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Benoît Payan, l’habile édile de Marseille
Accusé d’illégitimité au moment de son arrivée, fin 2020, à la tête de la cité phocéenne, Benoît Payan a réussi pourtant un parfait numéro d’équilibriste en mobilisant Emmanuel Macron, la présidente de droite de la métropole et sa remuante majorité de gauche pour le redressement de sa ville. Un cas d’école pour le PS, son ancienne famille politique, qui tiendra son congrès national, du 27 au 29 janvier, sur ses terres.
La photo est presque parfaite. Ce samedi 14 janvier, c’est au bras d’une Michèle Rubirola souriante que Benoît Payan sort de sa mairie et fend la foule. L’ancienne maire et l’actuel. Celle qui a été élue en juin 2020 à la tête du Printemps marseillais, cette union inédite regroupant toutes les sensibilités de gauche, et celui qui a pris sa succession six mois plus tard. En cette année post-Covid-19, Benoît Payan a tenu à faire ses vœux à la population en plein air. Une première.
Un gros millier de Marseillais se pressent au Vieux-Port pour l’occasion. Il y a aussi une fanfare, une girafe sur des échasses et le député (La France insoumise, LFI) de la circonscription, Manuel Bompard, nouveau chef des « insoumis », qui dit apprécier l’édile avec qui il « peut avoir de vrais échanges politiques ».
Au moment du discours, élus communistes, socialistes, Verts, citoyens devenus adjoints, s’alignent derrière leur leader. Comme pour démontrer que cette majorité hétéroclite surmonte le temps et son inexpérience pour rester unie.
L’ancienne sénatrice socialiste Samia Ghali, qui a affronté le Printemps marseillais aux deux tours des municipales de 2020, tient son rang à la droite du maire. Pour cette alliée éruptive, il a inventé le titre de maire adjointe et lui a confié des délégations d’importance.
Ce samedi matin, Benoît Payan savoure : « Vous avez devant vous une équipe qui ne lâche rien… Marseille est de retour. » Il y a deux ans, le 21 décembre 2020, quand les conseillers municipaux valident son élection, tous les ingrédients semblent pourtant réunis pour que cet improbable attelage politique explose. L’écologiste Michèle Rubirola, 64 ans alors, vient de jeter l’éponge. Pour « raisons de santé », elle échange sa place avec son premier adjoint. L’opposition, Rassemblement national et Les Républicains (LR) à l’unisson, hurle au « hold-up démocratique ».
En juin, Marseille avait surpris le pays en propulsant à sa tête une revigorante coalition de gauche, citoyenne et écologiste. Six mois plus tard, elle le choque par ce « switch » inopiné. Les électeurs du Printemps ont voté pour une femme, une écologiste au sourire bienveillant. Ils se retrouvent avec un homme, un quadragénaire, socialiste, ayant fait de la politique son travail. Pire, Benoît Payan est accusé d’avoir orchestré ce mouvement ou, au mieux, de n’avoir rien fait pour l’éviter. Beaucoup se sentent floués.
« La clé de voûte du Printemps marseillais »
Vingt-quatre mois plus tard, la question sur sa légitimité de maire « non élu » est de celles qui l’agacent encore. « Vous êtes le premier à me la poser depuis un an », grince-t-il, comme si le sujet n’avait plus lieu d’être. Une blessure originelle qui ne cicatrise pas. Pourtant, rares sont ceux qui, aujourd’hui, ne voient pas en Benoît Payan, 45 ans le 31 janvier, un maire de Marseille parfaitement dans son rôle.
« Personne dans la majorité ne peut dire qu’il n’est pas à sa place », constate l’adjoint délégué aux finances Joël Canicave, vieux complice rencontré au PS. La maire du 1er secteur, Sophie Camard, ancienne suppléante du député (LFI) Jean-Luc Mélenchon, renchérit : « On avait besoin de quelqu’un pour tenir le cheval. Le poste est un enfer, mais Benoît l’assume. La clé de voûte du Printemps marseillais, c’est lui. »
Même les turbulents écologistes, qui ont créé un groupe indépendant afin d’être « un aiguillon sur les questions environnementales » et déclenchent régulièrement ses colères, reconnaissent son leadership. « Benoît s’est coulé dans les habits du maire. Il en a toujours eu l’envie et a toutes les qualités pour ça », analyse Sébastien Barles, adjoint (EELV) délégué à la transition écologique. « C’est un séducteur et il sait faire attention aux équilibres de sa majorité », complimente l’avocat Michel Pezet, figure historique du PS local, que le fauteuil de maire a longtemps fait rêver.
