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Data Rockets
Le recours extrême aux chiffres est l’un des secrets de la réussite de Houston, toujours en position de renverser le champion en titre Golden State. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
YANN OHNONA HOUSTON (USA) –Le succès de Houston, décroché sur le parquet des Warriors hier (95-92), a-t-il été programmé par ordinateur ? La question semblera stupide au plus grand nombre, pas à Daryl Morey, le manager général des Rockets, désormais dos à dos avec Golden State, deux victoires partout, avant un clash crucial la nuit prochaine dans le Texas.
Bien sûr, la victoire dépend des joueurs et de tout ce qu’ils laissent de sueur sur le parquet. Mais le scénario de ces phases finales, qu’on parle des protagonistes ou du jeu développé, a été imaginé, voilà des années, par Morey, diplômé en sciences informatiques, gourou des chiffres et de ce qu’on appelle les « statistiques avancées », les « analytics », dont il a cofondé l’influent colloque annuel, la Sloan Sports Analytics Conference, à Boston.
“Les gars qui font des « analytics » ? Des mecs qui n'ont jamais joué
Charles Barkley
En plus de sa collection de All-Stars – Chris Paul, James Harden… –, cette approche scientifique est l’autre secret de Houston, auteur de la meilleure saison de son histoire (65 victoires - 17 défaites). De quoi parle-t-on ? D’un usage extrême des « data », les données, pour établir la construction d'un effectif, jouer pour générer le plus de points, avoir la meilleure défense, déterminer les zones de tirs à privilégier ou à éviter, s’il faut tirer plus à 2 ou 3 points… La réponse se trouve dans des algorithmes. À la manière de traders sur les marchés, on examine les données pour établir des prédictions. On calcule les risques pour les limiter au minimum et obtenir la plus grosse productivité, la meilleure rentabilité.
Le facteur humain est réduit au minimum. Comme l’assumait, dès 2011, Morey dans une tribune à la revue Business de Harvard : « Aujourd’hui, les analystes (les professionnels des chiffres, mais aussi les scouts, les recruteurs…) ne suffisent pas à générer ce petit avantage qui fait que votre équipe gagnera dans la durée. Qu’est-ce qui peut faire cette différence? Les chiffres bruts. Des chiffres uniques, que les autres n’ont pas. Ils permettent par exemple d’identifier les joueurs que tu dois recruter. »
Si les Rockets sont l’équipe NBA qui, de loin, tirent le plus à 3 points (39,3 par match en saison régulière, un record historique, sur 86 shoots par match, soit pas loin de la moitié des tirs tentés), il ne s’agit pas d’une lubie de son coach, même si Mike D’Antoni a toujours orienté ses équipes vers du jeu et des tirs rapides. Les ordinateurs de Morey ont appuyé ce choix. Ils ont aussi invité Houston à recruter des défenseurs après la défaite l’an passé au deuxième tour des play-offs contre San Antonio (2-4). Et poussé le manager général à initier l’association Harden-Paul, dont beaucoup doutaient de l’efficacité.
Une approche qui en irrite plus d’un. « C’est une arme dont on peut se servir – si on me dit que je serais plus performant dans telle position, tel secteur, pourquoi pas –, mais baser son jeu là-dessus, c’est une connerie énorme, estime Evan Fournier, l’arrière français d’Orlando. Les stats peuvent mentir. Le coaching est quelque chose d’humain, au feeling, qui doit prendre en compte, en temps réel, la fatigue, la confiance… » Charles Barkley, ailier-fort de légende, devenu analyste pour TNT, allait plus loin, en 2015 : « Ce que fait Daryl Morey ne m’intéresse pas. Il est l’un de ces idiots qui croient là-dedans. C’est de la merde ! La NBA, c’est le talent. Tous ces mecs qui conduisent ces entreprises de data ont une chose en commun : ils n’ont jamais joué, n’ont jamais chopé au lycée et veulent juste être dans le coup. »
“Les data, ça marche (...), mais les analytics ne peuvent pas stopper LeBron James
Luc Mbah A Moute, ailier de Houston
Le concept a été popularisé par le film Moneyball (le Stratège) en 2011, qui contait le succès d’une équipe de baseball au budget limité, mais aux résultats optimisés par cette approche. Le recours aux « analytics » essaime depuis plus d’une décennie en NBA. Chaque club y consacre un département entier.
Appliqué à Houston, le phénomène a été renommé « Moreyball », en référence à son GM, qui a construit son équipe pour faire déjouer les Warriors, champions 2015 et 2017. « Au moins 80 % de l’équipe a été construite en se basant là-dessus, nous confiait l’ailier des Rockets Luc Mbah a Moute. Le coach et le manager général savent ce qu’ils font en termes de philosophie. Mike D’Antoni nous pousse à prendre des tirs à 3 points, même des mauvais, en expliquant qu’au final notre attaque est plus efficace si nous prenons tant de tirs de loin. En tant que joueur, c’est dur d’évaluer l’impact, mais il faut être honnête : les data, ça marche… Même si en play-offs, l’humain reprend le dessus : les analytics ne peuvent pas stopper LeBron James (il rit). » Le seul à avoir fait tomber les Warriors avec Cleveland depuis trois ans. Avant Houston ?