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Emma Coudert, la mineure qui a pu jouer au mépris des réglements
Une joueuse de Romagnat a disputé quatre matches du Top 8 cette saison en ayant moins de dix-huit ans, ce que le règlement interdit. Mais elle a obtenu une étrange dérogation fédérale.
Nous sommes le 14 octobre dernier au stade Michel-Brun de Romagnat, dans le Puy-de-Dôme. À l'occasion de la troisième journée du Top 8, l'équivalent du Top 14 au féminin, Bayonne s'impose contre l'équipe locale (19-15). Avant le coup d'envoi, Alain Rongier, le représentant fédéral qui officie sur cette rencontre, relève une anomalie sur la feuille de match. Le club auvergnat aligne en effet une joueuse mineure, ce que le règlement interdit. La jeune Emma Coudert, née le 26 octobre 1999, participe néanmoins à la rencontre, après accord donné par le directeur de jeu.
«J'ai dû prendre très rapidement une décision qui n'était pas simple, raconte l'arbitre Nicolas Albuisson. Je n'ai été informé qu'à dix minutes du coup d'envoi, alors que la partie administrative aurait dû être traitée auparavant. Après la rencontre, j'ai envoyé la feuille de match avec le score, comme d'habitude.» Le représentant fédéral ? Guère plus loquace. «La feuille de match et mon rapport sont à disposition à la FFR, je vous invite à vous rapprocher des services compétents », abrège Alain Rongier.
Ce rapport produit en tout cas des effets tangibles. Le 9 novembre, la commission fédérale des règlements, présidée par Jean-Claude Legendre, examine le dossier. Après délibération, elle informe les clubs de sa décision : Romagnat a match perdu par disqualification et se voit sanctionner de deux points au classement ; Bayonne a match gagné avec cinq points au classement. Une décision parfaitement logique en vertu du règlement.
Une dérogation express
Une semaine plus tard, le 21 octobre, se dispute la quatrième journée du Top 8. Romagnat reçoit Bobigny, concurrent au maintien, et l'emporte cette fois 26 à 0. Emma Coudert, toujours mineure à cette date, dispute de nouveau la rencontre. Étonnamment, sa présence sur la feuille de match ne semble poser de problème à personne. Les dirigeants de l'AC Bobigny 93 finissent par tilter, mais trop tard.
Le 28 novembre, ils écrivent à la Fédération pour demander des explications. La réponse de Christian Dullin* a de quoi les laisser perplexes : le secrétaire général de la FFR les informe, dans un courrier daté du 12 décembre, du fait qu'Emma Coudert «possède, depuis le 16 octobre 2017, soit deux jours après le match contre Bayonne, une carte de qualification mentionnant la classe d'âge “F + 18 ans”, à la suite d'une demande de surclassement effectuée au début de la saison 2017-2018, lui permettant ainsi de participer valablement à la rencontre du 21 octobre 2017». Stupéfiante rapidité : quarante-huit heures seulement après le lièvre levé lors du match Romagnat-Bayonne, la joueuse obtient donc une dérogation fédérale lui permettant d'évoluer en Top 8 !
Deux poids, deux mesures ?
D'autant plus étonnant quand on sait que, en début de saison, Bobigny a essuyé un refus pour une demande similaire. «Nous avons nous-mêmes demandé un surclassement pour nos joueuses nées en 1999, afin qu'elles puissent disputer le Top 8, révèle Vincent Gabrelle, l'un des dirigeants du club de la Seine-Saint-Denis. Certaines d'entre elles ont un très bon niveau et auraient pu nous aider à améliorer nos performances.» Or, par un courrier en date du 25 septembre, Thierry Murie, le vice-président en charge du rugby amateur, avait rejeté leur requête.
Il renvoyait, fort justement d'ailleurs, à l'article 239 des règlements généraux qui fixe l'âge minimum pour jouer chez les seniorsà 18 ans . Il précisait aussi que « le président du comité médical de la FFR, le docteur Thierry Hermerel, ne souhaite pas autoriser des joueuses mineures à participer à une compétition de la catégorie “plus de 18 ans” ». Et il ajoutait enfin que l'assureur de la Fédération (la GMF) s'appuie également «sur ce principe».
En bleu l'automne dernier
Dès lors, comment Emma Coudert a-t-elle pu obtenir une dérogation à dix jours seulement de son dix-huitième anniversaire ? Et sur quels fondements ? Ce grand espoir du rugby féminin, qui a connu cet automne ses deux premières sélections avec l'équipe de France contre l'Espagne (96-0) et l'Italie (41-21), se trouve-t-il plus à l'abri d'un pépin médical que les autres joueuses de son âge ? Enfin, qui a pu l'aider à décrocher ce sésame en un temps record ?
Il se trouve – sans que ceci ne prouve rien – que la manager de Romagnat, Annick Hayraud, est aussi celle des équipes de France féminines. Élue sur la liste de Bernard Laporte en décembre 2016, elle avait aussitôt démissionné de son poste de bénévole à la FFR pour en devenir salariée... Comment, en étant au plus près de l'instance fédérale et forcément au fait de ses règlements, a-t-elle pu aligner de son plein gré une joueuse mineure en Top 8 ?
Et que dire de l'équité de la compétition ? Avant le match contre Bayonne, Coudert avait aussi disputé les deux premières journées de la compétition. Romagnat avait perdu ces trois rencontres mais, en toute logique, à la lecture de la décision prise par la FFR elle-même, le club auvergnat aurait dû être disqualifié à chaque fois et se voir retirer au total six points (trois fois deux points) au classement. Désormais, il est trop tard, le délai de vingt jours pour déposer un recours sur le résultat d'une rencontre ayant expiré...
* Christian Dullin vient d'être chargé de veiller à la mise en place des garde-fous préconisés par le comité fédéral éthique dans le cadre du contrat maillot équipe de France-Altrad.