Information
Après l’attaque du Hamas contre Israël, l’inquiétude de la communauté juive en France : « Enlève ta kippa ! »
Le Monde.fr
A Paris, 16 000 personnes se sont rassemblées, lundi, en soutien à Israël. Dans le cortège, beaucoup de Français de confession juive exprimaient leur peur de voir les actes antisémites augmenter dans l’Hexagone.
La rue Manin est « vide », se désole Audrey, 47 ans, « c’est désert » (les personnes citées par leur prénom ont souhaité rester anonymes). Au cœur du 19ᵉ arrondissement de Paris, le quartier des Buttes-Chaumont abrite une importante communauté juive. « Enlève ta kippa ! », ordonne-t-elle à son fils Elie, 14 ans, kippa bleu roi sur la tête. Dans la journée, le collège confessionnel juif de l’adolescent a envoyé un message à tous les parents leur conseillant de « déposer leurs enfants rapidement le matin et de ne pas traîner » devant l’établissement scolaire, d’être « vigilants sur le trajet » et d’« enlever les kippas ». Trois jours après l’attaque lancée par le Hamas contre Israël et la riposte de l’Etat hébreu, beaucoup de citoyens de confession juive redoutent des « tensions et des représailles contre les juifs de France en signe de soutien au peuple palestinien », s’inquiète Audrey.
A Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Nancy, Nice ou encore Lille et Paris, la peur ne les a cependant pas empêchés de manifester leur soutien à Israël. Lundi soir, Ana, 41 ans, a fait partie des quelque 16 000 personnes, selon la Préfecture de police de la capitale, qui ont marché de la place Victor-Hugo, dans le 16e arrondissement, jusqu’au Trocadéro, à l’appel, entre autres, du Conseil représentatif des institutions juives de France. « L’attaque du Hamas a été spectaculaire de cruauté, la riposte d’Israël va être spectaculaire, tout dans cette guerre va être dramatique, pour le peuple palestinien, pour nous ici aussi ; évidemment que ça va nous retomber dessus », craint Ana.
Abigaïl, elle aussi, en est convaincue. Elle a 26 ans et c’est la première fois qu’elle se rend à une manifestation. La jeune femme « commence à en avoir vraiment ras-le-bol de cette haine des juifs ». En France, elle ne se sent pas protégée ; « en Israël, ils savent faire, malgré les événements, là-bas, je me sens en sécurité ». Elle espère bientôt faire son alya, son émigration en Israël, dès qu’elle aura terminé ses études de business et de développement durable.
Les personnalités politiques étaient nombreuses dans le cortège : la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance), le porte-parole du gouvernement et ministre délégué chargé du renouveau démocratique, Olivier Véran, le ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, les présidents (Les Républicains, LR) des régions Ile-de-France, Valérie Pécresse, Hauts-de-France, Xavier Bertrand, et Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Mais aussi l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy et sa femme, Carla Bruni, le président de LR, Eric Ciotti, le député socialiste des Landes Boris Vallaud, le sénateur écologiste de Paris Yannick Jadot…
Les mots se bousculent dans la bouche de Sarah, 40 ans, consultante dans un cabinet de recrutement. Elle parle de « cette attaque sauvage », de « ceux qui veulent tuer tous les juifs », de la cruauté du « Hamas, pas des Palestiniens », de la « peur » qui l’étreint « ici, en France », de « l’incapacité des gens à manifester leur soutien parce que c’est Israël et que ça met tout le monde mal à l’aise », des participants qui « sont pour la plupart des citoyens de confession juive, mais c’est malheureusement toujours comme ça ». Elle parle sans reprendre son souffle jusqu’à ce que l’hymne israélien résonne boulevard Victor-Hugo. Le son de la Hatikvah (« l’espoir » en hébreu, l’hymne d’Israël) vient du troisième étage d’un immeuble. Sarah s’arrête net, met sa main sur le cœur et chante, émue aux larmes.
Violences en Israël, crainte des répercussions en France
Reçu par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, dans l’après-midi, aux côtés d’autres représentants du culte juif, Haïm Korsia, le grand rabbin de France, raconte, lui, un impressionnant « élan de solidarité nationale ». « C’est tellement ignoble, impensable, ça a révulsé tout le monde, provoquant une unanimité forte et touchante », indique-t-il.
