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En Chine, la disparition du ministre de la Défense alimente les rumeurs
Cet été, le chef de la diplomatie n'avait pas été vu en public pendant un mois avant d'être démis de ses fonctions.
ASIE Wang Yi a esquivé le sujet brûlant pendant les près de douze heures d'entretien qu'il a eues avec Jake Sullivan, à Malte, ce week-end, selon le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden. Le plus haut diplomate de la Chine communiste n'a offert aucun indice sur les causes de la « disparition » de son ministre de la Défense, Li Shangfu, lors de cette rencontre discrète visant à stabiliser les relations entre les deux premières puissances mondiales.
Selon le Financial Times, les services de renseignements américains estiment que le général Li est visé par une enquête pour corruption. Ce fidèle du président Xi Jinping n'est plus apparu en public depuis le 29 août, lors d'un forum Chine-Afrique, à Pékin et a annulé un déplacement au Vietnam « pour raison de santé », prévu le 7 septembre. Depuis, le régime se mure dans le silence, fidèle à son culte du secret, pendant qu'enfle la rumeur d'une nouvelle mise au pas abrupte d'un personnage de haut rang, après celle du ministre des Affaires étrangères Qin Gang, pendant l'été. Le diplomate avait disparu des radars pendant un mois, avant d'être démis de ses fonctions d'un trait de plume, le 25 juillet, et Pékin n'a depuis offert aucune explication sur la cause de sa disgrâce.
La chute de Li, si elle se confirme, marquerait un second revers de fortune d'un fidèle du président Xi, à l'orée de son troisième mandat, seulement quelques mois après leur nomination dans la foulée du Congrès de l'automne dernier, qui avait consacré la mainmise sans partage du dirigeant le plus centralisateur depuis Mao. Une brièveté inhabituelle dans ce régime obsédé par la stabilité, nourrissant l'hypothèse de tensions internes à l'appareil, sur fond de difficultés économiques grandissantes. Le dirigeant aurait même été tancé par les caciques du Parti lors de leur conclave estival à Beidaihe, avance le Nikkei sans présenter de sources tangibles. Un dossier scruté par la Maison-Blanche, qui guette les signes d'instabilité à Pékin, et tente de rétablir des canaux de communication avec le commandement chinois, pour prévenir un éventuel dérapage en Asie-Pacifique.
Le général Li est la cible d'un nouveau coup de filet anticorruption au parfum de purge au sein de l'Armée populaire de libération (APL) visant huit hauts gradés, selon plusieurs sources. Fin juillet, le général Li Yuchao, commandant de l'unité des « fusées stratégiques », chapeautant les forces nucléaires du pays, ainsi que son adjoint Li Guangbin ont été remplacés, et seraient depuis sous enquête, accusés d'avoir accepté des pots-de-vin. Xi a rappelé à l'ordre ses troupes, lors d'une tournée des garnisons dans la province du Heilongjiang, le 8 septembre, exhortant « un haut niveau d'intégrité dans l'armée », préférant inspecter sa frontière nord-est, plutôt que de participer au sommet du G20, à New Delhi, auprès des grands de ce monde. Une absence sans précédent remarquée, nourrissant les spéculations de tensions en interne exigeant sa présence. Les bouleversements de l'organigramme militaire confirment « qu'il existe des frictions entre Xi et des hauts personnages de l'appareil », juge Lee Dong Gyu, spécialiste à l'Asan Institute, à Séoul. Pour autant, « son pouvoir demeure sans rival » tempère le sinologue.
Cette nouvelle purge signale les défis rencontrés par Xi dans sa volonté de contrôle absolu de la pléthorique APL, encore aiguillonnée par la rébellion du groupe Wagner, en Russie, pays partenaire et ancien « grand frère » soviétique.
Si l'affaire ne remet pas en cause son rôle incontesté de chef des armées, à la tête de la toute-puissante Commission militaire centrale (CMC), l'APL étant soumise au Parti, elle trahit des frictions et les limites de la quête centralisatrice du « prince rouge ». « Ces troubles dans les hauts rangs militaires indiquent que la campagne anticorruption menée depuis une décennie n'a pas réussi à discipliner l'APL. Les pots-de-vin lors des appels d'offres sont monnaie courante. Cela ne remet pas en cause son autorité, mais Xi risque de douter de son commandement », juge Eurasia Group. Derrière la chasse aux pots-de-vin, pointe l'agacement devant un haut commandement arc-bouté sur ses prébendes, jaloux de ses prérogatives, ralentissant la modernisation de l'armée, avec Taïwan en ligne de mire.
Des difficultés impactant la stratégie extérieure de la Chine, notamment en direction de Washington. Le président a été furieux d'apprendre bien trop tard de ses généraux l'existence d'un « ballon espion » de l'APL survolant le territoire américain fin janvier, rapporte le New York Times , citant les services de renseignements américains. L'aéronef sera finalement abattu par l'US Air Force, torpillant la fragile détente diplomatique lancée par Xi lors du sommet du G20, à Bali. Depuis, l'unité stratégique des « fusées » est dans le collimateur de Pékin.
« Il faut adhérer sans relâche à un ton de rigueur » et réaffirmer la « discipline » a encore déclaré Xi le 26 juillet, lors d'une inspection de casernes dans l'ouest du pays. Une oeuvre de longue haleine, lancée dès son premier mandat, marqué par la chute de plusieurs « tigres » galonnés, dont les généraux Xu Caihou et Guo Boxiong, tous les deux vice-présidents de la CCM. En 2016, Guo est condamné à la prison à perpétuité pour « corruption », sonnant la reprise en main de l'état-major, marquée également par une réorganisation des commandements régionaux.
La mise à l'écart de Li, visé par des sanctions américaines pour sa coopération avec Moscou, pourrait, si elle se confirme, paradoxalement lever un obstacle à la reprise d'un timide dialogue avec le Pentagone. Pékin avait décliné une rencontre avec le secrétaire d'État à la Défense, Lloyd Austin, en juin lors du Shangri-La Dialogue de Singapour, exigeant au préalable la levée des sanctions américaines contre son ministre. Ce dialogue de sourds, malgré l'accumulation d'incidents entre marins et aviateurs des deux géants, nourrit dans les capitales de la région la crainte d'une erreur de calcul en cas de crise.
Le mystère entourant le sort du ministre de la Défense chinois, après celui de son collègue des Affaires étrangères, épaissit encore le voile enveloppant la diplomatie de la seconde puissance mondiale, entrée dans une période de flottement. Il attise aussi l'anxiété d'une région Asie-Pacifique condamnée à scruter les contours d'ombres chinoises toujours plus fuyantes.
Le Figaro