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LFI, le Hamas et Israël : la véritable histoire derrière le communiqué "de la honte"
Le diable se cache toujours dans les détails, dans les non-dits. Ce samedi 7 octobre, depuis le petit matin, la classe politique française dénonce unanimement les exactions terroristes du Hamas sur le territoire israélien, venu depuis la bande de Gaza. Dans les rangs insoumis, un long et lourd silence, des heures durant. Aucun député, aucun cadre ne réagit avant 13 heures, l’heure choisie par Jean-Luc Mélenchon pour donner le la, la marche à suivre. Dans un tweet condamnant "une violence [qui] ne produit et ne reproduit qu’elle-même", il renvoie dos à dos le Hamas et Israël. Une trentaine de minutes plus tard, un communiqué de presse du groupe parlementaire insoumis est publié par Mathilde Panot, cheffe de file des parlementaires LFI. "Un communiqué de la honte", dixit un Insoumis en disgrâce, qui oublie sciemment de qualifier les milices de "terroristes", solennise même leur action devenue une "offensive armée de forces palestiniennes". Voici le Hamas ainsi transformé en armée régulière.
"Le contraire de ce communiqué m’aurait réjoui, admet la sénatrice Laurence Rossignol. Mais rien ne va dans ce texte qui ne condamne pas clairement le Hamas ni l’attaque terroriste… Je ne comprends pas que les Insoumis refusent d’affirmer clairement que le terrorisme ne travaille jamais pour la paix." Le texte a été rédigé en catimini, en une trentaine de minutes, et discuté dans la boucle Telegram du "bureau" insoumis, cette instance dirigeante regroupant les plus fidèles lieutenants de Mélenchon et dont ont été exclus ceux trop critiques du chef tels Alexis Corbière, Clémentine Autain, Raquel Garrido ou encore François Ruffin. Tous les membres dudit bureau n’étaient pas présents et n’ont pas pu discuter le texte.
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"Il faudra trier les Insoumis"
C’est Danièle Obono qui s’est occupée de rédiger la première version du texte, de quoi faire grincer des dents au sein du mouvement. La députée LFI de Paris - proche du Parti des indigènes de la République pour qui les attaques du Hamas relèvent de "la résistance palestinienne" - avait déjà fait parler d’elle aux législatives de 2022 en conviant l’ex-dirigeant anglais du Labour Jeremy Corbyn qui avait qualifié en 2009 le Hezbollah et le Hamas d’"amis" et avait été suspendu du Parti travailliste en 2020 pour ses défaillances "inexcusables" quant au "manque de volonté de s’attaquer à l’antisémitisme" au sein du mouvement. "Danièle a été très impliquée", confirme une de ses collègues LFI. Aussitôt, François Ruffin réagit à rebours de la direction, et reçoit le soutien d’Alexis Corbière et d’autres, plus discrets.
Avec ce communiqué loin d’être le fruit d’une impréparation, la Nupes a atteint un point de non-retour. Que Jérôme Guedj, celui qu’on surnomme au PS "le premier Insoumis chez les socialistes", grand défenseur de la coalition créée en 2022 - lui qui fut le fils prodige de Mélenchon dans les années 2000 avant leur longue séparation - l’affirme de but en blanc est loin d’être anecdotique. Le député de l’Essonne s’est dit dégoûté devant l’absence de compassion de Mélenchon et d’autres Insoumis, estimant même que "la question" de rester dans la Nupes "se pose" désormais.
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Plus encore, l’idée d’une coalition de gouvernement allant du PS jusqu’à LFI, hypothétique mais souhaitée par beaucoup à gauche pour mener la prochaine campagne présidentielle de 2027, apparaît désormais caduque. Il ne s’agit plus de travailler à des compromis entre un Smic à 1 800 ou à 2000 euros, d’une négociation sur l’âge de départ à retraite, ni de se mettre d’accord sur la désobéissance aux traités européens, mais bel et bien d’un moment de vérité comme rarement la gauche française en a connu. "La vraie question, c’est de savoir si ces Insoumis-là, le petit clan autour de Mélenchon et ceux qui refusent de dénoncer le terrorisme du Hamas, peuvent rester dans la Nupes. Est-ce à nous ou à eux de quitter l’union de la gauche, feint de s’interroger un cadre socialiste pro-Nupes. Manifestement, si l’on veut un jour travailler à une coalition gouvernementale, il faudra trier les Insoumis."
"Une partie des élus LFI est indifférente à l’antisémitisme"
Plus que de faute politique, d’autres insoumis évoquent de "faute morale" sur fond de cynique stratégie politique poussée par Jean-Luc Mélenchon depuis plusieurs mois : l’explosion de la Nupes. "Jean-Luc avance vers une candidature et l’alliance le gonfle. Il demande un texte et tient une position dont il sait pertinemment bien qu’elle ne sera pas acceptée par les partenaires. Et si ça pète, ça l’arrange, ça le libère…", confie un vieux partenaire de route de Mélenchon, dépité de voir une nouvelle génération de cadres insoumis "dénués de culture politique et historique". Et de renchérir : "En France, parce que Vichy, parce que la Shoah, on a la responsabilité de faire attention à nos mots, poursuit le même insoumis. Cela n’empêche pas de défendre la cause palestinienne."
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Un autre message, plus pernicieux, a ajouté du feu aux poudres de la Nupes. "La haine attire la haine", a écrit la députée LFI Ersilia Soudais, renvoyant la responsabilité des attaques à Israël. Une rengaine qui n’est pas sans rappeler une vielle antienne antisémite utilisée dans les années 1930, qui a perduré sous d’autres formes après 1945. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit : le rapport de la gauche - intellectuelle et politique - avec Israël, avec les juifs. "Trente ans de malentendus" écrivait déjà l’historien François Furet dans Le Nouvel Observateur en 1978 : "L’Israélien vainqueur [prend] la place qu’occupait le ploutocrate juif dans l’imaginaire de droite ou de gauche au XIXe siècle."
En 2022 déjà, Ersilia Soudais soutenait la résolution portée par les communistes condamnant "l’institutionnalisation par l’Etat d’Israël d’un régime d’apartheid". Une rupture avec la position traditionnelle communiste sur le conflit israélo-palestinien : pour la première fois de son histoire, une partie de la gauche remettait en cause la politique de l’Etat hébreu "depuis 1948", date de sa création. Bref, son existence même. Pourquoi les mêmes qui encensent la Révolution française remettent en cause la légitimité de l’autodétermination politique d’Israël ? Jean-Luc Mélenchon s’est toujours défendu de tout antisémitisme, mais la question d'un laisser faire au coeur du mouvement se pose. "Une partie des élus LFI est indifférente à l’antisémitisme, juge une cadre socialiste. Ce n’est pas leur sujet, car ce n’est pas leur électorat ni leur culture." Le malheur juif vaudrait-il moins que d’autres ? Cela s’appelle le communautarisme ; et les faits sont têtus, disait Lénine.