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Dans son rapport final publié lundi 27 mars, la mission d’enquête de l’ONU fait état de preuves « accablantes » de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés à l’encontre des migrants, mais aussi de Libyens, dans des centres de détention légaux et illégaux.
Un bilan plus que noir. La détention arbitraire, le meurtre, la torture, le viol, la réduction en esclavage, la disparition forcée relèvent d’une « pratique généralisée » en Libye, conclut la mission d’enquête de l’ONU dans son rapport final publié lundi 27 mars. La mission présidée par le Marocain Mohamed Auajjar ajoute à la liste, pour la première fois, l’esclavage sexuel pratiqué notamment dans les centres de trafic de migrants de Bani Walid et de Sabratah.
Conséquence des viols réguliers, des femmes tombent enceintes et parfois accouchent en détention sans soutien médical, selon des témoignages recueillis. « Pendant la nuit, les gardes viennent avec une torche, s’approchent des femmes, en choisissent une et la violent », rapporte un témoin. Pendant ce temps, les hommes ont ordre de dormir.
Créée en juin 2020 mais pleinement opérationnelle à partir de juin 2021, la mission se devait d’enquêter sur les violations des droits humains perpétrées depuis début 2016 en Libye. Malgré un travail fréquemment entravé par les autorités nationales rivales ou locales, elle affirme avoir accumulé des « preuves accablantes » de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Elle entend communiquer ces faits à la Cour pénale internationale, y compris avec une liste d’« auteurs possibles » de ces crimes, alors que son mandat s’achève le 4 avril.
Ces crimes sont commis aussi bien par les milices armées que par les forces de sécurité de l’État. On les retrouve y compris dans les centres de détention officiels sous le contrôle de la Direction de la lutte contre la migration illégale (DCIM, rattachée au ministère de l’intérieur à Tripoli), sous la responsabilité des garde-côtes libyens ou encore de l’Autorité de soutien à la stabilité, important groupe armé financé par le gouvernement de Tripoli.
Le rapport pointe l’activité très lucrative de l’exploitation des migrants, au travers de « la traite, l’asservissement, le travail forcé, l’emprisonnement, l’extorsion et la contrebande » et ce au profit d’individus, de groupes mais aussi d’institutions de l’État. La mission réclame en conséquence que « cesse tout soutien direct ou indirect », financier, technique et logistique au profit de ces entités.
Le soutien de l’Union européenne « a aidé et encouragé la commission de ces crimes », a dénoncé Chaloka Beyani, membre de la mission. Parmi les nombreux migrants qui fuient par la mer, 25 000 ont été interceptés par les garde-côtes libyens en 2022, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Nombre d’entre eux n’arrivent pas à sortir du cycle infernal de capture, recapture et transfert d’un lieu de détention à un autre, officiel ou illégal. Y compris parmi les 43 000 personnes enregistrées comme réfugiés ou demandeurs d’asile, que le HCR n’arrive à faire sortir du pays qu’au compte-gouttes. Depuis le début de l’année, 161 ont pu être évacués. Ils ont été 2 234 en 2022.
La mission a collecté des preuves de collusion entre les garde-côtes et les responsables de centre de détention, notamment à Zaouïa, un des principaux points de départ en mer depuis les côtes libyennes.
Le sort de nombreux Libyens n’est pas plus enviable. Des personnalités politiques, des défenseurs des droits humains, des juges, des procureurs, des personnes en raison de leur orientation sexuelle soupçonnée ou avérée, etc., sont également victimes à grande échelle d’assassinat, de disparition forcée, de détention arbitraire, de torture, en toute impunité. Ainsi, à Benghazi, l’activiste Hanane Al Barassi a été assassinée en 2020, la députée Sihem Sergiwa a été enlevée en juillet 2019 pour ne plus jamais réapparaître.
Les femmes sont particulièrement victimes de violence, un phénomène aggravé par la prolifération des armes dans le pays. Le rapport parle ainsi de la « semaine sanglante » de l’Aïd de juillet 2022, au cours de laquelle au moins six féminicides ont été perpétrés. Les enfants eux-mêmes ne sont pas épargnés. Le rapport cite le cas de deux enfants de 5 et 14 ans exécutés devant leur famille à Mourzouq, dans le sud du pays, en mars 2019, parce que leur père combattait du mauvais côté. Des adolescents syriens ou libyens sans documents d’identité, ou appartenant à des minorités ethniques, sont recrutés, et continuent à l’être, comme combattants.
Dans ce contexte, la mission demande que son travail soit poursuivi. Elle préconise la création d’un « mécanisme d’enquête international indépendant et doté de ressources suffisantes » par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et celle d’un autre mécanisme avec mandat permanent sous la houlette du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme.