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À cause d’une prothèse vaginale, Élodie a préféré mourir : « Elle ne souffrait pas, elle agonisait »
Thomas raconte le calvaire de sa femme, à qui l’on a posé un implant pelvien sans son consentement. La douleur était telle qu’au bout de quatre ans d’agonie, il l’a accompagnée se faire euthanasier cet été en Belgique.
Les enfants sont couchés. Il n’y a plus qu’un silence écrasant dans le salon. Celui de l’insupportable absence. Face caméra, Thomas, crâne rasé, le regard doux et si triste, finit par éclater en sanglots. Durant deux heures, tout défile dans ses yeux. On y voit ce choc brutal, ressenti il y a quatre ans. Une déflagration lorsque le chirurgien annonce à sa femme Élodie qu’il lui a posé une prothèse pour renforcer son périnée. Sans lui en parler. L’horreur de découvrir que la France l’interdit trois mois plus tard. L’impuissance de la voir souffrir à en mourir. Le crève-cœur de l’euthanasie en Belgique. L’adieu. Il y a deux mois.
« Elle ne souffrait pas, elle agonisait, lâche cet agent administratif de 40 ans, depuis La Réunion. Elle n’avait pas une seconde de répit, pas un médicament pour la calmer. Elle vomissait, elle vomissait… Je la prenais dans mes bras mais même un câlin lui faisait mal. »
Son accouchement en 2010 lui laisse une déchirure profonde du périnée. Après Benjamin, leur fille Maëlys naît quatre ans plus tard. Mais il y a cette gêne persistante, sensation étrange que le muscle ne tient plus. Dans un hôpital de la région parisienne qu’on leur conseille, le chirurgien en fait son affaire : « C’est rien du tout ! On va couper et resserrer. Ils ne sont pas capables de le faire à La Réunion ? », ironise-t-il.
« Elle avait l’impression qu’on lui avait écartelé le bassin »
Comme à son habitude, Thomas est de tous les examens aux côtés d’Élodie. Ils se sont rencontrés sur les bancs de la fac à 20 ans. Il rit en évoquant sa drôlerie, loue son intelligence. Elle étudie les lettres, devient enseignante, elle a ça dans le sang. Le couple fou amoureux s’offre une petite maison sur les hauteurs de Sainte-Marie et parle d’un troisième enfant. En un regard, ils se devinent. Et celui d’Élodie après l’opération ne dit rien de bon. À son réveil, ce 6 novembre 2019, jour de ses 37 ans, son corps ne la porte plus. « Elle avait l’impression qu’on lui avait écartelé le bassin, comme un effondrement de l’intérieur. »
Le chirurgien parisien les rassure : il a posé une prothèse par voie vaginale. Son périnée est renforcé. Elle n’aura jamais de descentes d’organes. « Une… quoi ? », fait répéter Élodie, en l’apprenant. Thomas se souvient de ce grand professeur qui ne se débine pas et de ses mots lâchés comme une formalité : « Avec ce que je vous ai fait, vous n’aurez jamais de problème ! »
Au fil des jours, la douleur insidieuse cisaille son ventre. À force de protestation, le retrait de la prothèse est programmé. Thomas s’arrête : « Là, tout s’est aggravé. » L’implant, ancré dans sa chair, ne peut s’enlever. Y toucher provoque une telle rétraction du vagin que la prothèse perfore deux fois celui d’Élodie. « Dès 2005, on a alerté les autorités, tonne l’urologue Xavier Gamé. Ces plaques, comme on les appelle, étaient tellement agressives que 25 % des patientes avaient de graves complications. » Quand la France les proscrit en février 2020, le couple tombe de sa chaise. Élodie et les autres portent plainte pour « blessures involontaires ».
« J’en peux plus, prépare-toi. Ça va bientôt se finir. »
Le poison se distille, la clouant sur son lit jour et nuit, en proie à de graves infections. Elle s’écroule parfois au milieu du salon. Thomas remue ciel et terre, mais rien n’y fait. Les protocoles, les médicaments puis l’opération de la dernière chance aux États-Unis. Là-bas, le chirurgien parvient à enlever la prothèse. Mais prévient : « À l’intérieur, c’est une boucherie. » « J’en peux plus, prépare-toi, lui répète son épouse. Ça va bientôt se finir. » Voilà des mois qu’elle évoque sans la nommer l’euthanasie et qu’elle se conditionne. « Elle disait qu’elle essayait de se détacher des enfants. Mais ce n’était pas vrai, jamais elle ne refusait leurs câlins. Ils lui donnaient de la force. »
Les lèvres pincées, Thomas marque un long silence. « On s’est battus, vraiment… » Jusqu’à ce jour sous la douche où il la voit souffrir le martyre. « C’était plus possible. Je lui ai dit : Si tu tiens pour moi et les enfants, tu peux partir… » « Merci… », répond Élodie, délivrée. Le voyage en Belgique s’organise. À la maison, on compte les dernières nuits. Elle enlace les enfants, leur laisse des albums photos. Jusqu’au bout, le 23 août, Thomas rêve d’une volte-face. Sur le tarmac, il demande : « Tu es sûre ? » Dans l’avion : « Vraiment ? » À l’hôpital belge : « On peut encore tout annuler ? » Mais Élodie perd du sang. Il est temps. Thomas se souvient de son visage en mourant. Pour la première fois, en quatre ans, il était apaisé.
Le Parisien