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Un « JDD » version Geoffroy Lejeune finalement publié ce dimanche, malgré une vague de départs.
MÉDIAS - Près de la moitié de la rédaction du Journal du Dimanche a déjà plié bagage. Après 40 jours de grève, l’officialisation de l’arrivée de Geoffroy Lejeune, ex-directeur du journal d’extrême droite Valeurs actuelles, comme nouveau directeur de la rédaction de l’hebdomadaire le 1er août, a précipité les départs.
Si le site web du JDD a repris ses activités dès mercredi 2 août, la publication dans les kiosques ne devait recommencer qu’à la mi-août, avait indiqué le groupe Lagardère dans un communiqué. Contre toute attente, Le Monde et Libération ont révélé ce samedi 5 août au soir qu’une édition était en bouclage pour ce dimanche 6. Ce qui a été confirmé tard dans la soirée sur les réseaux sociaux de l’hebdomadaire, avec une première Une dans le style craint par les démissionnaires.
Dans les kiosques ce dimanche, le journal sera bien plus maigre que d’ordinaire : 32 pages au lieu d’une cinquantaine habituellement, ce qui s’explique notamment par l’absence de publicités, les annonceurs se tenant éloignés du JDD depuis la grève. Comme l’annonçait en premier Libération, la nouvelle secrétaire d’État à la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, est la première membre du gouvernement à y accorder une interview. Toujours selon le quotidien, l’animateur de CNews Pascal Praud aurait également participé à l’élaboration de cette édition, « un espace de chroniques [lui] a été réservé ».
Partir ou rester ?
Pourtant, selon le site d’information Les Jours, ils sont déjà une soixantaine de journalistes, sur un total d’une centaine, à avoir annoncé quitter le navire, ce qui a forcément rendu complexe la conception de ce premier numéro de la nouvelle mouture. Et la vague de départs est loin d’être terminée, la date limite pour annoncer sa démission ayant été fixée au 15 octobre.
Après l’échec de leur mouvement inédit commencé le 22 juin, les grévistes ont fini par reconnaître leur défaite et conclure un accord avec la direction du groupe Lagardère, propriétaire du titre. Ce dernier définit « la mise en place de conditions d’accompagnement pour les journalistes qui souhaiteraient quitter la rédaction », a fait savoir le groupe.
Dans les faits, les salariés en contrat depuis moins de deux ans vont pouvoir toucher trois mois de salaire. Ceux qui travaillent pour l’hebdomadaire depuis plus de deux ans auront le droit à deux mois de salaire par année d’ancienneté. Enfin, les journalistes avec plus de quinze ans d’activités au JDD seront payés un mois de salaire par année travaillée, détaillent nos confrères de Télérama. Et tous les partants auront le droit à 5 000 euros sur leur compte de formation professionnelle, ainsi qu’à trois semaines de dispense d’activités.
Les journalistes sont donc face à un « dilemme douloureux », raconte un des ex-grévistes à l’AFP : quitter la rédaction pour laquelle ils ont un attachement certain, ou rester en étant dirigé par un proche du candidat d’extrême droite à la présidentielle de 2022 Éric Zemmour. D’autant plus que beaucoup d’observateurs voient derrière la nomination de Geoffroy Lejeune la main du milliardaire Vincent Bolloré, aux opinions réputées ultraconservatrices, et dont l’empire est en train d’absorber Lagardère.
« Aujourd’hui, nous avons perdu une bataille, mais notre lutte ne s’éteint pas. Notre rédaction disparaît, mais un collectif puissant s’est formé. Il restera vivant au sein d’une association qui verra le jour dans les prochaines semaines », assurent les journalistes.
Des recrues 100 % Valeurs actuelles
Depuis que Geoffroy Lejeune a officiellement pris ses fonctions, sur Twitter, les annonces de départ se multiplient, à l’instar de Vivien Vergnaud, ex-rédacteur en chef du site Internet du journal, qui écrit sur son compte : « Fin d’une grève de quarante jours et, plus personnellement, bientôt la fin d’une carrière de 15 ans au sein de ce journal. » Même son de cloche chez Antoine Malo, grand reporter au service Étranger depuis une vingtaine d’années. « Ma décision est prise depuis longtemps, et c’est plus qu’une évidence. Je suis droit dans mes bottes car je tiens ma ligne de conduite, qui l’emporte sur la peur de ne plus avoir de boulot », explique-t-il à Télérama.
Or si les journalistes désertent la rédaction, par qui la direction va-t-elle les remplacer ? D’après les informations de Libération, Geoffroy Lejeune n’arrive pas seul au JDD. Le journaliste d’extrême droite a déjà recruté Cyril de Beketch, jusqu’ici directeur délégué de la rédaction de Valeurs actuelles et ancien journaliste de Minute, un quotidien d’extrême droite disparu en 2020, et de National Hebdo, le journal du Front national dans les années 1990.
Parmi les nouvelles recrues, compte aussi Charlotte d’Ornellas, elle aussi ex-journaliste de Valeurs actuelles et visage récurrent d’une autre entité de la sphère Bolloré, CNews, qui dirigera le service Société du JDD. Mais également Raphaël Stainville, encore une fois un ancien de Valeurs actuelles, « qui pourrait diriger le service politique du JDD », précisent Les Jours. Et comme le note l’AFP, dans l’édition de ce dimanche 6 août, on retrouve plusieurs noms bien connus des médias Bolloré : Pascal Praud donc, mais aussi Jacques Vendroux ou Éric Naulleau par exemple. Comme autant de pompiers de service conviés pour sortir à tout prix cette semaine et faire (un peu) oublier la grève.
Mais ce n’est pas une poignée de journalistes amis qui pourront former de nouveau une rédaction, croient savoir les désormais ex-grévistes. À ce propos, Bertrand Gréco, le coprésident de la Société des Journalistes (SDJ) indique que les candidats ne manquent pas : « Depuis l’annonce de la nomination de Geoffroy Lejeune, on reçoit une grande quantité de mails de candidature, révèle-t-il dans Télérama. Des gens pas toujours journalistes, mais qui se disent prêts à combattre le wokisme, l’islamisme ou l’avortement. Il n’aura pas de mal à reconstituer une rédaction. De là à produire un journal, c’est autre chose. » Pas sûr en effet que le JDD disponible en kiosques ce dimanche soit au goût des nombreux anciens…