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Au Mali, massacres en série perpétrés par des djihadistes dans le centre du pays
Selon Bamako, 132 civils ont été tués dans le cercle de Bankass par un groupe affilié à Al-Qaida. Plus à l’est, l’Etat islamique est de nouveau à l’offensive. Des événements qui remettent en cause les annonces de reconquête par le pouvoir.
Les chiffres, froids, impersonnels, sont peut-être les indicateurs les plus effrayants de la spirale meurtrière qui endeuille actuellement le Mali. Jamais, depuis 2012 et le basculement du pays dans la guerre, de tels bilans n’avaient été atteints. Depuis le début de 2022, près de 2 900 personnes ont été tuées selon l’organisation Armed Conflict Location & Event Data Project. Parmi elles, près de 1 600 civils, soit trois fois plus que sur l’ensemble de l’année précédente.
La dernière tuerie s’est produite dans la nuit du 18 au 19 juin, dans le cercle de Bankass, au centre du Mali, une région où se concentre désormais l’essentiel des violences. Selon le communiqué publié le 20 juin par le gouvernement de Bamako, « le bilan cumulé fait état de 132 civils froidement tués par les combattants de la katiba Macina » dans les villages de Diallassagou, Dianweli et Deguessagou.
Sur place, d’autres sources évoquent un carnage susceptible d’atteindre les 200 morts, perpétré par ces djihadistes rattachés au Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), une organisation affiliée à Al-Qaida. « Ils sont arrivés et ont dit aux gens : “Vous n’êtes pas des musulmans” en langue peul. Alors ils ont emmené les hommes, une centaine de personnes sont parties avec eux. A deux kilomètres de là, ils les ont abattus systématiquement », a raconté lundi à l’AFP Nouhoum Togo, un responsable politique du cru, alors que des corps, disait-il, continuaient à être ramassés dans les communes environnantes de Diallassagou.
Sous couvert d’anonymat, un observateur étranger minimise le bilan du massacre – une cinquantaine de morts selon lui – et dénonce une possible « manipulation de Dan Na Ambassagou [une milice dogon] pour obtenir des armes ». Mais il suppose aussi, comme toutes les autres sources contactées, que le raid des séides d’Amadou Koufa, prédicateur peul qui recrute en premier lieu dans sa communauté, s’inscrit dans un cycle de vendettas où les appartenances identitaires sont devenues un motif de condamnation.
Accord informel avec des djihadistes
A Diallassagou, là où le bilan serait le plus lourd, les victimes sont dogon. Trois ans plus tôt, le 23 mars 2019 à Ogossagou, un village situé à quelques dizaines de kilomètres, les 160 victimes de l’expédition menée par les chasseurs dozos, défenseurs de la communauté dogon tolérés par le pouvoir, étaient peules.
Dans le cas le plus récent, « s’il n’y a pas eu de revendication, tout laisse à penser qu’il s’agit de représailles après les opérations menées par l’armée dans la zone fin mai début juin. Selon la katiba Macina, des habitants ont alors servi de guides aux militaires. Un message audio d’un de ses combattants dit d’ailleurs que l’attaque a visé des supplétifs de l’armée et non des civils innocents. Cela pourrait être un signe qu’ils n’ont pas l’intention de rompre la trêve tacite obtenue il y a un an pour protéger les populations », estime Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty International.
En février 2021, avec le soutien du Centre pour le dialogue humanitaire, une organisation de médiation basée en Suisse, un accord informel avait été obtenu localement permettant à la zone de retrouver une certaine quiétude. Celui-ci prévoyait notamment le respect par tous des préceptes de la charia, le paiement de la zakat (l’impôt caritatif islamique) sur les récoltes et un engagement des villageois à ne plus collaborer avec l’armée. En contrepartie, les djihadistes avaient accepté de lever les blocus imposés à ces villages.
Le GSIM dans son ensemble semblait avoir abandonné ces dernières années sa stratégie de domination brutale pour une politique de soumission des populations plus insidieuse et de harcèlement des forces nationales et internationales. L’opération « Keletigui » (« celui qui fait la guerre », en bambara), lancée par la junte et ses nouveaux alliés russes en janvier, l’a-t-elle amené à revenir à davantage de violences ?
Occuper le vide laissé par « Barkhane »
Depuis janvier et l’arrivée des mercenaires du groupe Wagner, l’armée communique sans relâche sur ses reconquêtes territoriales face à « des terroristes de plus en plus fébriles ». Une « montée en puissance » qui s’accompagne d’exactions de grande ampleur comme à Moura fin mars où l’armée a revendiqué la mort de « 203 combattants des groupes armés terroristes ».
Selon l’ONG Human Rights Watch, ce sont en fait « environ 300 hommes civils, dont certains soupçonnés d’être des combattants islamistes », qui ont été « sommairement exécutés » dans cette localité du centre du pays par les soldats maliens et leurs supplétifs « étrangers ».
Dans le contexte actuel où chaque groupe – armée, milices progouvernementales, anciens groupes rebelles et djihadistes – cherche à occuper le vide laissé par les soldats français de « Barkhane », dont le départ de Gao devrait être finalisé en août, l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) est lui aussi venu remettre en cause le récit d’un Etat à l’assaut de ses territoires perdus.
Malgré l’élimination de son émir Adnan Abou Walid Al-Sahraoui en août 2021 par les forces françaises, la mort ou la capture de ses principaux lieutenants, le groupe djihadiste démontre depuis mars toute sa force de résilience par le niveau de violence qu’il impose aux populations vivant dans les zones de Ménaka et autour de Gao.
Ses affrontements avec deux groupes armés touaregs, le MSA et le Gatia, ont provoqué la mort de plusieurs centaines de combattants et de civils, ainsi que le déplacement, selon l’ONU, de plus de 20 000 habitants de la zone. Bamako y a finalement envoyé ses soldats il y a deux semaines mais sans être en mesure de reprendre la main le long de la frontière nigérienne.
Mutique sur ces événements, le colonel Assimi Goïta a en revanche décrété lundi trois jours de deuil national après les violences intervenues dans le cercle de Bankass. Une mesure d’apaisement alors que les interrogations montent à Bamako sur les victoires supposées d’une junte qui se verrait bien rester au pouvoir. La nouvelle loi électorale, adoptée vendredi, pourrait en effet ouvrir les portes à une candidature d’Assimi Goïta à la future présidentielle, qu’il a lui-même fixée à la fin février 2024.
Le Monde