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À Paris, les affiches des otages du Hamas sont vite arrachées
Que reste-t-il des visages de Gad, Noam ou Eliya, captifs à Gaza, dont les visages ont été placardés dans la capitale à l’initiative d’organisations juives ? Pas grand-chose, a constaté « le Parisien ».
Vincent Mongaillard et Charles De Saint Sauveur
Les fortes pluiesne freinent pas leur détermination. Ce jeudi à 23 h 30, huit militants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) arpentent l’avenue Trudaine, à Paris (IX e). Seaux de colle et pinceaux en main, ils apposent des portraits « Kidnappé » et « Kidnappée » des otages du Hamas retenus dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre. Les visages de Margalit, 78 ans, Eliya, 27 ans, Karina, 19 ans, ou Noam, 12 ans, apparaissent sur des façades haussmanniennes, des parcmètres, des troncs d’arbre… Des slogans accompagnent parfois ces visages : « Le terrorisme n’est pas une résistance, c’est une barbarie », « Défendre les Palestiniens, c’est condamner le Hamas, défendre les Israéliens, c’est condamner le Hamas, défendre la paix, c’est condamner le Hamas »…
Cet affichage sauvage, donc illégal, vise à alerter les passants sur le sort des 229 captifs (selon le bilan de ce vendredi, de l’armée israélienne) de l’organisation terroriste enlevés en Israël. Une sensibilisation « pour ne pas les oublier »… à une durée de vie extrêmement limitée. Moins d’une heure après le début de l’action, une bonne vingtaine d’affiches ont été arrachées puis jetées sur le trottoir.
Pareil à Marseille, Londres, New York…
Léa Hanoune, trésorière de l’UEJF, découvre le saccage. « Il y a cette violence symbolique de marcher sur les victimes, de les piétiner », commente-t-elle, émue. « Parce que ce sont des juifs, on peut foutre à terre leurs visages. C’est odieux, abominable, il n’y a aucune limite dans l’inhumanité. On peut ainsi mesurer le niveau de l’antisémitisme en France », poursuit Samuel Lejoyeux, président de l’association.
À chaque tournée de collage ces derniers jours à Paris, Strasbourg, Toulouse, Lyon ou Marseille, le constat est le même : la grande majorité des affiches sont endommagées à une vitesse éclair. Certains volontaires essuient même des insultes. Ces dégradations ne sont pas propres à la France. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des nettoyages de même nature à New York, Boston (États-Unis), Londres (Royaume-Uni) ou Melbourne (Australie).
Dans l’Hexagone, Léa Hanoune n’a jamais vu une campagne provoquer autant de rejet, « une négation de la souffrance ». « On a fait des collages pour les Ouïghours aux côtés de SOS Racisme, on a placardé des affiches avec les noms des enfants juifs raflés par les nazis sur les immeubles où ils ont vécu. Là, il y avait très peu d’arrachage. Mais dès qu’on écrit le mot Israël… Le conflit exacerbe les tensions », observe-t-elle. « Le fait d’afficher sa solidarité avec Israël suscite systématiquement une réaction hostile, même lorsque l’on montre la photo d’un bébé enlevé. On a l’impression qu’on nous interdit de l’exprimer », s’indigne Samuel Lejoyeux.
Le choix de se mobiliser au cœur de la nuit répond à des critères de sécurité. « C’est le moyen le plus sûr de ne pas rencontrer trop de monde », explique Yossef, 26 ans, étudiant. Dimanche dernier, lorsque l’UEJF et le Collectif du 7 octobre, créé en réaction aux attaques terroristes du Hamas, ont lancé la première grande opération d’affichage, les bénévoles bénéficiaient de la protection d’un service communautaire de sécurité.
Les affiches à l’effigie des kidnappés ne sont pas forcément déchirées. Certaines sont taguées d’un « OSEF », traduisez « On s’en fout ». « C’est une manière de dire Ne mettez pas ça sous nos yeux », s’alarme Sarah Ouakil, vice-présidente de l’UEJF. Devant la fac de Tolbiac, dans la capitale, elles ont été recouvertes à la bombe de peinture noire. « Ça me choque et ça m’attriste, cela revient à nier les actes du Hamas », s’emporte Lucas, 19 ans, étudiant en licence d’histoire. « Je trouve ça scandaleux, ce sont des victimes de guerre ! » poursuit son pote Ilyess, qui se dit « propalestinien ».
Des réactions « spontanées »
Mais alors, qui sont ces décolleurs ? « Des gens lambda animés par une haine aveugle, qui trouvent normal qu’on fasse disparaître une personne juive. Pour eux, le mal, ce sont les juifs, c’est Israël, qu’ils considèrent comme un pays génocidaire », avance Richard Odier, directeur général du Fonds social juif unifié, qui fédère des centaines d’associations œuvrant dans les domaines du social, de la culture ou de la jeunesse. Lui-même a placardé des visages d’otages il y a quelques jours avant de tomber « par hasard » sur deux arracheurs qui sortaient du métro. « Une jeune femme avec un hidjab et une personne d’une cinquantaine d’années », décrit-il. Les différents représentants de la communauté juive que nous avons interrogés y voient des actions « spontanées », plutôt qu’« organisées » par des « islamistes », des « mouvements propalestiniens » ou des « syndicats d’extrême gauche ».
Du côté de l’avenue Trudaine, dans la nuit de jeudi à vendredi, Elsa, 20 ans, et ses camarades apposent à nouveau les portraits des captifs du Hamas sur la façade, enlevés quelques minutes plus tôt par un inconnu. « On recommencera autant qu’il faudra. On n’a pas peur, c’est notre devoir. De toute façon, c’est encore plus éprouvant de ne rien faire », martèle l’étudiante en école de communication. Nous sommes retournés le lendemain après-midi sur les lieux de ces collages nocturnes. La plupart des affiches appelant à la libération de Gad, 73 ans, ou d’Ohad, 49 ans, avaient disparu. Seuls quelques morceaux de papier ont résisté à la tempête « de haine et d’ignorance ».
Le Parisien