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Au Soudan, les ravages de la guerre civile dans le silence international
Les combats, qui s’étendent, risquent de faire sombrer le pays dans la pire des crises humanitaires.
Les janjawids, « les diables à cheval », ont délaissé leurs montures depuis très longtemps. Mais ces miliciens, en majorité arabes, responsables du génocide contre des ethnies africaines du Darfour il y a vingt ans, commettent à nouveau des crimes de masse. Tueries de civils, violences sexuelles... À bord de pick-up, ils foncent dans les villages et les villes, pillent les stocks de nourriture, détruisent des marchés aux bestiaux, incendient des maisons de cette région de l'ouest du Soudan, grande comme la France.
Ces miliciens forment aujourd'hui le cœur des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », opposées aux forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. Les FSR sont près de contrôler tout le Darfour. Il ne leur manque que la ville d'El-Fasher, seule capitale de la région - comptant cinq États - qui résiste encore.
Dix millions de déplacés
Quatorze mois après le déclenchement de la guerre civile entre les deux armées, le 15 avril 2023, les atrocités commises contre la population et le risque de famine passent presque inaperçus. Pourtant, le conflit aurait fait au moins 100000 morts, d'après des estimations d'experts et de membres d'ONG. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 7,2 millions de Soudanais ont dû quitter leur maison.
Avec les 2,8 millions déjà déplacés à la suite des précédents conflits, c'est près d'un quart des 44 millions d'habitants qui le sont aujourd'hui dans leur propre pays ou sont réfugiés chez les voisins, le Tchad et le Soudan du Sud. « Le Soudan est marqué par l'une des pires crises que le monde ait connues depuis des décennies, et la réponse humanitaire est profondément inadéquate », a écrit jeudi sur X le président international de Médecins sans frontières (MSF), Christos Christou. « Ce conflit, d'une violence inouïe, est conduit sans aucun respect des civils et du droit humanitaire », précise Michel Lacharité, responsable des opérations d'urgence de MSF France.
À El-Fasher, la ville assiégée par les FSR, l'ONG a été témoin ce dernier mois de la fermeture de deux établissements hospitaliers où elle opérait. « Le 8 juin, les FSR sont entrés dans l'hôpital Sud, ont ouvert le feu, pillé la pharmacie, la caisse de l'administration de l'hôpital et une ambulance de MSF, détaille le responsable au sein de l'ONG.
Le 11 mai, un bombardement aérien des FAS à côté de l'hôpital pédiatrique a entraîné l'effondrement du toit et tué deux enfants et un soignant. » Face aux FSR de Hemetti, les FAS d'Al-Bourhane usent en effet d'artillerie et de bombardements aériens pour essayer de désenclaver certains de leurs bataillons. Et peu importe le nombre de victimes civiles directes. « Les forces armées soudanaises utilisent aussi depuis des décennies la famine comme méthode de guerre pour tuer les personnes qui ne sont pas sous leur contrôle, affirme Kholood Khaïr, directrice du think tank Confluence Advisory. Elles empêchent aujourd'hui l'acheminement d'aide humanitaire du Tchad vers les populations civiles du Darfour. »
Seul espoir de répit, les pluies
Nouveauté dans cette guerre civile, c'est tout le pays qui est touché par les combats, la capitale, Khartoum, l'État d'AlJazirah comme la région du Kordofan. « On peut parler de longue descente aux enfers, remarque un expert qui connaît le pays depuis plus de vingt ans et préfère rester anonyme. Je n'ai jamais vu une telle faillite d'un État. Cette guerre s'ajoute à de multiples crises. Il y a, de plus, un renfermement des Soudanais sur leur communauté tribale. C'est très inquiétant pour l'avenir. »
Le conflit entre les FSR et les FAS se double en effet de rivalités tribales, de rancœurs historiques et de luttes pour l'accès aux ressources minières et pétrolières du pays. Hemetti est un fils de chamelier originaire du Darfour, région périphérique délaissée, et Al-Bourhane, le rejeton de l'élite traditionnelle riveraine du Nil, proche des islamistes au pouvoir sous la dictature d'Omar Al-Bachir (1989-2019). Le premier est soutenu par les Émirats arabes unis, la Libye et les Russes de Wagner, le second par l'Égypte, l'Iran et le Qatar.
Aucun acteur international n'a réussi à forcer les belligérants à négocier un cessez-le-feu, malgré le risque de famine. Le climat pourrait-il le faire ? La saison des pluies vient d'arriver, celle des inondations ne va pas tarder. « Les FSR se battent principalement au sol, analyse Kholood Khaïr. Les offensives terrestres vont devenir plus difficiles avec les inondations. Les généraux devraient donc porter leur guerre à la table des négociations. »
La Tribune