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Prolongement de la ligne 14 : de Paris à Orly, les habitants de la banlieue sud n’«attendent que ça»
Reportage à vélo le long des sept nouvelles stations de la future colonne vertébrale du réseau de transports transilien, qui ouvrent leurs portes au public ce lundi. Avec un gain de temps considérable pour les travailleurs et les habitants.
Il paraît que c’est bientôt «le grand jour». Lundi 24 juin, le prolongement de la ligne 14 sera lancé par Emmanuel Macron à Saint-Denis Pleyel, au nord de Paris. Mais c’est au sud de la capitale que va se produire la plus grande transformation. Sept nouvelles stations vont ouvrir, dont six dans le Val-de-Marne, avec un terminus déplacé d’Olympiades (XIIIe arrondissement) à l’aéroport d’Orly. Avec un million de voyageurs par jour en 2025 selon Ile-de-France Mobilités, la 14 va détrôner la ligne 1 et devenir l’une des plus empruntées au monde. Quatre jours avant le grand saut, on a enfourché notre vélo et roulé de Maison Blanche (XIIIe arrondissement) à Orly. Un trajet qui nous a permis de saisir l’attente des Franciliens pour l’arrivée d’une ligne adorée des usagers.
9h30 : Maison Blanche, le métro parisien se densifie encore
Des ouvriers remettent un peu de terre, installent la scène de l’inauguration, d’autres s’occupent des ascenseurs, dont les plastiques n’ont toujours pas été enlevés. On est sur l’avenue d’Italie, dans le XIIIe arrondissement de Paris, au pied de la tour circulaire Super-Italie, avec sa piscine au dernier étage. Des personnes vont et viennent des grands immeubles qui longent la nouvelle station. On attrape un jeune couple qui sort de là. Les deux blondinets se tiennent par la main, affichent un sourire qu’on aimerait tous avoir à cette heure-là de la journée. On leur demande ce que ce prolongement va changer dans leur quotidien. «Il va venir plus vite chez moi», rigole la fille. Lui ne va pas s’en servir pour aller au travail, car il œuvre dans le Ve arrondissement, mais «pour les loisirs, sortir à Châtelet, carrément», lâche-t-il avant de s’échapper. Romuald, lui, travaille juste ici dans l’ingénierie. Il habite à Aulnay, «a hâte de l’ouverture» car il gagnera «facilement» quinze minutes matin et soir. Sur une nacelle au-dessus de nous, des ouvriers installent les derniers carreaux de l’ombrière qui abritera bientôt les usagers.
10h15 : Hôpital Bicêtre, l’hôpital desservi des deux côtés
Clémence s’avance tranquillement vers l’entrée ouest de l’hôpital de Bicêtre, 5 000 salariés, son badge à la main. Cette ingénieure d’étude à l’Inserm, qui attend son deuxième enfant, travaille ici. Elle ne va pas utiliser la ligne 14 tous les jours, mais «elle est plus fiable que la ligne 7, que beaucoup de [ses] collègues utilisent». Près d’elle, un homme regarde par-dessus la barrière du chantier l’installation de l’estrade baptisée «Le grand jour» et les premiers tests de la sono. «Cela fait vingt-sept ans que je suis les travaux de la ligne 14 !» balance Hugues, électricien à l’hôpital. Il habite à Saint-Denis. Une heure et dix minutes le matin comme le soir, «quand il n’y a pas de problème». Il va gagner vingt-cinq minutes sur chaque trajet. Le grand gaillard, crâne rasé, assure en se marrant avoir appris à son collègue du PC Sécurité une bonne nouvelle il y a trois semaines : plus besoin pour lui, qui habite à L’Haÿ-les-Roses, de prendre deux bus et un métro, il sera au travail en à peine quinze minutes. Hugues ajoute : «J’ai 62 ans, je suis fatigué, le RER D est un enfer, j’en ai marre des longs tapis roulant de Châtelet toujours en panne, du monde, des touristes…» On lui demande si ça va lui changer la vie : «Je suis à la retraite dans six mois.»
