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Le réchauffement des relations entre l'Iran et les Etats-Unis est un défi inquiétant pour Riyad, déjà engagé dans une guerre par procuration avec Téhéran en Syrie.
« Des divergences tactiques et non pas stratégiques. " Le roi d'Arabie saoudite, Abdallah, et John Kerry, le secrétaire d'Etat américain, ont tenté récemment de dissiper les impressions d'une rupture entre les deux alliés. Mais est-ce suffisant alors que le récent dégel entre les Etats-Unis et l'Iran apparaît comme un menaçant défi pour le royaume wahhabite ? Entre les deux partenaires, la crise actuelle n'est certes pas comparable au choc pétrolier de 1973, en pleine guerre du Kippour, lorsque le royaume et les autres pays de l'Opep avaient décidé un embargo sur les livraisons de pétrole pour punir les Occidentaux de leur soutien à Israël. On n'ira pas non plus jusqu'à prédire la fin du pacte dit du « Quincy », scellé à bord du croiseur « USS Quincy » par le roi Ibn Séoud et Franklin Roosevelt de retour de Yalta, en 1945. Ce pacte, qui a été renouvelé en 2005 pour soixante ans par le président George W. Bush, prévoit, dans ses grandes lignes, que les Etats-Unis assurent la stabilité du royaume et, en contrepartie, que l'Arabie saoudite garantisse l'approvisionnement énergétique de l'Amérique. Mais, comme le souligne Frederic Wehrey, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, « la diplomatie saoudienne est entrée dans une période d'incertitudes et de difficultés ». Pour manifester son mécontentement vis-à-vis de Washington, Riyad a même refusé de siéger comme membre non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.
Il faut dire que les sujets de discorde, souvent étroitement liés entre eux, se sont multipliés. Le premier concerne la Syrie et le brutal retournement du président Barack Obama, qui a abandonné son projet de lancer des frappes préventives contre des installations militaires du régime de Bachar Al Assad et a, en revanche, accepté le plan russe d'un désarmement chimique de la Syrie. Or Riyad n'a cessé de soutenir une fraction de la rébellion syrienne avec, comme objectifs, le renversement de Bachar et l'affaiblissement des branches syriennes des Frères musulmans et d'Al Qaida. Dans ce pays, la monarchie joue sur un double registre en encourageant des groupes opposés aux Frères (soutenus en revanche par le Qatar), tout en étant favorable à l'arrivée d'un pouvoir fort à Damas, capable de maintenir l'appareil sécuritaire syrien et d'éliminer le cercle des fidèles du président syrien.
Le deuxième sujet d'irritation est lié aux hésitations de Barack Obama vis-à-vis de l'Egypte après le coup d'Etat militaire du 3 juillet contre le président élu Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans. Riyad, qui redoute l'influence idéologique de la confrérie sur sa propre opposition, reproche à Washington de ne pas avoir soutenu le nouvel homme fort du Caire, le général Al Sissi. Alors que les Etats-Unis ont décidé de réduire leur aide militaire accordée à l'Egypte depuis le traité de paix israélo-égyptien de 1979, l'Arabie saoudite a en revanche renforcé ses financements au gouvernement intérimaire. On ne peut s'y tromper : la monarchie s'est profondément sentie menacée par les printemps arabes, dont les conséquences se sont fait sentir sur son propre territoire.
Mais le principal risque pour la relation américano-saoudienne réside dans un rapprochement de Washington avec Téhéran après l'élection de Hassan Rohani à la présidence. Si ce dégel se confirmait par une levée des sanctions, l'Iran pourrait reprendre toute sa place comme puissance régionale, déséquilibrant le rapport de force avec le royaume wahhabite. En outre, qu'un accord intervienne ou pas sur le nucléaire, l'Iran, qui a enrichi de l'uranium jusqu'à 20 % (186 kilos) et a développé plus de 19.000 centrifugeuses, est proche du seuil du développement d'une bombe nucléaire. Même si Téhéran n'a cessé officiellement d'affirmer que ses intentions ne sont que civiles, cette capacité est considérée comme une menace par l'Arabie saoudite. En 2003, déjà, la chute du régime de Saddam Hussein en Irak, ennemi juré du régime des mollahs, avait constitué pour ce dernier un cadeau stratégique inespéré.
Pour nombre d'experts, il ne s'agit pas simplement d'une rivalité religieuse entre un Iran chiite et une Arabie saoudite sunnite. Après tout, « les Iraniens sont chiites depuis seulement cinq cents ans. Perses depuis des millénaires ", soulignait un responsable du Conseil de coopération du Golfe, cité par Jon Alterman, du Center for Strategic and International Studies, dans une étude sur le défi iranien. En Syrie, les deux puissances se livrent à une guerre par procuration avec, face aux groupes encouragés par Riyad, des conseillers militaires iraniens et des combattants du Hezbollah libanais soutenant Bachar Al Assad, issu lui-même de la minorité alaouite (une branche du chiisme).
Du côté américain - essentiellement dans l'opinion publique -, il y a une forte suspicion depuis le 11 septembre 2001 à l'égard des Saoudiens. Parmi les 19 kamikazes qui ont attaqué des symboles américains ce jour-là, il y en avait 15 d'origine saoudienne. A cela s'ajoute la volonté des Etats-Unis de basculer le gros de leurs forces navales vers l'Asie-Pacifique face à la Chine, qui pourrait éloigner l'Amérique de son rôle de puissance protectrice des pays du Golfe; surtout si, grâce au gaz de schiste, elle devient indépendante du pétrole du Moyen-Orient. Reste que l'Arabie saoudite, consciente de sa faiblesse, a toujours recherché dans son histoire un grand protecteur extérieur. L'Europe, empêtrée dans sa crise, ne peut jouer ce rôle et la Chine n'a pas la volonté de prendre le relais. Il n'est pas dit que Washington ait intérêt à abandonner totalement son allié saoudien. Après soixante-huit ans de mariage d'intérêt, le divorce serait complexe...
Les points à retenir
En vertu du pacte du Quincy, renouvelé en 2005 pour soixante ans, les Etats-Unis sont censés assurer la stabilité de l'Arabie saoudite.
En contrepartie, cette dernière s'est engagée à garantir l'approvisionnement énergétique de Washington.
Mais, de la Syrie à l'Iran en passant par l'Egypte, les sujets de friction se sont multipliés ces derniers mois entre les deux partenaires.
Editorialiste aux « Echos » Jacques Hubert-Rodier