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A Marseille, le MuCEM fête ses 10 ans et veut changer d’ère
Le nouveau président du musée marseillais, Pierre-Olivier Costa, entend valoriser les collections de l’établissement, changer la signalétique et allonger la durée des expositions temporaires.
Emmanuel Macron l’a dit et répété, il « aime infiniment Marseille ». Il y a passé ses premières vacances présidentielles en 2017 puis lancé, quatre ans plus tard, le plan d’investissement Marseille en grand. Jamais toutefois le président de la République n’avait mis les pieds au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), devenu l’un des sites emblématiques de la ville. Il devrait y faire escale lors d’un prochain déplacement, prévu avant l’été. Le prétexte est tout trouvé : le seul musée national basé à Marseille fête ses 10 ans. Et il se trouve qu’il est présidé depuis novembre 2022 par Pierre-Olivier Costa, l’ancien directeur du cabinet de son épouse, Brigitte Macron.
Ce discret quinquagénaire à l’allure juvénile aimerait bien se défaire de l’étiquette « macronienne », synonyme, pour beaucoup, d’arrogance technocratique. Depuis son arrivée aux manettes du MuCEM, celui que le petit monde politico-culturel appelle par ses initiales, « POC », fait preuve de modestie. Sans jamais se réclamer du palais, il rencontre un à un les acteurs locaux et obtient, si ce n’est leur aide, du moins leur écoute. « Je n’ai pas besoin d’utiliser la main d’Emmanuel Macron pour tordre le bras d’une entreprise. J’ai un projet, et c’est cela que je présente aux sociétés, aux collectivités. »
Le 1er février, Pierre-Olivier Costa participait au dîner organisé par Emmanuel Macron à l’Elysée pour « prendre le pouls de Marseille ». Là, il a pu croiser plusieurs figures locales, dont Rodolphe Saadé, le PDG de la compagnie maritime d’affrètement CMA CGM. Au retour, l’armateur aux bénéfices stratosphériques – 23,5 milliards d’euros en 2022 – l’a invité dans sa loge pour suivre un match de l’OM. Mais le milliardaire n’a pas encore sorti son chéquier pour compenser les 300 000 euros d’économies réclamés en décembre 2022 par Bercy au MuCEM.
Rupture de style
Les politiques marseillais aussi voient venir « POC » avec bienveillance. « Il est largement au niveau, a l’écoute favorable du pouvoir central, c’est important pour nous », note le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, ex-Les Républicains, passé au parti présidentiel, Renaissance, qui doit le rencontrer dans une quinzaine de jours. « Je ne suis ni dupe ni naïf : Christophe Castaner au port de Marseille, Pierre-Olivier Costa au MuCEM… On peut penser que Macron pose des pions sur la ville, glisse, goguenard, le communiste Jean-Marc Coppola, adjoint municipal à la culture. Mais ça ne me pose pas de problème, si cela va dans le sens de nos ambitions. »
Le maire, Benoît Payan (DVG), reconnaît lui aussi avoir été séduit. « Les conditions de sa nomination pouvaient faire naître des interrogations légitimes, alors j’ai voulu me faire mon idée », se souvient-il. Après deux heures d’entretien, l’élu marseillais assure « être en phase avec le plan stratégique » présenté par le nouveau patron du MuCEM. « Il a envie d’ouvrir le musée plus largement aux Marseillais et de collaborer activement avec les établissements municipaux. On jugera sur le long terme, mais c’est une très bonne base », conclut le maire. Jeudi 6 avril, preuve de cette entente cordiale, Pierre-Olivier Costa figurait au premier rang des invités de la cérémonie de réouverture du MAC, le Musée d’art contemporain de la ville.
Les acteurs culturels semblent également rassurés. « On travaille en bonne intelligence, dans une dynamique de partenariat », salue Muriel Enjalran, directrice du Fonds régional d’art contemporain Provence-Alpes-Cote d’Azur, qui lui est reconnaissante de ne pas avoir remis en cause le projet d’exposition olympique qu’elle avait conçu pour 2024 avec son prédécesseur, Jean-François Chougnet.
Derrière la résille de béton du MuCEM, passé la surprise du départ de ce dernier, aux manettes depuis 2014, beaucoup disent apprécier la rupture de style. Dès sa prise de fonctions, le nouveau président, affable et poli, a visité tous les services, serrant les mains et écoutant les griefs. Le 8 février, il a convié l’ensemble des personnels – près de cent cinquante salariés – à un séminaire pour débattre de l’avenir de l’établissement. Du jamais-vu. De cette grande consultation est sortie une première décision souhaitée par des personnels : les expositions temporaires dureront désormais au moins un mois de plus.
« En sous-effectif chronique »
Si les syndicats estiment que le MuCEM « vit en sous-effectif chronique depuis son ouverture », l’établissement, qui a surmonté la pandémie sans dotation supplémentaire du ministère de la culture, est en bonne santé. L’ouverture, en 2022, sur le même parvis, de la réplique de la grotte Cosquer n’a pas siphonné sa fréquentation, qui s’est élevée la même année à 1,2 million de visiteurs, un record. Les deux tiers de ceux-ci, toutefois, viennent uniquement pour profiter gratuitement de la vue spectaculaire qu’offrent le bâtiment signé Rudy Ricciotti et le fort Saint-Jean.