Cet art de l’équilibre des alliances, Benoît Payan va en parler devant un PS qui s’arrime, entre le 27 et le 29 janvier, à Marseille pour son congrès national et débattra de la pertinence de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). Lui a quitté sa famille politique historique sans bruit, au détour de la dernière élection présidentielle, parce qu’elle s’entêtait à porter en solitaire la candidature d’Anne Hidalgo. « Ce qu’on a fait avec le Printemps marseillais est un symbole de ce que raconte [le premier secrétaire du PS] Olivier Faure quand il parle de dépassement et de rassemblement avec la Nupes. Benoît reste philosophiquement socialiste, mais il est surtout attaché à l’union à gauche », témoigne Anthony Krehmeier, le maire (PS) des 2e et 3e arrondissements et un de ses plus proches complices politiques.
La droite marseillaise semble atone
Les deux hommes se sont rencontrés en 2005 au Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Benoît Payan y est déjà reconnu, Anthony Krehmeier débarque. Comme Arnaud Drouot, l’actuel directeur de cabinet du maire, ou Christophe Pierrel, ex-chef de cabinet adjoint du président Hollande désormais chargé du Plan Ecoles à la mairie, ils ont fait partie de la bande de jeunes collaborateurs de Marie-Arlette Carlotti, la ministre déléguée aux personnes handicapées au sein du gouvernement Ayrault (2012-2014). « Elle nous appelait les petits cons », se marre Krehmeier.
L’époque est aussi à la guerre contre Jean-Noël Guérini, le tout-puissant patron de la fédération PS des Bouches-du-Rhône, qui sombre dans les affaires. A l’occasion des municipales de 2008, pourtant, Benoît Payan avait décroché son premier mandat de conseiller communautaire sur les listes de l’indéboulonnable sénateur, avant de rompre. Un épisode que ses adversaires ne manquent jamais de lui rappeler.
Même Jean-Claude Gaudin n’a que des mots positifs sur son successeur. « Ne m’en faites pas trop dire, cela pourrait lui nuire. Benoît Payan a une attitude très républicaine et d’une grande courtoisie avec moi, ce qui n’est pas le cas de tous mes amis politiques. »
Douze ans plus tard, le temps des « petits cons » laisse place à d’autres responsabilités. A son arrivée aux manettes, le nouveau maire dit avoir découvert une situation « qu’aucune imagination n’aurait pu prévoir ». Des finances exsangues, une administration sclérosée, « machine malade, abîmée, fatiguée… Avec une organisation adaptée à 1953, pas à 2020 ».
Comment dans ces conditions rénover une partie des 440 écoles de la ville dont l’état d’insalubrité avait fait scandale au cours du mandat précédent, éviter un nouveau drame comme celui des huit morts de l’immeuble de la rue d’Aubagne, en novembre 2018, en résorbant l’habitat indigne, développer les transports et les équipements publics ou encore réduire les fractures sociales ?
Les promesses électorales du Printemps marseillais semblent intenables quand une grande partie des compétences sont dans les mains de la Métropole Aix-Marseille-Provence, pilotée par son adversaire aux municipales 2020, la candidate LR Martine Vassal.
D’une ennemie, il faut faire sinon une alliée, au moins une partenaire. Après plusieurs mois de bras de fer, la situation s’est finalement apaisée. « Nous avons trouvé un terrain d’entente », assure la présidente de la métropole. Désormais divers droite et soutien d’Emmanuel Macron, elle s’est engagée, fin 2022, à accorder 200 millions d’euros sur quatre ans aux projets municipaux.