11h15 : Villejuif Gustave-Roussy, futur hub de la banlieue sud
Le chantier est ici colossal. La ligne 14, colonne vertébrale des transports parisiens, croisera fin 2025 la ligne 15, dorsale sud de l’agglomération. L’imposant hôpital Gustave-Roussy de Villejuif, en face de la station qu’on pourrait confondre avec un stade, est entouré de dizaines de taxis qui se garent là où ils peuvent. Assise face au chantier colossal de la station de métro, Ilisabete – avec un «i», à la portugaise – habite à Vitry. Cette brancardière souriante aux cheveux châtains bouclés vient à vélo et ne compte pas utiliser le métro au quotidien. «Mais je le prendrai lundi, le premier jour ! Histoire de voir concrètement à quoi servaient tous ces travaux.» Pas de chance pour elle, «Villejuif Gustave-Roussy» est la seule station du prolongement sud qui n’ouvrira pas la semaine prochaine, mais plutôt à la fin de l’année, selon la RATP. On lui demande tout de même quel trajet elle fera. Ilisabete ne s’est pas encore posé la question et se rend compte que ce n’est pas si pratique. C’est la ligne 15 qui lui changera véritablement la vie, grâce à une gare qui va sortir de terre à côté de chez elle. D’ici un an et demi, des millions de passagers passeront chaque semaine dans les profondeurs de ce qui deviendra le hub le plus important de la banlieue sud.
12h45 : L’Haÿ-les-Roses, désenclavement d’un quartier résidentiel
On est resté un temps perdu dans nos pensées, à regarder un ouvrier installant la scène de l’inauguration grâce à une échelle utilisée comme des échasses, sans poser le pied au sol. Les derniers préparatifs semblent plus avancés ici que pour les stations précédentes. Derrière le comptoir de la boulangerie L’Hayssienne, Prescillia l’assure : «La ligne 14, on nous en parle tous les jours. A nous demander où en sont les travaux, quand cela va ouvrir…» La patronne a acheté ce commerce il y a cinq ans, sachant que la gare ouvrirait bientôt. Entre-temps, trois barres d’immeubles ont été détruites pour laisser place au nouveau métro. Autant de clients en moins. «Mais ça sera largement compensé par ceux que le métro va nous ramener.» Des personnes qui prenaient le bus à 5 ou 10 minutes d’ici vont devoir passer juste devant. C’est la première gare de métro ou RER à L’Haÿ-les-Roses, à peine désenclavée par le tramway T7 qui passe à la frontière est de la ville. On est dans un quartier essentiellement résidentiel, bien plus dense que la moyenne dans la petite couronne selon l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), et la moitié du parc d’habitation consiste en des logements sociaux. De l’autre côté de la station, deux personnes, la vingtaine, reviennent avec leur déjeuner. «J’habite juste à côté, mais franchement je l’utiliserai rarement, juste pour sortir à Paris. Je ne me déplace qu’en voiture», confesse Thibaut. Plus on s’éloigne de la capitale, plus la voiture redevient reine : 42 % des trajets domicile-travail sont d’ailleurs réalisés en voiture dans le quartier de la gare, contre un tiers en moyenne dans la métropole du Grand Paris. En attendant la révolution des mobilités lundi ?
13h30 : Chevilly-Larue, le marché de Rungis connecté au réseau primaire
Longtemps oublié des politiques de transports en commun, le marché international de Rungis, essentiel à la nourriture des Franciliens, est le paradis des voitures et des camions. Malgré tout, à l’entrée sud du lieu, un ballet de bus et de tramways attend que le métro violet les rejoigne d’ici quelques jours. Autour de la gare cuboïde, sobre et effilée, quelques arbres plantés, des pelouses qui peinent à démarrer et de larges allées blanches forment un sas entre la station et un enchevêtrement de bâtiments. Certains pratiquement neufs, d’autres en construction. Benjamin (1) promène un grand chien noir dans ces allées. Il est pompier, mais ne travaille plus à la caserne qui fait face à la nouvelle gare. Désormais, il besogne dans le Xe arrondissement de Paris. Cette ligne 14 qui arrive ? «C’est royal, lâche-t-il, avec le ton du soulagement. Tous mes collègues qui habitent ici n’attendent que ça.» Le matin, il doit prendre son poste très tôt, trop tôt pour le tramway T7 qui circule dans notre dos. L’ouverture aux aurores du nouveau métro va lui permettre d’arrêter les Noctilien et le RER B. On lui demande ce que tout ce temps gagné va changer dans sa vie. Il est surpris : «Franchement, je n’en sais absolument rien.»
