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Les talibans ne parviennent pas à maîtriser l’EI en Afghanistan
Un attentat contre des chiites a fait plus de 40 morts à Kandahar
La journée de grande prière hebdomadaire, considérée dans le monde musulman comme un moment de paix, a de nouveau connu la pire des violences en Afghanistan, vendredi 15 octobre. Plus de quarante personnes ont été tuées et plus de soixante-dix blessées, lors d’un attentat-suicide perpétré dans une mosquée chiite de Kandahar, la grande ville du sud du pays. Ce carnage fait écho à celui commis, le 8 octobre, dans des circonstances similaires, à Kunduz (nord-est). Cette fois encore, l’attaque de Kandahar a été revendiquée dans la nuit de vendredi à samedi par l’organisation Etat islamique (EI).
Survenu dans une région où les talibans sont historiquement fortement implantés, ce nouvel attentat fragilise leur promesse de garantir la sécurité sur l’ensemble du territoire et en interdire l’accès aux groupes terroristes.
Selon les premiers éléments d’enquête, des tirs et plusieurs explosions ont été relevés à l’intérieur et à l’extérieur de la mosquée Fatemieh, l’établissement religieux chiite le plus important de Kandahar. Les forces de sécurité estimaient, vendredi soir, que plusieurs kamikazes auraient commis ce forfait alors que près de cinq cents personnes se pressaient dans les lieux. Les images relayées par les télévisions locales montraient, de nouveau, le ballet d’ambulances venant au secours des victimes. Des corps sans vie éparpillés sur des tapis ensanglantés, jonchés de vêtements, étaient enjambés par des survivants hébétés, en larmes ou criant leur désespoir.
Comme souvent, en Afghanistan, le bilan de telles attaques meurtrières est imprécis. Les sources et la centralisation des informations sont peu vérifiables.
En outre, les talibans ne sont guère enclins à communiquer sur ces actes mettant en cause leur autorité, et l’organisation des administrations afghanes reste trop embryonnaire pour assurer un suivi précis de l’état des victimes, dont le nombre est souvent bien plus lourd qu’annoncé initialement. Vendredi soir, les hôpitaux et les cliniques de Kandahar étaient débordés et les personnels soignants déclaraient manquer cruellement de sang, selon une source médicale citée par l’AFP.
Le gouvernement taliban s’est exprimé, dans la soirée, par la voix du porte-parole du ministère de l’intérieur, Qari Sayed Khosti, sur Twitter : « Nous sommes attristés d’apprendre qu’une explosion a eu lieu dans une mosquée de la confrérie chiite (…) de la ville de Kandahar, dans laquelle un certain nombre de nos compatriotes ont été tués et blessés. » Il a ajouté que des « forces spéciales de l’Emirat islamique [d’Afghanistan, le nom officiel choisi par les talibans pour le pays] sont arrivées dans la zone pour déterminer la nature de l’incident et traduire les auteurs en justice ».
Former une armée régulière
Dans un communiqué de son organe de propagande Aamaq, l’EI a précisé que deux membres du groupe djihadiste sont entrés dans la mosquée et ont fait exploser leurs bombes. Dès avant cette revendication, la responsabilité de l’EI était dans beaucoup d’esprits. Outre l’attaque-suicide menée contre la mosquée chiite de Kunduz, le 8 octobre, l’EI avait également revendiqué l’attentat commis, le 26 août, aux abords de l’aéroport de Kaboul, qui avait fait 182 morts, dont treize soldats américains.
La répétition des attaques depuis le départ, le 30 août, des dernières forces américaines et la chute du régime précédent jette une ombre sur la fierté des talibans, qui font du retour de la sécurité dans le pays une priorité absolue, après des années de guerre. Surtout que cette attaque vise, pour la première fois, la région de Kandahar, un fief taliban depuis la création du mouvement dans les années 1990.
L’EI s’en prend, en particulier, à la minorité chiite hazara, qu’elle considère comme « hérétique ». Mais elle a aussi accusé les talibans « d’avoir renié la cause djihadiste »,les qualifiant d’« apostats ». Pour leur part, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan, après l’attaque contre l’aéroport de Kaboul du mois d’août, assuraient que l’EI avait été éradiqué « de la totalité des trente-quatre provinces afghanes, à l’exception de celle de Kaboul ».
Selon un rapport de l’ONU, remis, en juillet, au Conseil de sécurité, les effectifs de l’EI dans le pays sont estimés à « entre 500 et quelques milliers de combattants » et sa présence dans la région, sous le nom d’Etat islamique au Khorassan – un terme ancien désignant une région englobant une partie de l’Asie du Sud, l’Iran et l’Asie centrale –, est attestée depuis 2015.
La persistance des attaques-suicides de l’EI commence à inquiéter jusqu’au premier cercle des pays amis des talibans. Le président russe, Vladimir Poutine, s’est alarmé, vendredi, « des ambitions et des forces du groupe djihadiste Etat islamique en Afghanistan ». Selon lui, l’EI compterait « environ 2 000 personnes dans ses rangs » et nombre d’entre eux, dit-il, « ont une expérience de combat en Irak et en Syrie ». De plus, estime-t-il, d’autres « groupes extrémistes et terroristes » seraient actifs dans le nord afghan, comme Al-Qaida et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan. « Les chefs de l’EI préparent des plans pour étendre leur influence dans les pays d’Asie centrale et des régions russes en attisant les conflits ethno-confessionnels et la haine religieuse », a conclu M. Poutine, s’interrogeant sur la capacité des talibans à vaincre ces groupes armés.
Pour rassurer leurs alliés, les talibans ont annoncé, mercredi, qu’une commission avait été formée afin de soutenir les efforts en cours pour former une armée régulière. Ils ont ajouté, sans fournir de détails, que les membres de cette commission réfléchiraient aux moyens de « débarrasser » les forces de sécurité des personnes ayant de « mauvais antécédents » et celles qui « créent des problèmes pour la population ». De même, le régime taliban a annoncé avoir déployé un groupe « de forces de réaction rapide » dans la province nord-est du Badakhchan « pour maintenir la sécurité de la population et protéger les frontières ».
Dimanche, Zabihullah Mujahid, vice-ministre de l’information et de la culture, déclarait à la chaîne de télévision Tolo News que, depuis la fin d’août, dix-neuf membres de l’EI avaient été tués et seize autres blessés par les forces de sécurité. Dans le même temps, l’EI a frappé dans cinq provinces et a revendiqué l’essentiel des attaques. D’après l’ONU, en Afghanistan, près de 600 personnes, pour la plupart des civils, et une dizaine de talibans ont été victimes de ces attaques.
Le Monde