Toute la droite marseillaise semble atone. Depuis sa villa de Saint-Zacharie (Var), où il coule une retraite tranquille n’était un genou douloureux qui gêne sa marche, même Jean-Claude Gaudin n’a que des mots positifs sur son successeur. « Ne m’en faites pas trop dire, cela pourrait lui nuire », s’inquiète l’ancien vice-président (LR) du Sénat. Il croise régulièrement Benoît Payan « dans les événements des milieux catholiques » que l’édile n’oublie pas d’honorer. Lui-même catholique, il a annoncé mardi 17 janvier la venue du pape François dans sa ville en octobre. Et Jean-Claude Gaudin, qui a tenu Marseille pendant vingt-cinq ans, de poursuivre sur sa lancée : « Il a une attitude très républicaine et d’une grande courtoisie avec moi, ce qui n’est pas le cas de tous mes amis politiques. »
Une vie privée bien gardée
Comme son prédécesseur, Benoît Payan adore autant l’histoire de sa ville que le décorum républicain. Ses discours officiels commencent souvent de la même façon. Lentement, il énumère les noms et fonctions des personnalités présentes, marque des pauses, savoure chaque pedigree comme on le ferait d’un bon vin. « Il y a une filiation dans l’art oratoire et dans cette relation charnelle avec Marseille qu’avaient Jean-Claude Gaudin ou Gaston Defferre. Cela place Benoît dans une continuité douce, même si, sur d’autres points, il incarne la rupture », constate l’écologiste Sébastien Barles.
Benoît Payan adore « mettre en récit » ce qu’il sait de sa ville, mais parle peu de lui. Il dit « détester l’exercice de la fausse catharsis auprès des journalistes ». De son intimité, il livre sur les réseaux sociaux quelques photos de Léonidas, son teckel à poil ras. Sa compagne, elle, échappe aux radars. « Elle ne veut pas être mise en avant et je n’ai pas envie qu’on la dérange. Qu’est-ce que cela changerait ? », interroge-t-il. Le couple peut être aperçu au Stade-Vélodrome ou dans les tribunes de la patinoire municipale.
Mère cadre à l’Urssaf, père menuisier, Benoît Payan vient « d’une classe moyenne pour qui tout allait bien et n’avait pas besoin que les pouvoirs publics s’occupent d’elle ». Lui a bouclé des études de clerc de notaire. Ses goûts forment un curieux mélange de classicisme et de modernité. Il aime l’opéra, la danse contemporaine du collectif (La) Horde, qui dirige le Ballet national de Marseille, et peut fermer les portes de son bureau pour lire à un visiteur le poème de Blaise Cendrars Les Pâques à New York.
Pour qu’il se livre plus avant, il faut l’interroger sur les objets qui l’entourent. Comme ces dix-huit flacons d’encres japonaises, parfaitement alignés sur le bord de sa table de travail. « J’écris beaucoup, et en fonction des interlocuteurs et de mon humeur, je change la couleur. Il y a une encre de l’énervement, une de la tristesse, une de l’enthousiasme… », énumère-t-il. Une gamme de sentiments pouvant rythmer une même journée. Et dont collaborateurs, adjoints et même journalistes essuient parfois les excès.
Racines et pâtes italiennes
Dans ce bureau réaménagé à son image, ni ordinateur ni écran télé. Juste une tablette numérique. Lui qui, pendant six ans, a bâti sa réputation d’opposant en diffusant les vidéos de ses interventions sur les réseaux sociaux, a supprimé de son mobile l’application Twitter. « Je ne la consulte qu’à la maison. Et je ne m’en porte pas plus mal. »
Au mur, il y a aussi Les Lazzaroni, ce grand format de François Reynaud, peintre oublié du XIXe siècle, qu’il a extirpé des réserves des musées municipaux. Chez cet arrière-arrière-petit-fils d’immigrés venus du Piémont et de l’île d’Ischia, ces mendiants peints sur fond du golfe de Naples font vibrer une corde profonde. « Ce sont mes ancêtres, ceux des Marseillais d’aujourd’hui… A l’époque, l’Italie ne va pas très bien, la France s’industrialise et devient un rêve, un eldorado pour de nombreux migrants. » De cette histoire familiale, l’homme a hérité d’une passion pour les pâtes. « Les pâtes, c’est l’essentiel et le tout. Quand les Italiens sont partis de chez eux, c’est ce qu’ils ont mis dans leur sac », s’enflamme-t-il.
