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Rodolphe Saadé, le milliardaire vrai boss de Marseille
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Disposant de moyens financiers extraordinaires grâce aux superprofits de CMA CGM, le milliardaire déverse les millions sur sa ville depuis trois ans. Propriétaire de «la Provence», futur sponsor de l’OM, mécène d’associations et repreneur d’entreprises en difficulté : l’armateur est désormais tout-puissant à Marseille.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 27 février 2023 à 21h10
Dans une aile du palais déserté du Pharo, dédié aux salons professionnels, Jean-Claude Gaudin a conservé un bureau, mis à disposition par Marseille Espérance, l’organisation interreligieuse de la ville. L’ancien maire, 83 ans, reçoit au petit matin ses rares visiteurs qu’il gâte de viennoiseries et de navettes, ces biscuits provençaux parfumés à la fleur d’oranger. De cette pièce qui domine la cité méditerranéenne, l’ex-sénateur remue au hasard de la conversation les souvenirs de sa longue vie politique. Tout y passe : les victoires électorales et les accomplissements, tel le «succès populaire» des Terrasses du port ; les échecs et les regrets, au premier rang le «drame terrible de la rue d’Aubagne» ; les piques contre les adversaires de toujours, comme sa rivale d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains, et la presse forcément ingrate… «J’ai fait de mon mieux», résume dans un souffle Gaudin, qui regarde la ville tracer sa route, sans lui.
L’ex-personnage le plus puissant de Marseille voit un autre homme tenter de lui succéder dans le rôle de figure incontournable. Pas tant son successeur à l’hôtel de ville, le socialiste Benoît Payan, que Rodolphe Saadé, le patron-propriétaire de CMA CGM. Signe d’une époque de plus en plus dominée par les grandes fortunes. De sa fenêtre, qui donne sur les quais, Gaudin peut apercevoir la haute tour vitrée de 145 mètres de l’armateur, symbole du rayonnement du premier employeur privé de la région, et la nouvelle («Mirabeau», 85 mètres), qu’il achève de bâtir. «Rodolphe est compétent, brillant, dynamique et a belle allure, commente le vieux lion fatigué, qui était un intime du père, Jacques Saadé, fondateur de CMA CGM, mort en 2018. Il a été bien préparé à l’action et il fait autorité dans le domaine de l’économie. Cette famille a beaucoup donné à Marseille.»
«Il finira par racheter l’OM»
Longtemps resté dans l’ombre, Rodolphe Saadé, l’héritier de 53 ans qui préside aux destinées de CMA CGM depuis 2017, ne se cache plus. Depuis deux ans, l’homme le plus riche de Marseille (36 milliards d’euros de fortune selon Challenges) fait ruisseler les millions d’euros sur la ville. Des largesses permises par les résultats extraordinaires de son entreprise, dont les 550 porte-conteneurs traversant les océans sont bourrés à craquer sous l’effet du regain économique d’après Covid. Après 1,8 milliard de dollars en 2020 et 17,8 milliards en 2021, le bénéfice net de la multinationale en 2022, qui sera dévoilé le 3 mars, devrait dépasser les 25 milliards de dollars. Soit l’un des plus gros profits de l’histoire du capitalisme français. Qui aurait pu prédire il y a dix ans cette performance de l’entreprise devenue le troisième armateur de la planète, derrière le danois Maersk et l’italo-suisse MSC ? Après la crise financière de 2008, elle avait frôlé la faillite, empêtrée dans les dettes. L’Etat avait dû injecter de l’argent frais et Jacques Saadé se battre pour en garder le contrôle.