Lundi, le ministre de l’intérieur a expliqué avoir donné des consignes claires aux préfets, « avec une vigilance accrue sur Internet », explique M. Korsia. Quelque sept cents signalements ont été effectués sur la plate-forme de traitement des contenus illicites en ligne Pharos. Dix interpellations et quarante-quatre enquêtes ont par ailleurs été ouvertes depuis le début de l’offensive.
Pas vraiment de quoi rassurer les citoyens de confession juive. Partout en France, ce sont les mêmes mots qui reviennent : incrédulité d’abord, puis « horreur », « choc », « stupéfaction » et « inquiétude ». Jeune rabbin orthodoxe de la communauté moderne Ayeka à Paris, Emile Ackermann n’a pas tout de suite réalisé l’ampleur de l’attaque qui venait de frapper Israël. Le jeune homme célébrait un office, dimanche matin, pour les fêtes juives de Sim’hat Torah quand un fidèle lui a appris qu’il se passait quelque chose. Shabbat, suivi de ces festivités, avait imposé aux pratiquants une stricte diète technologique tout le week-end. « Nous savons qu’il y a régulièrement des roquettes qui tombent, des choses qui se passent, donc, au début, je n’ai pas vraiment compris », raconte-t-il.
Ce n’est qu’à 20 heures, dimanche, quand il peut enfin allumer son téléphone qu’Emile Ackermann voit « le déluge de messages et d’informations ». Premier réflexe, s’assurer que la famille là-bas va bien. Trois cousins réservistes ont été mobilisés. Puis, c’est une véritable « boulimie » de nouvelles qui s’empare de lui. Un résumé heure par heure, lieu par lieu des attaques. S’iI est inquiet pour Israël et ses habitants, le jeune homme l’est aussi pour les juifs de France. Comme à chaque flambée de violence en Israël, le jeune rabbin craint des répercussions en France. « On a appris depuis tout petit que, quand il se passe quelque chose en Israël, il faut faire attention chez nous, mais moi je vais continuer à porter ma kippa, c’est un acte de résistance, j’ai le droit de dire que je suis juif », insiste-t-il.
« La peur ne fait pas partie des sentiments autorisés dans le judaïsme, je dis à tous de ne pas avoir peur. Etre vigilant oui, faire attention oui, mais hors de question de vivre sous cloche pendant des semaines », explique pour sa part Mendel Samama, rabbin de Strasbourg.
« Le même sentiment d’effroi que le 13-Novembre »
Pour les juifs de France, le choc de ces attaques est d’autant plus grand qu’il évoque un souvenir encore bien vivace : celui des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. « J’ai le même sentiment d’effroi que le 13-Novembre, explique ainsi Patrick Klugman, avocat et président du Comité français pour Yad Vashem, l’institut international pour la mémoire de la Shoah, ça nous prend aux entrailles. »
Aucune des barrières « symboliques » qui permettent, explique-t-il, de se protéger moralement n’est présente. « Ce ne sont pas des militaires visés, cette fois, ils sont allés chercher des enfants, des petits vieux, ils ont fait un massacre dans une fête comme nous en avons connu… », souffle-t-il, la voix pleine d’émotion. Lui, comme les autres, a peur que la situation « ne fasse des émules ici en France » : « L’idée de tuer des juifs qui se sentent une proximité avec Israël va forcément passer par quelques cerveaux. »
Pour prévenir d’éventuels incidents dans les universités, Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France, a pris langue avec plusieurs administrations afin de les inciter à prendre quelques précautions. « Dès avant-hier, il y a eu des communiqués d’organisations d’extrême gauche qui ont été insupportables », explique le jeune homme.
Pour beaucoup, les ambiguïtés de La France insoumise et les prises de parole de Jean-Luc Mélenchon, refusant de qualifier l’attaque de terroriste, ont été insupportables : « Nous sommes écœurés, Ce sont des gens qui nous considèrent comme des cibles légitimes », regrette ainsi Emile Ackermann. Pour Samuel Lejoyeux, avec cette attaque, c’est plus qu’Israël qui est visé, c’est « le refuge de tous les juifs ».
Le Monde