Quatre jours après l’attaque de la synagogue de La Grande-Motte (Hérault), l’urgence de combattre plus efficacement le poison antisémite ressurgit dans le débat politique. La France, qui accueille la plus grande communauté juive d’Europe (environ 500 000 personnes), est particulièrement vulnérable à la poussée de fièvre antijuive qui a repris de la vigueur depuis les attaques du 7 octobre et la riposte israélienne à Gaza. Les leviers d’action existent.
Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France
Peu après l’attentat de La Grande-Motte, le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a condamné « un intolérable crime » contre la synagogue de La Grande-Motte, envoyant ses « pensées pour les fidèles et les croyants ainsi agressés ». « La laïcité et la liberté de conscience est fille de la liberté des cultes », a-t-il conclu.
Mais cette lecture uniquement confessionnelle et religieuse de l’identité juive est problématique en ce qu’elle empêche de lutter efficacement contre les sources contemporaines de l’antisémitisme. Dans le cas de l’attaque contre la synagogue de La Grande-Motte, dont l’enquête a déjà révélé que le suspect portait autour de la taille un drapeau palestinien et autour du cou un keffieh, les juifs ne sont pas attaqués en raison de leur foi ou de leurs croyances ! Ils sont attaqués pour leur appartenance au peuple juif, au nom de leurs convictions politiques et de leur solidarité supposées avec Israël dans le conflit entre Israël et le Hamas.
Cette haine ne prend donc pas sa source dans un antijudaïsme, lié à la dimension cultuelle de l’identité juive, mais dans l’antisionisme, qui est l’un des nombreux visages dans l’antisémitisme contemporain. En évoquant une attaque contre des « croyants » et des « fidèles », le chef de file de La France insoumise fait l’erreur de réduire l’antisémitisme contemporain à un « simple » antijudaïsme confessionnel et empêche fondamentalement de pouvoir prendre le problème de front.
Le problème n’est d’ailleurs pas seulement celui de Jean-Luc Mélenchon. En France, nous avons parfois du mal à reconnaître que des juifs puissent être attaqués pour leur appartenance au peuple juif indépendamment de la dimension purement confessionnelle, car le logiciel républicain ne reconnaît pas d’identité de peuples, qu’elle soit bretonne, basque ou juive. Cette approche universaliste a des vertus auxquelles les Français juifs sont très attachés, mais si l’on souhaite vraiment s’attaquer aux moteurs de l’antisémitisme, il faut aussi accepter qu’être juif n’est pas qu’une identité religieuse.
Preuve en est : on ne peut comprendre ni le projet génocidaire de la Shoah, ni l’existence de l’État d’Israël en prenant seulement en compte la dimension religieuse. Le régime nazi n’a pas mené des persécutions religieuses contre les juifs mais raciales, et Israël n’est pas le Vatican juif, c’est le pays d’un peuple, pas d’une religion.
De par son histoire, le peuple juif a donc une identité cultuelle mais aussi historique, culturelle, politique, sociétale (et maintenant nationale à travers l’Etat d’Israël) et chacune de ces dimensions peut faire l’objet d’une forme de haine. Au fond, réduire l’antisémitisme à des attaques religieuses est commode : cela permet d’éviter de s’interroger sur les responsabilités que peuvent avoir ceux qui ont soufflé sur les braises de la haine d’Israël, un des plus puissants moteurs de la haine antijuive depuis les attaques du 7 octobre 2023, partout dans le monde.
Mathieu Lefèvre, député Ensemble pour la République
J’ai proposé de faire de la lutte contre l’antisémitisme une grande cause nationale parce que ce n’est pas seulement l’affaire des juifs de France. Il faut faire en sorte que tous les Français se sentent concernés, car c’est un danger pour la communauté nationale : l’antisémitisme est toujours le sismographe d’une société qui ne va pas très bien et le prélude à d’autres maux.
Si le nombre d’actes antisémites a explosé depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme est présent de façon très importante dans notre pays depuis plusieurs années. On enregistrait jusqu’ici près de 500 actes de cette nature par an, soit 50 à 60 % des violences antireligieuses. Ce qui est absolument massif, compte tenu du poids relatif de la population juive, qui ne représente que 1 % de la population nationale.
Cette lutte fait, évidemment, déjà partie du plan national d’action de lutte contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme, qui prévoit des actions spécifiques. Mais cela ne semble pas suffisant. Faire de ce combat une grande cause nationale lui donnera d’abord une visibilité beaucoup plus importante et permettra aussi de sensibiliser tous les citoyens afin que chacun se sente responsable de ce fléau et de ses conséquences potentielles. Compte tenu de l’explosion du nombre d’actes, du contexte international, mais aussi des départs des juifs de France vers Israël, il est temps de redire que ces derniers sont les bienvenus.
Il est d’autant plus important de solenniser cette cause que, dans le débat public, la lutte contre l’antisémitisme n’est pas unanimement partagée, ou partagée de façade. On voit bien, chez certains hommes politiques d’extrême gauche, la difficulté à nommer les choses quand il y a des actes aussi graves que l’attentat contre la synagogue de La Grande-Motte. Il y a, par ailleurs, tout un discours qui peut contribuer à libérer la parole antisémite.
Une grande cause nationale engagera les pouvoirs publics, mais elle devra aussi mobiliser la société civile et les entreprises parce que l’antisémitisme s’exprime partout. Elle pourra prendre la forme d’une campagne de communication d’envergure, d’un fonds de soutien pour le financement de projets éducatifs et mémoriels sur la Shoah, bien sûr, mais aussi sur l’histoire de cette haine depuis deux mille ans, ou encore la forme d’un agenda avec des événements (expositions, stages pédagogiques) organisés par les collectivités locales.
Cela passera également par des actions de la part d’ambassadeurs, qui peuvent être des historiens, des philosophes, des militants, des personnalités de la société civile, mais aussi des personnes d’autres communautés religieuses. Il y aura des actions concrètes, mais l’objectif est de faire en sorte que cette lutte devienne l’affaire de tous. »