15h30 : Orly-Thiais, à la rescousse du RER C
Un énorme cube s’est posé au milieu d’une zone d’activité de 24 000 emplois quasiment inhabitée et un peu tristoune. De lourds engins de chantier nettoient la base de vie dans un bruit incessant. Baptisée Pont de Rungis – Aéroport d’Orly, la gare du RER C, pourtant à 5 km du site aérien, est abritée dans un bâtiment bien plus modeste. Le lieu sera en revanche un symbole du maillage des transports ferrés franciliens (16 lignes de métro, 14 de tram, 14 de RER et Transilien) en train de passer de l’extraordinaire au stratosphérique grâce à des lignes qui ne se croiseront plus essentiellement à Paris mais également en banlieue. Les usagers pourront passer ici d’un RER qui multiplie les problèmes techniques à une ligne 14 réputée sans problème ou presque. On demande à un chauffeur de bus RATP si l’arrivée du métro ici va changer quelque chose dans son service. «On n’a aucune info, on sait juste qu’un arrêt va être ajouté sur la ligne», dit-il à son volant, avant de parler de ses conditions de travail, de montrer une boîte bleue échouée dehors qui fait office de toilettes, de l’absence de salle de repos. La ligne 14, c’est la même famille RATP, cela va améliorer la situation de lui et ses collègues, non ? «Même pour ça, on n’en sait rien.» A 16 h 30, le chantier s’arrête, plus un bruit, même les RER glissent silencieusement en contrebas. Un gars, casque audio noir et cheveux attachés, explique au téléphone qu’«avec la ligne 14, [il sera] à Châtelet en vingt minutes», avant de descendre sur les quais.
16h45 : Orly, l’aéroport et ses salariés connectés au réseau parisien
Il fallait voir la tête des automobilistes tomber sur des vélos dans le dédale de voies de l’aéroport d’Orly, alors qu’on suivait les panneaux «métro». Aéroports de Paris (ADP) veut bouter les voitures individuelles hors du site. Et, en plus du «plan vélo 2030», la ligne 14 est la principale pièce de cette ambition. En dessous du terminal 3, une grille large de 15 ou 20 mètres empêche l’accès à la gare, la seule des sept du sud à sembler fin prête. Deux coordinatrices service client d’ADP font coucou à des collègues qui sont dans la station. «Je n’en connais pas qui vont l’utiliser parmi les salariés, reconnaît Christine, avec la veste bleu marine classe de l’aéroport. On prend parfois le service à 5 heures, certains habitent au sud et viennent en voiture. Mais pour les touristes qui iront dans Paris ou vers les gares, c’est sûr que ça sera génial.» Certains craignent en revanche que cette arrivée ne sonne le glas de l’Orlybus. Près d’un escalator en surface, lui aussi fermé d’accès, des touristes vont et viennent en demandant comment emprunter le métro. Deux Franco-Libanais qui reviennent de Beyrouth doivent aller à Gare de Lyon pour rentrer dans la capitale des Gaules. S’y rendre en métro ? «Ça aurait été exceptionnel», dit l’un d’entre eux avec un doux sourire. Ils hésitent à prendre le train Orlyval, dont le modèle économique sera brisé par la ligne 14. Près d’une heure de trajet, contre 25 minutes à partir de lundi. A côté d’eux, une dame prend en photo la signalétique du métro encore endormi. C’est l’attraction du moment.