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Multiculturelle, multiethnique, elle est aussi "multi-sociale". Sur ce territoire deux fois et demie plus grand que Paris, les inégalités sont grandes. Y cohabitent les populations parmi les plus riches de France, ainsi que celles parmi les plus pauvres d’Europe: moins de 5 kilomètres à peine séparent le quartier Périer, un des plus riches hors de la capitale, et celui de la Belle de Mai, où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pour l’économiste Philippe Langevin, de telles inégalités remettent en question l’existence même de la ville. En 2018, il publiait un rapport sur le sujet comme "un cri d’alarme". Il répond à nos questions comprendre la situation d’une ville qui "n’existe plus".
Challenges - En quoi Marseille est-elle une des villes les plus inégalitaires de France?
Philippe Langevin - A Marseille, le taux de pauvreté atteint un niveau exceptionnel: il dépasse les 25% et est en augmentation. Le quart de la population vit avec un revenu disponible inférieur à 1.000 euros par mois. Ce qui fait de Marseille l'une des grandes villes où le niveau de pauvreté est le plus important.
Existe-t-il des disparités au sein même de la ville?
Il existe une pauvreté globale, mais beaucoup d’inégalités entre les territoires. Entre les arrondissements du Sud et ceux du centre ou du Nord, vous avez des écarts très importants: en matière de revenu médian, l’écart est de 1 à 14 avant redistribution. Après redistribution, on redescend à 4,5. La redistribution joue donc un rôle d’amortisseur tout à fait important. Maintenant, si l’on prend les quartiers plutôt que les arrondissements, on arrive à des écarts qui sont absolument faramineux: 1 à 50, voire 60.
Quels sont les quartiers les plus défavorisés et les plus favorisés?
Le plus défavorisé est le 3ème arrondissement. C’est un des quartiers les plus pauvres d’Europe, le taux de pauvreté y dépasse les 50%. On peut évoquer également le cas des 2ème, 13ème et 14ème arrondissements. De l’autre côté de la ville, les territoires les plus riches sont les 7ème, 8ème et 9ème arrondissements, qui ont un taux de pauvreté très faible. Mais des inégalités très fortes aussi, parce qu’il y a beaucoup de populations pauvres dans les quartiers riches, et inversement. Tout cela donne un ensemble très disparate. Marseille est une ville "archipel", où beaucoup de territoires très pauvres côtoient des territoires très riches. Le problème, c’est que pour le moment on n’arrive pas à ressouder la ville.
Comment expliquer de telles inégalités entre les individus et les territoires?
Il n’y a pas d’explication simple. C’est une ville de passage, une ville portuaire, une ville qui accueille beaucoup de migrants du monde entier. C’est une ville ouvrière qui n’a plus d’ouvriers, une ville coloniale qui n’a plus de colonies. C’est une ville qui était centrée sur la Méditerranée mais la Méditerranée est désormais dans un tel état qu’il est difficile de s’y retrouver… On a donc tout un ensemble de facteurs qui contribuent à alimenter cette précarité. D’un autre côté, on voit l’arrivée de populations aisées, qui investissent, qui sont jeunes et font des enfants. Elles se concentrent autour des grands projets de réhabilitation, autour des pôles technologiques, des pôles de compétitivité ou des universités.
Ces pôles ne sont-ils pas là justement pour participer au développement de la ville?
A Marseille, il y a tout un ensemble de secteurs très performants mais qui ne bénéficient pas aux acteurs locaux. A Euroméditerranée [grand projet de réhabilitation de l’ancien port autonome, ndlr], les investissements massifs ne profitent pas aux habitants. Il n’y a plus d’effet d’entraînement, il n’y a pas d’effet de ruissellement. Les territoires riches s’organisent dans la mondialisation, la formation qualifiée, la mobilité, alors que les territoires pauvres se renferment et construisent en quelque sorte une économie de bazar, faite de bricoles et de petits boulots pour maintenir la tête hors de l’eau. En réalité, ce qui leur maintien la tête hors de l’eau, ce sont principalement les transferts sociaux, qui octroient un revenu minimum aux populations qui y vivent, sans toutefois les intégrer dans un projet collectif.
Les pouvoir publics font-il ce qu’il faut pour réduire les inégalités?
Pour supprimer la pauvreté, il suffit de supprimer les pauvres. Toute la politique à Marseille, qui est présentée de façon très positive parce qu’elle a aussi ses points forts, n’est pas conçue pour la totalité des Marseillais. Elle est conçue pour ceux qui sont qualifiés et intégrés. Pour les autres, on attend toujours que ça se passe, or il ne se passe rien, si ce n’est le drame de la Rue d’Aubagne. Les pauvres ne comptent pas. Résultat, pour le moment, la ville n'est pas attractive. L’attractivité ne se mesure pas en fonction du nombre de personnes qui s'y installent, mais de la capacité de ses habitants à vivre convenablement.
Marseille n’est donc pas assez attractive pour les entreprises et les institutions?
Sûrement pas. Les emplois créés sont d’ailleurs dans la métropole plutôt qu’à Marseille: vous les trouvere