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«Il a toujours un temps d'avance» : Brad Stevens, le gourou des Celtics, raconté par son ancien joueur Matt Howard
Ancien employé d'un laboratoire pharmaceutique devenu tacticien hors-pair, Brad Stevens (41 ans) est sur le point d'envoyer les Celtics en finale de conférence Est. L'ex-Strasbourgeois Matt Howard, qui a évolué sous ses ordres pendant quatre saisons à l'université, raconte le «génie» de son ancien entraîneur, dont les méthodes suscitent déjà l'admiration de tous.
Quand il a vu Al Horford prendre position près de la raquette des 76ers, dans les derniers instants de la prolongation du match 3 entre Boston et Philadelphie, Matt Howard a eu un flash. Huit ans plus tôt, alors qu'il jouait encore en NCAA, son coach avait dessiné pour lui un système identique : il s'était retrouvé dans la même situation que le pivot des Celtics, et, comme lui, avait inscrit le panier de la victoire. «Une action simple et intelligente, parfaitement construite.» Coïncidence ? Pas vraiment : l'ancien entraîneur de Butler, improbable finaliste du tournoi universitaire 2010 et 2011, et l'actuel gourou de Boston, qui n'est plus qu'à une victoire de la finale conférence Est 2018, est le même : Brad Stevens, dont le visage poupon renferme le plus brillant esprit tactique de la ligue. Howard, aujourd'hui pensionnaire de l'Hapoel Tel-Aviv, nous a raconté l'influence qu'a eu sur lui ce coach à part, sans doute le meilleur de sa génération.
«Lors du match 3 entre Boston et Philadelphie, Al Horford a marqué le panier de la victoire sur un système génial élaboré par Brad Stevens...
En voyant le résumé du match, j'ai tout de suite reconnu cette action. Brad avait déjà mis en application ce système avec nous, à l'université de Butler. Ce cas de figure - une touche près du panier, tard dans un match aussi serré - est assez rare, mais la force de Brad est d'être toujours prêt, quelle que soit la situation. De tous les coaches que j'ai pu côtoyer, il est celui qui connaît le plus de systèmes offensifs : il aura toujours un plan de jeu à dégainer pour s'adapter à la défense adverse. Cela suppose une grosse charge de travail à l'entraînement, car Brad voulait que l'on puisse appliquer ces plans de jeu même dans les situations où il ne possédait plus aucun temps mort. C'est une chose rare, chez un entraîneur.
En quoi cette action est-elle représentative du coaching de Brad Stevens ?
Elle montre à quel vitesse il peut s'adapter à la stratégie adverse. Dans un premier temps, Brad ne regarde que le comportement de la défense des 76ers : il prend l'information, demande un temps-mort, et élabore en quelques secondes un système destiné à exploiter ce qu'il vient de voir - en l'occurence, que les 76ers changeaient sur tous les écrans. Sa réponse tactique est parfaite, d'autant que personne ne s'attend à voir Horford prendre le tir.
''Brad est un génie'', a lâché Al Horford après avoir inscrit le panier de la victoire. Pensez-vous la même chose ?
Je ne pense pas que Brad apprécierait que je le qualifie de «génie». Ce dont je suis certain, c'est que c'est quelqu'un de profondément humble. Il ne sous-estime personne, et part du principe que chacun à quelque chose à lui apprendre. Un jour, il nous a présenté un nouveau système qu'il avait élaboré en s'inspirant d'une tactique observée chez un coach de troisième division universitaire. C'est ce qui lui permet d'avoir toujours un temps d'avance sur les autres. Et maintenant que les autres entraîneurs s'inspirent de lui, je sais qu'il travaille encore plus dur pour rester innovant.
L'un de vos anciens équipiers a dit : ''Travailler la défense à Butler avec Brad Stevens est la chose la plus difficile que j'ai jamais faite dans ma vie de basketteur.'' Vous confirmez ?
Oui. Les deux premières semaines d'entraînement de Brad, au début de chaque saison, étaient entièrement consacrées à la défense. Il nous faisait bosser très dur, mais c'est sur cette défense que nous avons construit notre identité collective. On ne faisait quasiment jamais de défense de zone, uniquement de l'individuel. Notre credo, c'était la combativité, le contact, le mouvement. Nous étions une équipe de 'cols bleus', et nous en étions fiers.
Le pensez-vous capable d'emmener Boston jusqu'au titre sans ses deux leaders, Kyrie Irving et Gordon Hayward, blessés ?
Quand j'ai vu coach Stevens l'été dernier, il était hyper excité à l'idée d'avoir recruté Kyrie et Gordon. J'étais peiné de les voir se blesser, surtout Gordon (avec lequel Matt Howard a joué à Butler). En play-offs, la série tourne souvent à l'avantage de l'équipe qui possède le meilleur joueur, et Milwaukee comme Philadelphie semblaient avoir des individualités plus fortes que Boston. Le succès des Celtics en dit beaucoup sur leur force collective, et prouve qu'ils ont été parfaitement coachés. J'aimerais beaucoup les voir affronter Cleveland en finale de conférence, ne serait-ce que pour voir ce que Brad va préparer sur le plan tactique (face à LeBron James). Je suis sûr que personne ne va les placer en favoris, et c'est exactement ce qui va leur permettre de se transcender. J'aimerais tellement les voir en finale NBA... D'après ce qu'ils ont montré pour l'instant, ça ne me semble pas déraisonnable.
Selon vous, doit-il être élu le coach de l'année ?
Je ne suis pas très objectif : pour moi il doit être coach de l'année tous les ans (rires) ! Mais là, il le mérite vraiment. Le boulot qu'il effectué pour que chacun de ses joueurs soit en mesure de briller, y compris dans des situations où il ne pensaient jamais se retrouver, est remarquable. Il n'hésite jamais à responsabiliser ses joueurs, même ses remplaçants, et sera toujours le premier à les couvrir après une contre-performance. Beaucoup de gens sont impressionnés par le sang-froid des jeunes joueurs des Celtics - Terry Rozier, Jaylen Brown, Jayson Tatum. Pour moi, tout cela vient de Brad, de la confiance qu'il leur transmet : ils sont prêts parce qu'ils savent que leur entraîneur l'est aussi. Il sait construire et développer une 'culture', un objectif commun. Et avec sa connaissance du jeu, il sait maximiser les forces et limiter les faiblesses de chacun.
Qu'est-ce qui le différencie tellement des autres entraîneurs ?
Sa préparation. La plupart des autres coaches préparent leur saison match après match. Brad ne voit pas les choses de cette façon : sa préparation est plus globale, sa stratégie s'applique sur une année entière. Avec lui, tout était bien pensé, ciblé et structuré : nos entraînements, nos séances de muscu, nos réunions, nos sessions vidéo... Il n'y avait aucune perte de temps. Je ne me suis rendu compte que c'était génial qu'après avoir quitté Butler pour jouer en Europe. Je sais qu'il consacre aussi beaucoup de temps à l'analyse des statistiques avancées, et qu'il construit son équipe en se reposant sur le résultat de ces études. Et puis, je le répète, c'est un incroyable tacticien. Croyez-moi, si vous avez besoin d'un coaching gagnant dans le money time, vous pouvez compter sur Brad. Il aura déjà passé une bonne partie du match à préparer le système qui va vous faire gagner.»