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Trop «cool», trop chère
Flambée de l’immobilier : Marseille paye cash le prix de sa hype
Dans certains quartiers de la ville, les prix de l’immobilier flirtent avec les tarifs de la capitale. L’affluence des Parisiens, l’influence d’Airbnb sur le parc locatif et le manque de constructions expliquent cette hausse.
par Stéphanie Aubert
publié le 26 septembre 2021 à 12h24
(mis à jour le 27 septembre 2021 à 12h37)
C’est bien connu : à Marseille, le Parisien est coupable de tous les maux. La surfréquentation des calanques, c’est lui. Les restaurants bio et healthy, encore lui – comme la gentrification du centre de Marseille en général. Et les prix de l’immobilier qui flambent, c’est bien sûr encore lui. La faute à son compte en banque bien plus fourni que le Marseillais lambda et à des offres d’achat au prix, sans négociation, surtout s’il dégote une petite terrasse. Du jamais vu. Si le Covid et l’avènement du télétravail ont jeté des hordes de Parisiens sur les routes de l’exode un peu partout en France, notamment en Bretagne, le sud-est et sa capitale Marseille ont décroché le pompon. Ce qu’une récente étude d’une plateforme de déménagement confirme : «En 2020, l’agglomération marseillaise est devenue la destination préférée des Parisiens», et représente la ville d’arrivée de près de 10 % de ceux qui font le grand saut de l’autre côté du périphérique, supplantant ainsi Bordeaux, à la première place en 2019.
On aurait pu imaginer qu’une ville marquée par l’effondrement d’immeubles qui a fait huit morts et entraîné des évacuations massives il y a à peine trois ans refrénerait l’enthousiasme d’acquéreurs exogènes. Mais selon les derniers chiffres communiqués par la chambre de notaires des Bouches-du-Rhône, les Franciliens représentent 7,3 % des acheteurs de logement, à Marseille, entre juillet 2020 et juin 2021. Ce qui, sur 7 403 ventes d’appartements et de maisons sur la même période, fait un total de 540. De quoi déstabiliser le marché d’une ville qui compte près de 900 000 habitants ? «Oui, en partie, répond Stéphane Pujol, à la tête de l’agence immobilière du même nom. Les biens de qualité sont rares. Un logement dans un quartier correct en bon état se loue ou s’achète désormais en très peu de temps, on n’a jamais connu ça.» Au détriment de Marseillais peu habitués à la concurrence qui voient les prix monter et les offres leur passer sous le nez. Qu’on se rassure tout de même, 84 % des acheteurs sont résidents des Bouches-du-Rhône. Mais quelques centaines de personnes supplémentaires qui cherchent un appartement peuvent faire basculer le marché sur tout un quartier.
Comme dans le très prisé VIIe arrondissement – pas loin du centre-ville, en bord de mer – où les prix au m² rivalisent avec les tarifs parisiens en flirtant avec les 10 000 euros le m². Impensable pour un local (le prix médian au m² était de 2 690 euros /m² à Marseille au 1er trimestre), mais tout à fait envisageable pour des expatriés de la capitale. Malika (1), photographe, et Charlotte, sa compagne architecte, la quarantaine, s’apprêtent à emménager dans le VIIe. Elles ont eu le coup de cœur pour une belle maison de 110 m², complètement à refaire, mais avec un bout de jardin, un toit terrasse et la mer à deux pas. Prix affiché : 900 000 euros. Prix payé : idem. Ils étaient plusieurs couples sur le coup, elles ont dégainé les premières. «On avait envie de quitter Paris, le confinement nous a confortées dans cette décision et, fin 2020, on a commencé à chercher à Marseille. Notre principal critère : surtout pas de centre-ville urbain puisque c’est ce qu’on fuyait. Le prix au mètre carré pour le quartier que nous convoitions était plus élevé que ce qu’on imaginait et on a dû augmenter notre budget», raconte Malika, consciente de n’avoir pas fait une affaire, mais ravie d’avoir enfin trouvé son refuge.
En langage de notaire, la valeur refuge au sens financier «est désormais à prendre au sens propre, au sens de l’endroit dans lequel on vit», note Pierre-Armand Samama, membre de la chambre des notaires, qui a signé des actes à tour de bras cet été. Sa collègue Carole Bataillard parle carrément de «phénomène irrationnel» en listant les augmentations à deux chiffres des prix des appartements dans de nombreux quartiers de la ville. Elle s’exprime à l’unisson de l’Observatoire immobilier de Provence qui, face à cette «situation de crise», a décidé d’alerter fin septembre la presse sur «une tension de l’immobilier à son comble».
Son président, Cyril Cartagena, brandit la menace de départs massifs des Marseillais de leur propre ville, faute de parvenir à y habiter à prix décent – sans pour autant mettre tout sur le dos des envahisseurs parisiens. Il dénonce un manque inquiétant de logements disponibles et une baisse drastique des permis de construire depuis deux ans. Il exhorte – entre deux reproches sur la contrainte des nouvelles normes environnementales à respecter pour le bâtiment – la majorité municipale du Printemps marseillais à rouvrir les vannes des autorisations de chantiers pour ne pas risquer «d’exclure les citoyens les plus modestes de la ville». Et appelle à un «choc d’offres» pour le privé comme pour le logement social, dont la ville manque cruellement. Au-delà du vernis social du discours, il s’agit surtout de relancer la filière en manque de projets.
