Les petits Marseillais, tu as beau essayer de les dissuader, ils n'en font qu'à leur tête." Khalil, 26 ans, a passé une partie de son adolescence à faire le grand saut depuis la Corniche "à la recherche d'un petit frisson". Mais "en vieillissant" et après avoir vu l'un de ses collègues "s'ouvrir salement le bras" sur un rocher, il a rangé cette pratique au rayon des souvenirs. "Quand je les vois sauter aujourd'hui, je me revois plus jeune. J'ai un peu de nostalgie, raconte le jeune homme. Mais j'ai aussi peur pour eux. Parfois je dis à certains de ne pas le faire, que les accidents n'arrivent pas qu'aux autres... Mais ils ne font que ce qu'ils veulent."
"On pourra dire qu'on l'a fait"
Dimanche, un homme s'est gravement blessé en sautant à la mer depuis la corniche Kennedy (7e). Le trentenaire qui venait de plonger d'une dizaine de mètres, au niveau du pont de la Fausse-Monnaie, était retrouvé inconscient par les marins-pompiers qui le réanimaient, avant de le transporter à l'hôpital dans un état grave. Un nouvel accident (un quadragénaire avait trouvé la mort au même endroit durant l'été 2022) qui ne freine pas les ardeurs des jeunes Marseillais. Toujours plus nombreux à s'élancer depuis la langue de béton qui surplombe la Méditerranée.
Hier, Valéry et Florent, la quinzaine, n'ont que "vaguement entendu parler" de l'accident de la veille. Et n'ont pas renoncé pour autant au grand plongeon. "On saute aux Goudes d'habitude mais la Corniche, c'est autre chose, lance Valéry. C'est connu dans toute la France. T'as l'adrénaline mais y'a aussi le fait de pouvoir dire que tu l'as fait. Beaucoup de monde saute ici... mais cela ne veut pas dire que c'est un passage obligé."
Avant ce shoot d'adrénaline, les deux ados du 6e s'assurent d'être filmés durant leur envol, "pour l'envoyer aux collègues sur Snap ou Insta". Et malgré leur toute petite expérience, ils certifient savoir ce qu'ils font. "Je ne plongerais jamais seul, promet Florent. On sait aussi où sauter grâce à des tags sur le parapet. C'est devenu comme un hobby. Pendant l'été, on passe presque toutes nos journées à la mer. On bronze un peu, on voit des filles quand y'a moyen... Et on saute."
"Si vous sautez, je vous filme !"
Durant ces journées en short de bain, sacoche et TN détrempées ("c'est des fausses, je les ai achetées juste pour sauter"), les promeneurs du bord de mer sont parfois les premiers à "engrainer" les jeunes voltigeurs. Sur un paddle près du rivage, une femme demande : "Si vous sautez, je vous filme ! Vous pouvez crier 'Allez l'OM'". Les deux jeunes s'exécutent et réalisent, au risque de leur vie, la story Instagram parfaite qui immortalise le séjour marseillais de cette touriste.
Si le plongeon est dangereux, il est aussi formellement interdit sur le littoral depuis la signature d'un arrêté municipal en 2006. Une interdiction que les policiers nationaux, municipaux et des médiateurs tentent de faire respecter. En 2023, 1 200 interventions ont été réalisées "pour prévenir les plongeons" sur le littoral par les médiateurs de la Ville.
Des amendes pouvant aller jusqu'à 150 €
"On mène d'abord un travail de sensibilisation durant l'année, avec des campagnes dans tous les collèges de la ville, explique Marc Foyer, à la tête des 24 hommes et des 5 embarcations de la brigade nautique de la police nationale. Puis au début de l'été, on parcourt le littoral, pour aller vers ce public et répéter les dangers de cette pratique. Quand je parle de mon expérience et d'une intervention où j'avais remonté le corps d'un père de famille noyé après avoir sauvé deux enfants qui avaient sauté, je vous assure que ça marque. Et si ça ne suffit pas, on passe à la verbalisation avec des amendes pouvant aller jusqu'à 150 €. On en distribue une dizaine par été."
Si ce travail "commence à payer", le chef de brigade nautique dénombre encore "trop" d'accidents : "Malgré les JO et notre engagement fort dans le dispositif de sécurité des épreuves de voile, c'est un sujet que nous ne lâchons pas."
La Provence