Trois mois après son élection, on a vu le maire de Marseille essuyer des larmes en inaugurant la plaque qui donnait à l’avenue des Aygalades (14e et 15e) le nom d’Ibrahim Ali, cet adolescent abattu là par des colleurs d’affiches du Front national en 1995. Un combat que la famille et les proches du jeune Marseillais menaient, en vain, depuis vingt-cinq ans. Il a aussi fait rebaptiser l’école Bugeaud, colonisateur sanglant de l’Algérie, au nom d’Ahmed Litim, un tirailleur algérien venu mourir en libérant Notre-Dame-de-la-Garde de ses occupants nazis en août 1944. Il s’est porté au soutien de L’Après M, cet ancien McDonald’s transformé par ses ex-salariés en fast-food associatif et en plate-forme solidaire, faisant racheter les murs par la municipalité.
Fondatrice de L’Ecole au présent, une association qui scolarise les enfants roms des bidonvilles, Jane Bouvier se souvient de l’avoir rencontré pour la première fois en plein hiver 2018, élu d’opposition, devant un squat en cours d’évacuation. « Benoît Payan était là, dans le froid, pour s’opposer à cette inhumanité. Depuis, son engagement n’a pas varié », témoigne-t-elle. « Mon job, c’est de recoudre Marseille, martèle-t-il. Il faut rassembler, gagner la bataille culturelle sur les questions de discrimination, se concentrer sur les invisibles. Marseille ne m’appartient pas plus qu’aux autres, mais cette ville, c’est moi. Et j’essaie de la ressentir dans toutes ses différences. »
Un Marseille addict
Le soleil est chaud en ce mois de janvier aux températures détraquées. Sur le pont d’A Galeotta, le nouveau ferry de la compagnie Corsica Linea qui inaugure officiellement sa liaison entre Marseille et la Corse, Benoît Payan a enlevé sa cravate, déboutonné son col de chemise et s’est assis sur un banc. Un sérieux coup de mou. Ce n’est pas la première fois que l’entourage de l’édile constate sa fatigue. A l’été 2021, déjà, quelques élus proches étaient venus en délégation lui demander de lever le pied.
« Nous étions inquiets et nous lui avons dit qu’il lui fallait un vrai break, loin de Marseille. Il a acquiescé. Deux jours plus tard, il était dans son bureau », se rappelle l’adjoint Joël Canicave. « Les vacances, pour lui, c’est de mettre un jeans pour venir à la mairie », tente d’en plaisanter son ami Anthony Krehmeier. Depuis vingt-quatre mois, Benoît Payan voit sa fonction comme « une centrifugeuse ». « Il n’y a rien à apprécier, juste à faire », tranche-t-il.
« Emmanuel Macron est la seule personnalité politique nationale, droite et gauche confondues, qui m’a posé des questions profondes sur Marseille et qui aime cette ville. » Benoît Payan, maire de Marseille
Ce contemplatif autoproclamé est désormais un homme pressé et sous pression. Durant les fêtes de fin d’année, il n’a pas trouvé l’occasion de souffler. « Je n’arrive pas à m’éloigner de Marseille. J’ai besoin d’être là », constate-t-il, lucide. Alors, sur le pont d’A Galeotta, on s’active. Une collaboratrice apporte un verre d’eau, une autre une assiette de morceaux de fromage insulaire.
Il faut vite grignoter avant de passer à la séquence de l’après-midi : une visite du chantier du tramway, à quelques kilomètres de là, dans les quartiers Nord, avec le ministre des transports, Clément Beaune, et la présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal. Pas question de fléchir. Pour mener à bien la vaste transformation de sa ville, Benoît Payan a un impérieux besoin de l’aide financière de l’Etat et donc du soutien du gouvernement.
