lieux en demandant à des passants d’appeler les secours. Roméo décédera une heure plus tard à l’hôpital de la Salpêtrière. Le père et sa fille quittent la France en autobus, direction la Roumanie.
Interpellé en Grande-Bretagne en septembre 2020, trois mois après les faits, Antal Balogh est placé en détention provisoire dans une prison de la région parisienne. Toujours incarcéré deux ans et demi plus tard, ce charpentier-menuisier de profession soutient qu’il ne s’agit que d’un accident malheureux et qu’il voulait seulement arracher Béatrice, sa fille de 18 ans, aux griffes de Roméo, un homme de 34 ans supposé très dangereux.
La violence et la précision de son geste lui valent pourtant un renvoi pour meurtre devant la cour d’assises de Paris. Le procès débute ce mardi 24 janvier et doit durer toute la semaine. A-t-il seulement agi pour protéger sa fille cadette d’un danger imminent ou plutôt pour se venger d’un homme qu’il ne connaissait que trop bien ? Ce bain de sang sur un trottoir de Paris, rue d’Abbeville, marque surtout le point final d’une histoire violente et chaotique qui s’étire sur une décennie.
Il s’était marié avec l’aînée, avant de vivre avec la cadette
Roméo rentre dans la famille Balogh en 2010 en se mariant avec Henrietta, la fille aînée. À l’époque, Béatrice n’a que dix ans. Le couple émigre d’abord en Suède, puis en Angleterre. Ils ont trois enfants. Décrit comme toxicomane, violent et instable, le jeune homme peine à gérer ses démons. Roméo est condamné par la justice britannique, notamment pour des faits de violences conjugales.
Il est aussi visé par une mesure d’éloignement et d’interdiction de territoire qui scelle la séparation de son couple en 2018. Privé de tout contact avec la mère de ses enfants, Roméo mène une vie d’errance entre la Belgique, la France, l’Espagne et l’Autriche.
« Ma fille était vierge et il disait qu’il allait vendre sa virginité »
Dans le même temps, il entretient une relation ambiguë avec Béatrice, la sœur de sa femme. Celle-ci finit par le rejoindre à Bruxelles en septembre 2019 où s’amorce une vie à deux, chaotique et précaire. Visiblement, Roméo a des comptes à régler avec sa belle-famille. « Il nous faisait du chantage, affirme Antal Balogh au cours de l’un de ses interrogatoires. Ma fille était vierge et il disait qu’il allait vendre sa virginité si on ne lui envoyait pas de l’argent. »
Le 18 octobre de la même année, le père quitte l’Angleterre, où il a trouvé un emploi, et retrouve la trace de Béatrice à Anvers grâce à ses contacts dans la communauté roumaine. Déjà à cette époque, Antal Balogh tente d’exfiltrer sa fille, mais celle-ci résiste et préfère rester avec son Roméo.
« Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas vivre comme ça, sans travailler, confie encore le père au juge d’instruction. Elle a répondu : Jésus non plus n’a pas travaillé… Je ne sais pas ce que Roméo lui avait mis dans la tête, mais elle parlait comme une folle. » En désespoir de cause, Antal Balogh frappe sa propre fille dans le but, dit-il, d’attirer l’attention de la police belge sur la relation supposée toxique qui la lie à son compagnon. L’affaire est classée sans suite et le père doit se résoudre à rentrer en Angleterre et laisser Béatrice derrière lui.
Des interrogations sur sa motivation profonde
Sans nouvelles de sa fille pendant des mois, il reçoit ensuite un message particulièrement inquiétant en mai 2020. Béatrice serait désormais à Paris dans le Xe arrondissement, toujours accrochée aux basques de Roméo. Mais celui-ci serait sur le point de la vendre à un réseau de proxénètes albanais. Sans savoir si cette information est vraie ou pas, Antal Balogh rejoint la France le 21 juin et se donne quelques jours pour retrouver sa fille. Il se rend notamment au consulat de Roumanie dans l’espoir de recevoir de l’aide.
Trois jours après son arrivée à Paris, le 24 juin, il repère sa fille et Roméo dans la file d’attente d’une distribution de nourriture. Dans les minutes qui précèdent son passage à l’acte, Antal Balogh est encore au téléphone avec sa fille aînée, censée le conseiller pour alerter un service de police. Sans attendre, le père décide d’employer la manière forte et violente. En allant jusqu’au crime.
Reste un point d’interrogation sur sa motivation profonde. « Plusieurs éléments démontrent que le père avait bien l’intention de tuer son gendre, soutient Me Fanny Vial, avocate du frère de la victime. Il vise Roméo notamment aux cervicales mais évoque un geste accidentel, en décalage avec les témoignages. Par ailleurs, l’idée d’un crime commis pour protéger sa fille d’un homme dangereux ne tient pas. Il s’agit beaucoup plus probablement d’un crime d’honneur commis par un père qui ne supporte pas que sa fille ait quitté le cercle familial pour suivre un homme déjà marié avec sa fille aînée. »
« Il cherchait juste à sauver sa fille »
Selon l’avocate d’Antal Balogh, la réalité de l’intention homicide pose pourtant question. « Ce père de famille sexagénaire et sans antécédents judiciaires n’a jamais voulu tuer Roméo, affirme Me Julie Gonidec. Sinon pourquoi vise-t-il d’abord des régions non létales ? Ce n’est que dans un deuxième temps, dans un moment de confusion après un sursaut et une réaction de la victime, que le geste fatal survient. Au fond, il cherchait juste à sauver sa fille de 18 ans de la rue, de la drogue et de l’emprise exercée sur elle par Roméo. »
Le Parisien