L’opération doit durer au moins jusqu’en 2050 et suscite un véritable tollé dans la région, sur fond de rivalités entre États. « L’océan est la propriété de toute l’humanité, ce n’est pas un lieu où le Japon peut arbitrairement rejeter de l’eau contaminée », a fustigé, mardi 22 août, le porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin. Après la Chine, Hong Kong vient de décider d’interdire les importations de produits alimentaires de dix départements japonais, dont celui de Fukushima.
Les opposants traditionnels à l’atome civil dénoncent également la décision des autorités. « Le gouvernement japonais a opté pour une fausse solution - des décennies de pollution radioactive délibérée dans l’environnement marin - à un moment où les océans du monde sont déjà sous haute tension », affirme Greenpeace dans un communiqué.
Après plus de deux ans d’enquête, cinq missions sur le terrain et six rapports techniques, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a pourtant rendu public un rapport de 130 pages le 4 juillet, affirmant qu’il n’y avait rien à craindre. Le plan proposé « est conforme aux normes de sûreté de l’AIEA, qui servent de référence mondiale pour la protection des personnes et de l’environnement », souligne-t-elle.
Son directeur général, Rafael Mariano Grossi, n’a pas ménagé ses efforts pour l’expliquer, notamment sur les réseaux sociaux. Selon lui, «l’impact radiologique des rejets d’eau traitée serait négligeable». Pour assurer le maximum de transparence, l’agence s’est par ailleurs engagée à faire effectuer des échantillonnages par différents laboratoires, et à mettre les données en libre accès.
Mais rien n’y fait. Très écouté, lorsqu’il parle de la situation de la centrale ukrainienne de Zaporijjia, le patron de l’AIEA semble inaudible quand il s’agit de Fukushima. Le nucléaire reste un sujet sensible au Japon et les pécheurs craignent que plus personne ne veuille acheter leur poisson à l’avenir. Surtout, les autorités n’ont jamais fait preuve de beaucoup de transparence, ce qui explique en grande partie la méfiance de l’opinion.
« L’opération ne présente pourtant pas de difficultés techniques majeures et demeure parfaitement maîtrisée », souligne Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire souligne majeures (IRSN). L’eau qui a servi, depuis douze ans, à refroidir en permanence les cœurs des réacteurs entrés en fusion, a déjà été grande partie filtrée et purifiée.
Le traitement a permis d’éliminer les 62 principaux composés radioactifs présents dans l’eau, à l’exception du tritium. Mais selon les scientifiques, cet isotope de l’hydrogène n’est dangereux que s’il est ingéré ou inhalé en très grande quantité. Il perd sa radioactivité au bout de 12,3 ans.
Selon les engagements pris par l’opérateur Tepco, l’eau traitée sera encore diluée avant d’être renvoyé dans l’océan, afin que la concentration du tritium soit très inférieure aux normes internationales. La radioactivité des rejets, effectués au large via un conduit d’un kilomètre, sera de l’ordre de 1 500 becquerels par litre (Bq/L), alors que les limites à ne pas dépasser ont été fixées à 10 000 Bq/L par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le premier déversement devrait durer « environ 17 jours » et porter sur 7 800 m3 d’eau « tritiée » de la centrale, affirme Tepco, dans un communiqué publié mercredi 23 août. Il en prévoit trois autres d’ici fin mars 2024, pour des volumes équivalents ou inférieurs au premier.
« Au final, les quantités rejetées devraient être équivalentes à celles effectuées lorsque la centrale était en fonctionnement. Elles sont similaires à ce que rejette quotidiennement chaque centrale française dans la mer ou dans les fleuves, et même inférieures à ce qui est rejeté en mer à La Hague, au large de l’usine de retraitement », relève Jean-Christophe Gariel.
Selon lui, il y a un risque dont on parle peu à Fukushima : ce serait de conserver dans les conditions actuelles l’eau qui a été traitée. Elle est entreposée dans un millier d’énormes réservoirs, chacun pouvant contenir l’équivalent de deux piscines olympiques. Mais certains d’entre eux sont menacés par la rouille et tous sont quasiment pleins. Une solution doit donc être trouvée très rapidement.
Plusieurs pistes avaient été explorées pour évacuer l’eau contaminée comme celle d’effectuer des rejets dans l’atmosphère, par évaporation, ou de la confiner dans du béton. Finalement, c’est le choix du rejet en mer qui avait été retenu, pour des raisons d’efficacité, de sûreté et de coût. @La Croix