Une alliance d’intérêts avec Emmanuel Macron
Le 10 mars 2021, quand il répond à l’invitation d’Emmanuel Macron pour un repas à l’Elysée, le maire fraîchement nommé sait qu’il doit, au minimum, séduire. Au menu, pas de pâtes mais une blanquette de veau. Les deux hommes font connaissance. A un mois près, ils ont le même âge. Surpris, Benoît Payan découvre que le président de la République vibre presque autant que lui pour sa ville. La faute, en partie, à cette victoire en Ligue des champions de l’Olympique de Marseille, le 26 mai 1993. « On avait 15 ans à l’époque, cela nous a marqués pareillement », reconnaît Benoît Payan.
« Emmanuel Macron est la seule personnalité politique nationale, droite et gauche confondues, qui m’a posé des questions profondes sur Marseille et qui aime cette ville. J’ai tout mis sur la table : la situation des écoles, des transports, les blocages de la gouvernance politique avec la métropole… »
De cette rencontre germent les contours du plan « Marseille en grand » que le chef de l’Etat présente six mois plus tard dans les jardins du Pharo. Un investissement sans précédent de l’Etat sur le territoire. Cinq milliards d’euros fléchés pour la rénovation des écoles, les transports, la rénovation urbaine, la lutte contre l’habitat insalubre, mais aussi pour la sécurité ou la culture. En contrepartie, Emmanuel Macron demande aux politiques locaux de cesser leurs « chicayas » et annonce lancer une expérience « d’écoles-pilotes » à l’aspect très libéral qui fait grincer des dents la gauche.
Une forme d’alliance d’intérêts bien compris entre les deux hommes est née. Ce 2 septembre 2021, Benoît Payan est le seul autorisé à s’exprimer avant Emmanuel Macron. « Ils ont des traits communs… Cette volonté de renverser la table, de dire que rien n’est impossible, de casser les cadres. Benoît est un socialiste qui est allé demander l’aide d’un président social-libéral. Ils ne sont pas faits pour travailler ensemble et pourtant ils le font », résume Anthony Krehmeier.
« Au début, le regard était très positif. Benoît est jeune, cultivé, intéressant et c’est un animal politique. Il coche toutes les cases qui peuvent intéresser Emmanuel Macron », confirme Sabrina Agresti-Roubache, députée (Renaissance) des Bouches-du-Rhône et amie du couple présidentiel. Lancé dans sa seconde campagne, le président de la République espère-t-il rallier à son camp le maire de Marseille comme, avant lui, les deux locomotives LR locales, le président de la région, Renaud Muselier, et la présidente de la métropole, Martine Vassal ?
La Macronie n’en a pas eu pour son argent
Le 16 avril 2022, alors que le président-candidat se prépare à revenir au Pharo pour son grand meeting de second tour, une rumeur court. Benoît Payan, qui a appelé à voter pour lui une fois Marine Le Pen qualifiée, serait présent. L’intéressé dément, mais, même au Printemps marseillais, le doute plane. « J’étais inquiète, je pensais qu’il allait être obligé d’y aller », se souvient Sophie Camard, l’élue des 1er et 7e arrondissements. « Moi, j’avais dit au président : “Je mange un rat vivant si Benoît vient s’asseoir à côté [du maire de Nice] Christian Estrosi.” C’était faire exploser sa majorité », sourit la députée Sabrina Agresti-Roubache. Jusqu’à l’arrivée sur le Tarmac de l’aéroport de Marignane, l’entourage d’Emmanuel Macron s’active pour convaincre.
Sciemment, Benoît Payan s’est un peu éloigné de sa ville. Autour du chef de l’Etat, on ne comprend pas cette absence. « Le plan “Marseille en grand” a contribué à faire de Benoît Payan le maire de Marseille. Pour le président, le retour sur investissement est faible », cingle un haut cadre de la Macronie. « Benoît aurait pu prévoir un accueil républicain avant le meeting ou au moins envoyer un tweet. Leur relation s’est abîmée à ce moment-là », confirme Sabrina Agresti-Roubache.
