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Dans la rade olympique de Marseille, des nurseries à petits poissons pour «permettre à la vie de revenir»
Après deux ans de travaux, la réhabilitation de la base nautique créée dans les années 70 et qui accueillera les épreuves de voile des JO touche bientôt à sa fin. Avec une vocation nouvelle : motiver la réinstallation des petits poissons grâce à des cages leur permettant de se nourrir et se cacher.
La mer est encore calme. A terre, les marteaux-piqueurs s’activent sur les derniers chantiers, un œil sur la montre : lundi 10 juin, la ville de Marseille doit remettre les clés de la marina olympique au comité d’organisation des JO en vue des épreuves de voile qui s’y dérouleront du 28 juillet au 8 août. Il aura fallu deux ans de travaux, pour une facture de 49 millions d’euros (dont 10,5 millions financés par la ville), pour réhabiliter l’ancienne base nautique des années 70.
Les athlètes du pôle France de voile s’y sont déjà installés depuis un an, mais les 330 marins venus du monde entier et attendus pour la compétition n’ont pas encore envahi la rade ce mercredi 5 juin, où une petite équipe de plongeurs s’active sous les pontons du bassin. Ils ont deux jours, avant la parenthèse olympique, pour mettre en eau une quarantaine de petites cages garnies de coquilles d’huîtres : ce sont des nurseries pour petits poissons, destinées à motiver leur réinstallation dans ce bout de rade voué depuis des décennies au béton.
Hervé Menchon, adjoint au maire chargé de la biodiversité marine à Marseille, le 6 juin 2024.
Hervé Menchon, l’adjoint au maire chargé de la mer, n’a pas trouvé de combinaison à sa taille pour plonger avec les cages-nurseries. Mais, pour le symbole, il a porté une écharpe d’élu bleu et blanc, «car ce sont aussi des adjoints de la biodiversité». L’initiative est en effet municipale. Si l’objectif de la ville est de capitaliser sur la réhabilitation de la base nautique pour accueillir, à l’avenir, plus de scolaires, c’est aussi l’occasion pour l’élu écologiste d’inscrire le site olympique dans la feuille de route, fixée par la nouvelle majorité, de «renaturation» de la ville, mer comprise. «Le projet de la marina olympique dans son ensemble a répondu aux normes environnementales, mais nous avons souhaité aller au-delà. Sur terre, nous allons planter une centaine d’arbres à l’automne, installer des refuges à chiroptères [chauves-souris, ndlr], détaille-t-il. Et en mer, nous ne nous sommes pas contentés d’enlever la vase dans le bassin, nous avons créé des percées dans la digue pour oxygéner le site et permettre à la vie de revenir, avec en plus ce projet de nurseries.»
La facture a doublé
Car la base nautique n’accueillait jusqu’alors pas grand-monde côté poissons, explique l’élu. Les plus de 20 000 mètres cubes de vase évacués – qui ont largement contribué à faire doubler la facture du chantier initialement chiffré à 25 millions d’euros – ont en effet dégagé sous l’eau des blocs de béton lisse. Sans aspérités pour se cacher, les petits poissons côtiers se retrouvent ainsi à la merci des plus gros. D’où l’idée de ces cages-refuge développées par la société Ecocean, mandatée par la ville pour mener le projet dans la marina. Leur module, baptisé Biohut, est assez simple : une cage en acier grillagée d’environ un mètre de haut garnie de coquilles d’huîtres, encadrée par deux autres cages, vides celles-ci. Une quarantaine seront immergées dans les eaux du bassin, accrochées aux pontons ou aux digues, pour permettre à tout un écosystème de se développer.
Installation de nurseries à poisson composées de coquillages nettoyés et regroupés dans des cages commercialisées sous le nom de «Biohut».
«Au stade post-larvaire, les poissons côtiers regagnent le littoral pour leur croissance, détaille Antony Fortin, aquariologiste et plongeur chez Ecocean. Là, ils vont chercher des endroits où des aspérités, des complexités, leur permettront de se camoufler. Sauf que dans les sites fortement bétonnisés, ces refuges n’existent plus. Avec les nurseries, les coquilles d’huîtres servent de substrat qui va permettre de nourrir toute une biodiversité, surtout des invertébrés comme des vers, des crevettes, des crabes… Ils vont avoir une fonction nourricière pour les poissons autour.» Les deux cages vides autour permettent, elles, aux petits poissons de se mettre à l’abri le temps de grandir. «Le mérou, par exemple, peut rester jusqu’à 10 centimètres dans le Biohut, ce qui représente plusieurs mois de vie, poursuit le plongeur. Il migre ensuite vers un habitat plus grand, dans des eaux plus profondes.» D’autres poissons côtiers comme les sars, les daurades ou les muges pourraient aussi s’y plaire.
Une trentaine de ports équipés
Avant d’installer les nurseries, ce mercredi, les plongeurs d’Ecocean font un repérage pour dresser un inventaire à l’instant zéro : aucun poisson en vue sous le ponton de la marina. Un nouvel état des lieux sera fait dans un an pour mesurer l’efficacité des Biohut. Depuis 2013, l’entreprise en a installé quelque 5 000 dans plusieurs pays européens, équipant notamment une trentaine de ports du pourtour méditerranéen. «Nous avons huit publications scientifiques qui valident le projet, assure Antony Fortin. Plus de 330 espèces d’invertébrés ont été référencées sur dix ans d’activité et 120 espèces de poissons observées.»
Lorsque les classes de nautisme réinvestiront les lieux, quelques mois après les Jeux olympiques, des activités de sensibilisation autour des nurseries seront organisées.
L’initiative aura aussi des vertus pédagogiques, poursuit l’adjoint Hervé Menchon. Lorsque les classes de nautisme réinvestiront les lieux, quelques mois après les Jeux olympiques, des activités de sensibilisation autour des nurseries seront organisées, explique l’élu. Qui a voulu mettre en œuvre le projet au plus vite, avant de céder le site aux autorités olympiques, «parce qu’on est en période de reproduction pour plusieurs espèces et qu’on ne voulait pas attendre l’an prochain». Les premiers petits poissons, attendus dès la semaine prochaine, devront donc faire avec l’agitation des Jeux. Rien de grave, sourit Antony Fortin : «L’autre jour, on a repéré près du quai, autour de gros cailloux, quelques espèces de juvéniles, et pourtant les travaux de la marina durent depuis deux ans. La nature est extrêmement résiliente.»
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