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Dans une Europe au ralenti, l'impressionnante accélération de la croissance espagnole
Le PIB a progressé de 3,2 % en 2024. La dynamique espagnole est portée par une année touristique record et la force des exportations, en dépit de l'instabilité politique et de l'absence d'un nouveau budget.
L'économie espagnole s'emballe dans une Europe qui freine. La croissance a atteint 3,2 % du PIB en 2024, selon les chiffres provisoires de comptabilité nationale publiés ce mercredi. Cette dynamique place le pays en tête de toutes les grandes économies européennes, avec un rythme de progression quatre fois supérieur à la moyenne de l'UE, qui se situe aux alentours de 0,8 %. « L'Espagne a fait mieux que la zone euro à chaque trimestre depuis le 3e trimestre 2021 », commentent les économistes de Nomura.
Cette croissance exubérante, nettement supérieure aux 2,7 % de l'année 2023, est propulsée par une année touristique record, mais pas seulement. Elle s'appuie aussi sur une forte consommation des ménages, encouragée par la hausse des salaires de 4 % et les politiques publiques anti-inflation, ainsi que sur la bonne tenue des exportations dans le secteur industriel comme dans celui des services.
Tout indique que les inondations catastrophiques qui ont ravagé les alentours de Valence, le 29 octobre dernier, n'ont pas eu d'impact significatif, puisque la croissance du dernier trimestre s'est maintenue à 0,8 %, le même rythme que durant les trimestres précédents.
Le ministre de l'Economie, Carlos Cuerpo a salué les chiffres en appréciant « une croissance saine et équilibrée ». Il pointe à la fois la poussée de la demande intérieure et la bonne orientation du commerce extérieur qui apporte 0,4 point de croissance annuelle. Il souligne particulièrement « l'importante accélération des investissements, marqués par une hausse de 2,8 %, la plus forte de ces dernières années ».
L'Espagne continue donc sa marche triomphale, en dépit de la fragilité du gouvernement du socialiste Pedro Sanchez et des acrobaties parlementaires périlleuses pour faire voter chaque réforme. C'est le grand paradoxe d'une économie qui progresse à pas de géants, alors que le pays est actuellement sans budget, pour la deuxième année consécutive.
Le pays a jusqu'ici continué d'avancer sans dommages en prolongeant le cadre budgétaire antérieur, avec l'avantage de pouvoir bénéficier de la manne des fonds européens post-Covid qui viennent nourrir les grands programmes de transition énergétique et numérique.
Jusqu'ici, les grands investisseurs et les analystes internationaux ne trouvent rien à y redire. Ils signalent l'Espagne comme une destination particulièrement attractive dans une Europe au ralenti. Avec à son actif des coûts du travail contenus, des infrastructures efficaces, des fournisseurs locaux fiables et des tarifs énergétiques compétitifs grâce au développement des renouvelables.
« La grande ombre à ce tableau est le manque d'investissements des entreprises espagnoles », avertit l'économiste Raymond Torres, directeur de conjoncture de la fondation Funcas. « Elles ont profité du rebond depuis la fin de la pandémie pour réduire leur dette, sans profiter de l'opportunité pour investir, innover et élargir leurs ambitions », constate-t-il, en attribuant cette attitude au climat d'incertitude lié aux tensions politiques nationales.
« Alors que les compagnies internationales ont l'oeil sur les chiffres macroéconomiques et apprécient les atouts de l'Espagne, les entrepreneurs locaux ont une autre vision, décrit-il. Ils sont plus sensibles aux polémiques du jour et se méfient notamment d'éventuelles modifications de la fiscalité qui pourraient affecter leurs activités. »
Les chiffres de l'emploi, publiés mardi, signalent pourtant, eux aussi, une dynamique solide. L'Espagne a créé près de 500.000 emplois l'an dernier et le chômage a été ramené à 10,6 %, un niveau jamais vu depuis 2008. « Les créations d'emplois de 2024 ont concerné tous les secteurs, y compris les plus productifs, et pas seulement le tourisme », relèvent les experts de Nomura. Cela devrait stimuler le potentiel de croissance du royaume « sur le moyen terme », selon eux.
Reste que derrière cette vitrine de bons chiffres, les fragilités espagnoles demeurent : si l'économie progresse, c'est plus en quantité qu'en qualité, avertissent les experts. Une bonne part de la croissance continue en effet à s'appuyer sur le développement d'emploi peu qualifié et sur l'arrivée de main-d'oeuvre de l'étranger, tandis que l'écart de productivité se creuse avec les voisins européens.
Cécile Thibaud (Correspondante à Madrid)