« Je crois en Benoît Payan, mais, pour l’instant, je suis déçu. Il est malin, intelligent, habile… avec un talent pareil, il faut qu’il fasse tout péter. J’aimerais revoir la fougue du premier opposant qu’il a été. On croyait voir un tribun, on a un Hollande. » Mathieu Rozières, entrepreneur proche du Printemps marseillais
Récemment, un autre épisode a agacé au plus haut niveau. Une phrase lâchée le 14 novembre 2022, dans le dos de la première ministre Elisabeth Borne, qui quitte à peine l’hôtel de ville de Marseille après un entretien informel. Face aux journalistes, Benoît Payan se lâche : « On attendait des réponses spécifiques à des questions précises et nous n’avons pas eu grand-chose. (…) Si j’étais elle, je me serai passée de ce déplacement. »
La saillie résonne jusqu’à Paris. « C’était très prétentieux de dire “Si j’étais premier ministre”. Non, mon pote, tu ne l’es pas », cogne un cadre Renaissance. Benoît Payan jure pourtant qu’il n’a que peu d’intérêt pour les jeux de la politique nationale. « Je ne suis pas chef de parti, je ne suis pas élu à l’Assemblée nationale et je n’ai pas l’ambition de devenir ministre ou chef du gouvernement. Mon seul sujet, c’est Marseille. »
Une nouvelle dyarchie marseillaise
Les avancées obtenues par le Printemps marseillais n’empêchent pas les critiques. La hausse de la taxe foncière de 14 % passe mal. La relance de l’installation des caméras de vidéosurveillance, concession aux volontés sécuritaires de l’Etat, est une « trahison » pour le groupe écologiste. La réforme de la haute administration municipale (qui s’est traduite par une réduction drastique des directions générales), jugée trop brutale, enflamme des syndicats qui, deux ans plus tôt, soutenaient l’union de la gauche.
Mais les reproches les plus fréquents portent sur un pouvoir jugé trop centralisé. Ce cabinet fortement peuplé d’anciens du MJS ou ce duo étroit que Benoît Payan forme avec son directeur de cabinet, Arnaud Drouot. Cet ancien secrétaire général du groupe d’opposition PS a préféré abandonner son mandat de conseiller municipal pour s’installer dans le bureau qui jouxte celui du maire. Malgré leurs dix ans d’écart, les deux amis affichent un mimétisme troublant. Belles gueules, costumes bien taillés sur chemises à col italien ou cols roulés près du corps, on voit rarement l’un sans l’autre. Quand le premier répond aux entretiens, le second s’assoit tout près, silencieux. « C’est le binôme-clé. Arnaud est un vrai stratège politique », convient l’adjoint aux finances, Joël Canicave.
Ceux qui connaissent l’histoire municipale récente y voient un écho plus inquiétant. Celui d’un autre duo, formé par Jean-Claude Gaudin et son éternel directeur de cabinet, Claude Bertrand, qui a régné pendant vingt-cinq ans sur Marseille.
Proche du collectif Mad Mars, investi dans la communication du Printemps marseillais pendant la campagne 2020, l’entrepreneur Mathieu Rozières pousse les feux : « Où est la composante citoyenne qui a permis au Printemps marseillais de gagner ? Cette énergie qui nourrissait la campagne ? Je crois en Benoît Payan, mais, pour l’instant, je suis déçu. Il est malin, intelligent, habile… Avec un talent pareil, il faut qu’il fasse tout péter. J’aimerais revoir la fougue du premier opposant qu’il a été. On croyait voir un tribun, on a un Hollande. »
Dans son bureau avec vue sur le Vieux-Port, le maire assure ne pas être là « pour satisfaire les insatisfaits professionnels ». « En deux ans, on a lancé des choses qui n’avaient pas été faites depuis des décennies. Ce qu’on a réussi est inédit. Est-ce que les gens s’en rendent bien compte ? » Pour lui et le Printemps marseillais, 2023 sera une année charnière, celle de la mi-mandat. Et déjà une nouvelle visite d’Emmanuel Macron, la cinquième depuis le lancement de « Marseille en grand », est annoncée pour début février.
Le Monde