Le musée n’a toujours pas conquis les habitants des quartiers populaires de la ville, malgré quelques initiatives comme le bus Destination MuCEM qui, trois dimanches par mois, va chercher gratuitement une quarantaine d’habitants au pied des immeubles des cités. Quant à la signalétique, elle est tout bonnement catastrophique – « Il faut être devin pour s’y retrouver ! », lâche Pierre-Olivier Costa, qui souhaite la revoir dans son ensemble. Même Jean-François Chougnet le reconnaît : « Le MuCEM est sympathique pour ceux qui ont le mode d’emploi, compliqué pour ceux qui y débarquent pour la première fois. »
Pour doper la fréquentation et toucher des publics dits « empêchés », Pierre-Olivier Costa entend s’appuyer sur la collection d’un million d’objets qu’abritent les réserves. « Ce fonds n’est pas assez présenté, revendiqué, comme si on en avait honte. Il est parfois masqué par un discours scientifique compliqué », se désole le nouveau président, regrettant que « les expositions présentées depuis dix ans se soient faites avec peu d’œuvres de la collection ».
Symboliquement, il a organisé le dernier conseil d’administration au centre de conservation et de ressources du musée, dans le quartier de la Belle-de-Mai. Et lancé ses équipes dans une course contre la montre pour ouvrir, dès décembre 2023, une nouvelle présentation de la collection. « On a dans nos réserves des millions de petites histoires, des petites choses de la vie qui sont comme autant de portes d’entrée pour les publics de ce territoire », assure-t-il, plaidant pour une présentation « jouant plus sur l’émotion ».
« Un vieux serpent de mer, objecte Jean-François Chougnet. On est un musée de brocante, il n’y a pas de Joconde dans les réserves. » Difficile de séduire le public avec deux cents sonnettes de table et quelque huit cents bouillottes. Les plus anciens n’ont pas oublié le flop de l’exposition de préfiguration « Trésors du quotidien », organisée en 2007 au fort Saint-Jean. « On ne peut pas faire de cohérence avec des choses disparates », estime encore Jean-François Chougnet, qui a préféré confronter ce fonds aux regards d’artistes célèbres comme Ai Weiwei ou Jeff Koons. Avant son départ, il a validé un projet avec Damien Hirst qui fera dialoguer, en 2024, sa collection de reliquaires avec celles du MuCEM.
Un spectacle pyrotechnique
Michel Colardelle, en revanche, se retrouve dans l’ardent désir de Pierre-Olivier Costa de montrer davantage les collections. Le médiéviste a apprécié que son lointain successeur l’ait, dès son arrivée, sondé sur l’avenir du musée. C’est lui qui, en 1999, a eu l’idée de délocaliser à Marseille les richesses du Musée national des arts et traditions populaires, à l’étroit dans ses murs à l’orée du bois de Boulogne. Ses collections figées dans la France rurale de la seconde moitié du XIXe siècle n’attirent pas les foules.
Au même moment, l’Etat s’interroge sur l’avenir d’un autre ensemble, le fonds européen du Musée de l’homme, laissé à l’écart du futur Musée du quai Branly consacré aux arts extra-occidentaux. Les deux collections finiront par fusionner en 2013 sur le nouveau site marseillais. « Je ne suis pas son gourou, je suis seulement à disposition », glisse le premier artisan du MuCEM, affirmant qu’« il faut revoir un projet de musée tous les dix ans pour qu’il reste cohérent ».
Pour élaborer ce futur, Pierre-Olivier Costa a nommé, à son côté, une conseillère. Françoise Pams, 71 ans, ancienne directrice de la communication, des relations publiques et du mécénat de la Réunion des musées nationaux puis du Centre Pompidou, possède l’expérience des grands établissements publics, qui fait défaut à son président. Basée à Arles (Bouches-du-Rhône), où elle s’est présentée sans succès en 2020 aux municipales sur la liste du communiste Nicolas Koukas, Mme Pams s’est vu confier la mission de « préparer l’anniversaire des 10 ans et mettre en place la stratégie du président ».
Son style direct, pour ne pas dire cassant, crispe parfois les équipes, qui s’agacent de son côté « Madame Je-sais-tout ». Tout comme sa volonté de marquer les 10 ans du MuCEM, début juin, par un spectacle pyrotechnique confié à Groupe F, jugé « peu en rapport » avec l’esprit du musée. Une irritation que les syndicats n’ont pas manqué de faire remonter à la présidence dès leurs premières rencontres de dialogue social.
Chez les partenaires historiques du MuCEM, comme le festival Marseille Jazz des cinq continents ou le festival du cinéma arabe Aflam, le premier contact avec la conseillère laisse flotter une inquiétude. Celle de voir le musée national se montrer moins généreux à l’avenir. « Pour la programmation des 10 ans, on nous a expliqué que, quand on est invité à un anniversaire, il faut apporter un cadeau… J’avoue que j’ai été un peu surpris », raconte le directeur des Cinq continents, Hughes Kieffer, qui rappelle que ses concerts ont aidé à faire découvrir le MuCEM à un large public.
« Aujourd’hui, la programmation événementielle est faite à 80 % par des partenaires avec lesquels nous n’avons pas de discussions éditoriales », justifie Françoise Pams, qui entend reprendre la main sur l’agenda. « Ce n’est pas exclure les anciens pour avoir des nouveaux, mais se garder de la place pour des choses innovantes », nuance, de son côté, Pierre-Olivier Costa.
Parmi ces nouveautés, l’ex-directeur du cabinet de Brigitte Macron prévoit la création de partenariats annuels avec des villes d’Europe et de la Méditerranée. L’opération MuCEM Tandem commencera dès 2024 mais sera, promet Pierre-Olivier Costa, totalement étrangère à l’agenda politique. « L’idée, dit-il, est de faire des choses en dehors du politique, afin de ne pas troubler les relations culturelles que nous avons avec certains pays. » Promis, le MuCEM ne deviendra pas le bras armé du Quai d’Orsay, ni celui de l’Elysée.
Le Monde