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Bernard Tapie côté pile : rend l'argent, côté face : innocent
Par Laurent Valdiguié
Publié le 09/07/2019 à 12:53
Incroyable scénario. Le tribunal correctionnel a prononcé ce mardi 9 juillet la relaxe générale dans l’affaire de l’arbitrage Adidas. Bernard Tapie est donc blanchi devant la justice pénale, mais il a pourtant déjà été condamné par la justice civile à rendre les 404 millions.
Les larmes. Les larmes d’Hervé Temime, l’avocat de Bernard Tapie. Les larmes de Maurice Lantourne, son ex-avocat. Les larmes de Stéphane Richard, l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde. Ils sont tous en larmes, dans cette fosse centrale du tribunal correctionnel, à se congratuler, avec leurs avocats, leurs proches présents. Relaxe générale. La 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, après un procès tendu au printemps, vient de prononcer ce mardi 9 juillet une relaxe générale à l’encontre des six prévenus, Bernard Tapie en tête, dont la chaise est restée vide au jour du jugement.
Selon celui-ci, la preuve n’est tout simplement pas rapportée qu’une escroquerie a été commise lors de l’arbitrage Adidas. « Les éléments constitutifs du délit d’escroquerie ne sont pas caractérisés », estime la présidente du tribunal, Christine Mée qui, lisant des extraits du jugement, démonte toute l’ordonnance de renvoi rédigé par le juge Serge Tournaire. « Aucun élément du dossier ne permet d’affirmer que la décision du tribunal arbitral a été "surprise par la fraude" ou par des manœuvres frauduleuses qui auraient été commises par Bernard Tapie », développe-t-elle. Une défaite en rase campagne pour l’accusation, c’est-à-dire le parquet, les juges d’instruction et les parties civiles, l’Etat en tête, qui soutiennent mordicus que le camp Tapie, via l’arbitre Pierre Estoup, a triché lors du fameux arbitrage avec le Crédit Lyonnais sur la vente d’Adidas.
CHRISTINE LAGARDE, SEULE CONDAMNÉE POUR L'ARBITRAGE
Réagissant à chaud, émotion calmée, Me Hervé Temime salue « un jugement d’une indépendance rare ». « Tout ce qu’a dit aujourd’hui le tribunal, c’est ce que disons depuis le premier jour… nous avons été, dans ce dossier, les dindons de la farce », soupire l’avocat. Car s’il est innocent pénalement, Bernard Tapie a déjà été condamné au civil à rendre l’argent de l’arbitrage qui, lui, a été déclaré « frauduleux ». L’ancien patron de l’OM se retrouve donc dans la situation de l’innocent-ruiné. Car les pièces d’instruction de cette procédure pénale qui se termine en fiasco sont les mêmes que celles qui ont permis, devant la juridiction civile, d’annuler la sentence arbitrale. Cette annulation, aujourd’hui définitive, le contraint à rendre les 404 millions d’euros accordés dans le litige Adidas. Plus les intérêts qui s’élèvent à 72.000 euros par jour.
« Le match n’est pas fini, les matchs se terminent quand le coup de sifflet final est sifflé », poursuit Me Temime, annonçant un « examen » de la situation au vu de la décision du jour. En attendant d’éventuelles suites, dans ce bras de fer qui dure depuis 30 ans entre Tapie et le Crédit Lyonnais, l’avocat dénonce un « manque de cohérence » entre d’un coté la procédure civile, qui l’a condamné, et la procédure pénale qui le blanchit. Autre « incohérence », la condamnation de Christine Lagarde, devant la cour de Justice de la République, pour « négligence »… Son directeur de cabinet de l’époque, Stéphane Richard, écope aujourd’hui d’une relaxe. L’ancienne ministre de l’Economie reste à ce jour la seule personne condamnée du dossier Adidas ! « Nous allons voir la suite, et le parquet a dix jours pour faire appel », soupire un des avocats de l’Etat, rasant les murs à la sortie du tribunal tant il ne « pouvait croire », la veille encore, à une décision de relaxe générale.
BERNARD TAPIE EN PLEURS AU TÉLÉPHONE
Il n’était pas le seul, en entrant dans la salle d’audience ce mardi matin, à pronostiquer une condamnation dans ce dossier baroque, où la ministre avait déjà été épinglée et où le bénéficiaire principal de l’escroquerie avait déjà été condamné à rendre l’argent. Stéphane Richard est arrivée le premier à 9h36, entouré de gardes du corps et de proches. Le PDG d’Orange, costume gris, affichait la mine des mauvais jours. Arpentant la salle d’audience, les mains dans les poches, saluant les avocats, il savait qu’en cas de condamnation, il risquait de perdre son fauteuil à la présidence d’Orange et d’y laisser sa chemise, en cas de condamnation solidaire à rembourser les fonds dus par Tapie. Hervé Temime lui aussi est entré dans la salle d’audience bougon, habité d’un mauvais pressentiment à l’annonce que la présidente allait lire le jugement durant « une heure ». Maurice Lantourne a ensuite fait son entrée aux bras de son épouse, elle aussi avocate, tendu comme un arc. Lui, en plus d’une éventuelle condamnation pénale, risquait sa robe d’avocat.
Une heure plus tard, tous relaxés, leur vie avait basculé du bon coté. Et voir de vieux briscards du barreau, comme l’ancien bâtonnier Paul-Albert Iwens, Pierre Cornut-Gentil, Jean-Etienne Gianmarchi, Jean-Pierre Gastaud et Edgar Vincensini, s’essuyer les coins des yeux, en disait plus long sur l’émotion générale du moment que toutes leurs réactions. Quant à Bernard Tapie, absent de l’audience pour cause de traitement de son cancer, il était en pleurs au téléphone quand Hervé Temime lui a annoncé la nouvelle. Des larmes de joie. « Un coup de fouet positif pour son traitement », espère son avocat. A l'âge de 76 ans, le match de sa vie continue