A Marseille, où l’entreprise siège sur un boulevard portant le nom de son père, Rodolphe Saadé jouit d’un poids et d’un pouvoir inédits, supérieurs aux positions qu’ont pu connaître en leur temps Gaston Defferre ou Bernard Tapie. «Je n’ai jamais connu ici une telle puissance financière. Son influence politique est évidente, même si Rodolphe n’en abuse pas. C’est un garçon discret qui maîtrise son comportement», constate dans sa voiture Régis Arnoux, 85 ans, admiratif président du groupe CIS, l’une des grandes entreprises marseillaises. «C’est Deep Pocket !» observe Stéphane Richard, ancien PDG d’Orange, qui connaît bien la famille Saadé. Cet amoureux de Marseille, où il a passé son adolescence, siège depuis peu au conseil de surveillance du port : «Rodolphe est sincèrement attaché à la ville. Il est présent, il met de l’argent. Il finira par racheter l’Olympique de Marseille…»
Mécène, bienfaiteur, sauveur
Le boss de CMA CGM n’a pas encore la main sur le club de football, mais il s’en est rapproché à l’automne, en acceptant de devenir son sponsor maillot à partir de la saison prochaine. L’OM venait de perdre son partenaire, Cazoo, plateforme de vente de voitures en pleine déconfiture. Lorsque les dirigeants de l’institution la plus populaire de la ville ont dû trouver une solution, ils se sont tournés vers le plus gros porte-monnaie du coin, qui n’a pas traîné à dire oui. «La décision de Rodolphe m’a surpris», convient Jean-Luc Chauvin, qui n’imaginait pas Saadé s’exposer autant. Le président de la chambre de commerce et d’industrie, qui reçoit au palais de la Bourse, splendide bâtiment Second Empire tout en arcades et galeries, est un inconditionnel du dirigeant de CMA CGM, ce «leader mondial qui se comporte de façon exemplaire» et «qui casse le plafond de verre de l’entreprise de province». «Il montre que, de Marseille, on peut être worldwide [mondial, ndlr]», dit-il en écartant les bras, submergé par l’enthousiasme. Et de lister ses faits d’armes pour la ville, notamment le transfert du siège de la société suisse Ceva Logistics après son rachat en 2019. Le holding familial, Merit, a aussi été rapatrié juridiquement de Beyrouth en 2021 : en voulant se protéger des conséquences de la crise économique au Liban, les Saadé ont conforté leur identité marseillaise.
A l’image de la collaboration avec l’OM ou de l’acquisition en septembre de la Provence, journal local dominant, Rodolphe Saadé multiplie les interventions dans la ville, dont il est devenu le mécène, le bienfaiteur et le sauveur. Au point d’y apparaître comme le recours financier à toute épreuve, celui qu’il faut aller voir si l’on a un projet… Le plus récent exemple : l’annonce, mi-février, du rachat à venir (pour un montant non dévoilé) de la Méridionale, une compagnie de transport maritime de passagers. En difficulté financière, cet opérateur historique de Marseille compte quatre navires et 600 employés pour desservir la Corse et le Maroc. Autre investissement remarqué : à la Pointe-Rouge, sur un site aux airs de paradis entre la mer et les calanques, le groupe fait construire un centre de formation baptisé «Tangram», qui doit profiter aux 150 000 salariés de l’entreprise. Un investissement de plus de 20 millions d’euros, qui s’ajoutera à l’incubateur de start-up Zebox, ouvert en 2018 non loin du siège de CMA CGM.
Depuis l’an dernier, la société finance également une chaire d’oncologie et de neurologie avec l’université Aix-Marseille, grâce à une donation de 5 millions d’euros pour trois ans. Dans son bureau sur la colline du Pharo, fenêtre ouverte sur le bleu lumineux de la Méditerranée, le président de l’université, Eric Berton, se réjouit de cette contribution, «importante car c’est une reconnaissance du monde économique». Il voit moins CMA CGM comme une «entreprise marseillaise» que comme «un grand groupe international ancré sur son territoire». La prochaine collaboration avec la multinationale est dans les tuyaux : elle souhaite œuvrer à la mise en place des «épiceries solidaires» que l’université destine aux étudiants précaires. C’est la fondation de l’entreprise, dirigée par Tanya Saadé, sœur de Rodolphe, qui sera à la manœuvre. Cet autre bras de l’empire CMA CGM à Marseille soutient des dizaines d’associations. Laurent Choukroun, créateur de l’Epopée, «village de l’innovation éducative» installé dans les quartiers nord, dont l’armateur a été le premier partenaire : «CMA CGM un acteur phare qui a envie de contribuer au développement de Marseille. Ils s’impliquent beaucoup plus depuis que Rodolphe Saadé a succédé à son père en 2017. Tant mieux.»