C’est vrai que les périodes pré et post-électorales ne sont pas favorables à la délivrance tous azimuts d’autorisations de bétonner. Et si la précédente équipe LR n’avait pas pour habitude de dire non aux promoteurs, elle n’a pas lancé dans la dernière ligne droite de gros chantiers qu’elle risquait de ne pouvoir suivre. L’équipe suivante, élue sur un discours faisant la part belle à l’équité et à l’écologie, ne s’est pas précipitée pour dire oui à tous les projets plus ou moins bien boutiqués. «C’est vrai qu’on subit une pénurie immobilière, admet Patrick Amico, adjoint au logement à la municipalité. Mais la baisse de la construction à Marseille date des années 2016-2017, surtout dans le logement social. Et on ne peut pas sortir de terre des immeubles en un an. Il faudrait 4 000 logements supplémentaires par an. Si cette année, on arrive à 1 800, dont 500 logements sociaux, ce sera déjà pas mal.» Rééquilibrage nord-sud, plan d’urbanisme à respecter, données environnementales… La «nécessité absolue» de construire et de réhabiliter un parc ancien et mal entretenu ne fait pas de doute pour l’élu, mais se heurte à des contraintes pas faciles à gérer toutes ensemble et prendra du temps. Alors, les Parisiens, là, au milieu…
Capitale du cool
D’autant que Marseille n’est pas la seule ville, loin de là, à affronter une flambée des prix avec au dernier trimestre 2020 une hausse de 6,2 % des appartements anciens. Sur la même période, Lyon a vu les siens grimper de 9,2 %. Et la pénurie de logement, selon l’OCDE, concerne toute l’Europe. Mais, particularité de la ville, Marseille doit paradoxalement une partie de ses difficultés à sa toute nouvelle réputation de capitale du cool, presse internationale unanime et nombreux fils Instagram à l’appui. Car tous ceux qui y arrivent n’étaient pas propriétaires d’un appartement dans le centre de Paris. Comme Léa, 25 ans, qui n’a pas réfléchi longtemps avant de laisser tomber sa chambre de bonne dans le XVIIIe arrondissement parisien pour venir prendre l’air du cours Julien, à la fin de ses études : «Une copine d’une copine m’a branché sur une colocation, et pendant la crise du Covid, je suis partie.» Elle reconnaît qu’elle paie plus cher que ses nouveaux amis, Marseillais d’origine, toujours à l’affût de bons plans qui existent encore dans la ville, bien que de plus en plus rares. Car, outre les causes structurelles, l’explosion du phénomène Airbnb, à l’œuvre depuis quelque temps déjà, pèse lourd sur le marché aujourd’hui famélique de la location.
A l’agence Terrasse en ville, spécialisée comme son nom l’indique dans des biens avec extérieur, on explique – entre autres causes déjà citées – la flambée des prix de vente comme des loyers par l’extrême rentabilité des locations saisonnières par plateformes numériques interposées. «Il n’y a plus d’offres, déplore Anne-Patricia Lesage, une des dirigeantes de l’agence. Les propriétaires gagnent beaucoup d’argent en louant par Airbnb, et quand ils veulent vendre, ils ont tendance à indexer leur prix sur ce que rapportent les semaines de location touristique.» Selon l’adjoint au logement, si 2 500 logements ont bien un numéro d’enregistrement, 9 000 locations seraient en fait concernées. Sans compter les tournages de film, gourmands en demande de logements temporaires dans une ville qui se veut leader en matière de cinéma.
Tout en promouvant la ville et ses attraits, la mairie lutte contre la tentation Airbnb pour les propriétaires en mettant en place dès le 1er octobre l’obligation de changer la destination de son bien en local commercial dûment enregistré et en limitant cette possibilité à un seul bien. En plus de cette obligation, selon la Provence, la majorité du Printemps marseillais s’apprête également à voter lors du prochain conseil municipal, vendredi, une hausse conséquente de la taxe d’habitation pour les résidences secondaires : 60% de plus que la taxe standard. Elle était jusque-là majorée de «seulement» 20%. La taxe pour logement vacant commence quant à elle à donner des résultats avec la remise dans le circuit d’appartements vides depuis des années. De nouvelles contraintes qui devraient, à plus court terme que la relance des chantiers, donner un peu d’air à la ville, à ses habitants d’origine, comme aux néoarrivants. Ce ne sera visiblement pas suffisant pour loger tout le monde à la même enseigne. Cette année, pour agrémenter des photos idylliques de Marseille et de son rivage, sur Twitter, le hashtag #NeVenezPas est apparu. A l’évidence, le message n’est pas passé.
(1) Les prénoms ont été changés.