Rodolphe Saadé est-il frappé du syndrome du magnat voulant régner sur ses terres ? Pourquoi cette suractivité frisant l’hégémonie ? A Marseille, elle a rendu le Franco-Libanais, qui vit près de la Corniche, un peu plus incontournable et intouchable. Il suffit d’écouter les politiques locaux, obligés de tresser des lauriers. «J’ai toujours cru dans cette entreprise, même quand elle a failli prendre le bouchon. Nous sommes amis, nous sommes ensemble», commente Renaud Muselier, président (macroniste) de la région Paca. «Vous faites corps à cette ville que vous contribuez à façonner en construisant du vivre-ensemble», louait l’an dernier le maire socialiste Benoît Payan, lors d’une inauguration en présence du PDG. Impossible de se fâcher avec le grand chef d’entreprise de la ville et détenteur de la Provence, qui se tient moins éloigné qu’il le dit du monde politique : Saadé est notoirement proche de plusieurs figures de la droite locale, comme Yves Moraine ou Didier Parakian, et le médecin Yvon Berland, candidat macroniste à la mairie de Marseille en 2020, est administrateur de la fondation CMA CGM.
Impôts ridicules
C’est à Paris, où il passe de plus en plus de temps en raison de ses investissements nationaux récents (Air France, M6…), que Rodolphe Saadé reçoit Libé pour évoquer son omniprésence naissante à Marseille. Dans les couloirs de ses locaux, des tableaux modernes et des maquettes de porte-conteneurs. Poignée de main énergique, regard droit et intense. Avec sa pointe d’accent du Liban, pays qu’il a définitivement fui à l’âge de 11 ans avec son père et sa famille à cause de la guerre, l’homme commence, sans surprise, par dire son amour de la ville du Sud, là où il a vraiment grandi. Mais très vite, il poursuit sur son état actuel : «Marseille a des problèmes comme toutes les villes. Il faut les régler et nous trouvons que cela ne va jamais assez vite. Quand on compare la ville aux autres grands ports méditerranéens comme Gênes et Barcelone, on se dit qu’il y a encore du boulot. Si ce n’est pas nous qui agissons, quel autre acteur privé va le faire ? C’est aussi une question de moyens. Nous les avons, c’est normal que le groupe intervienne. Je ne fais pas ça pour avoir des médailles. Il ne faut pas tout attendre de l’Etat. Le privé doit jouer un rôle.»
S’agit-il de compenser les carences des pouvoirs publics ? Rodolphe Saadé élude et glisse des mots aimables pour Benoît Payan, «un bon maire», et Renaud Muselier, «un bon président de région», tout en souhaitant «qu’ils travaillent davantage ensemble». La critique, nette, pointe sous le langage affable de cet homme plutôt froid et peu porté sur l’humour, doté d’une réputation de manager anguleux («j’aimerais bien être sympa avec tout le monde, mais je suis exigeant»). Le patron de CMA CGM préfère saluer «l’implication» du président de la République – il s’est rapproché d’Emmanuel Macron sur le dossier libanais – et son plan «Marseille en grand». Invité à dîner à l’Elysée le 1er février avec d’autres acteurs de la société civile de la cité, il s’y est dit prêt à accompagner financièrement d’autres initiatives. «Selon les projets, précise-t-il. Il n’y a pas tant de projets structurants et je fais déjà beaucoup. Je suis content de voir que la ville le reconnaît.»
S’il investit tant au niveau local, polissant son image de philanthrope, c’est aussi par intérêt bien calculé, de façon à prévenir les critiques. CMA CGM enchaîne les bénéfices extraordinaires mais paie des impôts ridicules. Les comptes de la principale société française du groupe (qui ne recouvrent pas l’ensemble de son activité consolidée) portent une charge d’impôt sur les sociétés (IS) de 107 millions d’euros en 2021, pour un résultat net supérieur à 14,5 milliards d’euros. Soit un taux effectif de 0,7 %, alors que le taux d’IS normal est de 25 %… La raison ? En vertu d’une loi européenne de 2003, créée pour préserver la compétitivité des armateurs continentaux face aux concurrents asiatiques, l’entreprise est taxée «au tonnage» sur ses activités maritimes, c’est-à-dire selon ses capacités de transport, et non ses résultats économiques. Quand les bénéfices ne sont pas au rendez-vous, c’est une mauvaise nouvelle. Mais quand ils s’envolent…
«Un enfant d’immigrés comme moi»
A cause de cette situation particulière, et en ce moment hyperrentable, CMA CGM est dans le viseur de certaines autorités nationales. Lorsque Rodolphe Saadé est intervenu le 22 septembre 2022 devant les députés de la commission des finances, c’était dans le cadre de la mission-flash sur les «profits exceptionnels». Depuis que le groupe les engrange, la menace d’une surtaxe temporaire ou d’un changement de régime fiscal plane sur lui. A l’Assemblée nationale, le propriétaire de l’armateur a martelé plusieurs messages pour éviter une telle décision : «Nos bénéfices sont réinvestis à 90 % dans l’entreprise», «nous avons gelé nos tarifs», «notre groupe a fait le choix de rester en France», etc. Face à nous, les mêmes arguments, en boucle. Rodolphe Saadé insiste sur son usage modéré des dividendes rémunérant les actionnaires (donc surtout lui-même et sa famille, qui détiennent trois quarts du capital) : 10 % du profit leur est redistribué, une part faible au regard des habitudes du CAC 40. «C’est la culture d’entreprise léguée par mon père, explique l’héritier. Réinjecter les bénéfices dans l’entreprise, rester raisonnable sur les dividendes.» Doit-on applaudir ? Difficile, vu la quasi-absence d’impôt…
La détestation des milliardaires, sentiment répandu en France, ne semble pas avoir atteint Marseille, où nombre d’habitants ont un proche faisant partie des 3 000 salariés de CMA CGM sur place. La puissance de l’entreprise ne semble crisper personne, au contraire. «C’est une ville qui a besoin de fierté, et il n’y en pas beaucoup. Il y a l’OM, et la CMA CGM, qui est restée», analyse le nouveau président du port, Christophe Castaner, dans son bureau, rare pièce sauvant les apparences de confort au cœur d’un bâtiment délabré. L’ancien ministre de l’Intérieur se réjouit de voir ce grand acteur du port jouer «un rôle moteur pour ce qui concerne la décarbonation, l’un des grands enjeux, en tant que client et investisseur».
«Toute la journée à Paris, on nous prend pour des imbéciles, pour des joueurs de boules qui boivent du Ricard, claironne Renaud Muselier. Avec cette entreprise, on a un coup de projecteur différent.» Dans un bar du Vieux-Port, rendez-vous avec la députée (Renaissance) Sabrina Agresti-Roubache. Proche du couple Macron, cette ancienne productrice, un tourbillon qui tutoie d’emblée et vous saisit le bras pour ponctuer ses propos, a une autre explication à l’opinion de beaucoup de Marseillais sur «leur» milliardaire : «Il est très couleur locale ! C’est un enfant d’immigrés, comme moi, comme beaucoup d’habitants.» Puis : «On passe notre temps à chercher des investisseurs. Voilà, on en a un ! Je ne suis pas de ceux qui disent qu’il faut taxer les riches. Il faut leur dire qu’on les aime.»
«Une fortune indécente»
Au sein du groupe, dont les personnels sédentaires ont obtenu en décembre 6 % d’augmentation générale des salaires, le discours est flatteur : «Rodolphe a le souci du partage de la valeur», assure Chantal Castel, déléguée syndicale CFE-CGC, qui, dans le hall d’hôtel où l’on se retrouve, se présente en «bébé CMA CGM», vingt ans de boîte. «Il réinvestit, rachète la dette, redistribue. Tout est fait dans le bon sens. Il faudrait être malhonnête pour cracher dans la soupe.»
Dans cette atmosphère générale, il faut lutter pour trouver une voix critique. Délégué CFDT, Xavier Bertholier en est une, tempérée : «Vu les résultats, le groupe était tenu stratégiquement et politiquement de redistribuer une part de la richesse aux salariés.» Le syndicaliste décrit cependant une entreprise rongée par le stress et la pression, aussi bien quand les tarifs de fret étaient au plus haut en 2021 et 2022 que maintenant, alors qu’ils redescendent. «Au siège à Marseille, le groupe a plus que jamais les moyens d’investir sur les équipes, de les calibrer correctement, de retravailler le collectif et la qualité de vie au travail», espère-t-il, sceptique. A la terrasse d’un café de Notre-Dame-du-Mont, place transformée par le renouveau créatif de la ville, le député de La France insoumise Hendrik Davi complète : «La compagnie ne marchait pas si bien avant le Covid. Elle a profité d’une rareté à un moment donné, et en tire une fortune colossale, indécente, injustifiée.» Mais même lui ajoute : «S’il met de l’argent à Marseille, tant mieux.»
Les notables de l’écosystème local savent parfois rendre à leur champion tout ce qu’il donne à la ville. Un homme l’a appris à ses dépens, et pas le moins puissant de France : le milliardaire Xavier Niel, fondateur de l’opérateur Free. Lorsque cet autre proche d’Emmanuel Macron a fait connaître son intention de racheter la Provence – dont il était l’actionnaire minoritaire – après la mort du propriétaire, Bernard Tapie, en 2021, l’entrepreneur parisien s’est vite heurté à la concurrence de Rodolphe Saadé et l’hostilité d’une partie des élites marseillaises. Après un an de conflit juridique, il a dû renoncer, malgré un droit de préemption sur le capital, mais l’honneur sauvé par un gros chèque de son rival. «Xavier Niel aurait dû avoir la Provence, mais il a découvert les charmes de Marseille», s’amuse Castaner.
«Bijoux de famille»
Le propriétaire de Free a mal digéré l’affront. En privé, il peste contre l’aversion à son égard du tribunal de commerce de Marseille et ressasse cette scène d’anthologie, carton sur les réseaux sociaux, où on le voit se faire mettre à la porte du journal par l’ancien dirigeant, Jean-Christophe Serfati, acquis au projet Saadé. Dans une lettre de décembre 2021, donnant du «Cher Rodolphe» à son destinataire, plusieurs organisations patronales de la région avaient soutenu l’armateur avec flagornerie : «La Provence a besoin d’un repreneur solide, animé par une volonté de la développer, réellement ancré sur ce territoire et qui en connaît parfaitement les subtilités. C’est votre cas.»
Parmi les signataires, Jean-Luc Chauvin, le président de la chambre de commerce, qui s’explique : «Rodolphe Saadé m’a appelé pour parler de la Provence, Xavier Niel n’a pas jugé utile de le faire. On ne l’a pas beaucoup vu à Marseille, M. Niel.» A propos du journal, la députée Sabrina Agresti-Roubache a cette formule : «Les bijoux de famille, ça reste entre Marseillais !» Au conseil d’administration du média, Saadé a placé des figures locales des affaires, comme la présidente de la French Tech Marseille-Aix Julie Davico-Pahin (signataire de la fameuse lettre), les entrepreneurs sociaux Fabrice Necas et Muriel Bernard-Raymond ou l’ancien patron du Ponant, Jean-Emmanuel Sauvée.
Sur l’acquisition de ce journal, qui entérine son statut de nouveau patron de la ville et qu’il promet de «retourner» après des années d’errance, Rodolphe Saadé parle, lui, d’un «coup de cœur». Il a été chèrement payé : le propriétaire de CMA CGM s’est allégé dans l’affaire de plus d’une centaine de millions d’euros. A un tel prix, il faut faire preuve d’une belle innocence pour avaler l’argument du désintéressement. «Les Saadé sont très économes de leur argent, mais quand ils font un choix, ils ne comptent plus», soutient Renaud Muselier. Et le président du conseil régional de relever que le fondateur du groupe, Jacques Saadé, a «toujours voulu racheter la Provence. En quelque sorte, le fils vient de réaliser le projet du père». Et tout s’explique.