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Malaise sur le Top 14 après les révélations sur les liens entre Bernard Laporte et Mohed Altrad
Les révélations du JDD ce week-end concernant les relations entre Bernard Laporte, président de la FFR, et Mohed Altrad, patron du club de Montpellier, troublent et inquiètent de nombreux acteurs du Championnat.
15 août. Ventre mou de l'été. Drapeau orange. À onze jours de la reprise du Top 14, l'enquête publiée dimanche dernier par le JDD traitant des liens trop étroits entre Bernard Laporte et Mohed Altrad a sorti de sa torpeur le petit monde du rugby français. Mais comme souvent, personne n'a tenu à réagir à visage démasqué. Ou alors pour ne rien en dire. « La Ligue et moi-même ne souhaitons pas faire de commentaire sur cet article », a fait savoir Paul Goze, le patron de la LNR. Les autres acteurs du Top 14 que nous avons pu joindre attendent d'en savoir davantage et attendent aussi que les deux principaux intéressés s'expriment en premier.
Dimanche, Laporte nous faisait part de son no comment. Ce lundi, Altrad nous expliquait qu'il ne réagirait pas, lui non plus. Il leur faudra pourtant briser le silence, tôt ou tard, s'ils ne veulent pas que la gêne constatée au fil des discussions se transforme en autre chose. Le Top 14 a été mal à l'aise en lisant cet article et on le serait à moins. « On ne sait pas tout mais on en savait tous un peu et il y avait de la suspicion. Avoir de la suspicion, c'est haïssable, dit un ancien dirigeant du Top 14. J'espère que ce n'est pas vrai. Mais, si c'est avéré, ça ne m'étonne pas. » Un président actuel ne cache pas, lui, son effarement : « Quand j'ai lu cet article, ma première réaction a été la surprise. Si j'y crois ? Je n'en sais rien, mais j'espère que ce n'est pas le cas. Si les choses sont avérées, c'est choquant ! Ce serait très grave ! »
150 000 euros pour B. L communication géré par Laporte
En l'espace de quelques semaines, entre février et mars, Laporte, qui vient d'être élu à la tête de la FFR le 3 décembre, et Altrad, 36e fortune de France et président du MHR, ont conclu deux contrats. L'un est connu : en mars, pour 1,5 million d'euros, le groupe Altrad devient la première marque à apparaître sur le maillot du Quinze de France. Sur le moment, quelques dents grincent. Celles des partenaires plus anciens de la FFR, celles aussi de quelques dirigeants du Top 14. Mais pas trop fort. Si, comme le prétend le JDD, ce contrat était assorti d'une clause stipulant que « la FFR s'engage à ne rien faire qui puisse porter préjudice de quelque façon que ce soit à l'image et à la réputation d'Altrad », la gêne serait plus grande encore. Car la frontière entre l'image et la réputation d'Altrad et celles du MHR n'est pas aisée à délimiter.
Le second contrat, signé en février entre la société Altrad Investment Authority et B. L Communication, gérée par Laporte, a été révélé par l'article du JDD qui le décrit ainsi : un an de contrat pour quatre interventions ou séminaires d'une journée minimum. Pour cette mission, Altrad aurait versé 150 000 euros à B.L Communication, hors frais de déplacement, de bouche ou d'hébergement. À ce prix-là, la gâche n'est pas mauvaise. Au regard du code du sport et des textes définissant le périmètre de sécurité au-delà duquel le président de la Fédération Française de Rugby ne saurait s'aventurer, la légalité de ce lien commercial n'est, a priori, pas litigieuse.
« S'il y a eu un contrat de consulting entre la société de Mohed Altrad et Bernard Laporte, je ne vois de problème au point de vue légal, indique cet autre président du Top 14. Même si on peut se poser la question de la frontière entre la légalité et l'éthique. Comme ça concerne le président de la FFR, c'est un peu gênant, c'est le genre de chose à éviter. Je ne doute pas de l'honnêteté de Bernard Laporte mais il est évident que ça peut créer une situation de conflit d'intérêts. »
Si ce lien contractuel apparait a priori légal, ce que les deux hommes ou leurs partisans devraient bientôt rappeler, il pose de nombreuses questions. À commencer par celle-ci : pourquoi Laporte et Altrad, malgré leurs positions de président de la FFR et de patron de club, ont décidé de travailler ensemble ? Il existait sûrement d'autres communicants disponibles et pertinents de la même stature que Bernard Laporte. Altrad n'était pas obligé de se « payer » le président de la Fédération. Laporte aurait pu, lui aussi, s'interdire tout lien financier, plus ou moins direct, avec un acteur important du sport qu'il régit, la Fédération régentant le Top 14 (la Ligue n'a qu'une délégation de pouvoir) , désignant les arbitres ou administrant la commission d'appel de discipline.
« Esprit de bienveillance »
Justement, le JDD évoque des « consignes de Laporte » pour qu'un « esprit de bienveillance » pèse sur la décision de la commission d'appel de la FFR,
le 29 juin, sommée de rejuger le club de Montpellier. Bilan des courses ? Le stade du MHR n'est plus suspendu pour la première journée du Top 14, l'amende pour des banderoles anti-Ligue passe de 70 000 euros à 20 000 et les suspensions des joueurs Jacques et Jannie Du Plessis sont réduites d'une et deux semaines. Esprit de la bienveillance, es-tu là ?
« C'était prévisible, déplore un ancien dirigeant de club. Quand j'ai vu certaines décisions prises par la commission d'appel, qui retoquait tout par rapport à Montpellier, il y avait une volonté de se faire la LNR, mais on sentait qu'il y avait autre chose derrière. Certains présidents se faisaient du souci à l'arrivée de Bernard Laporte, pas simplement sur ses options sportives mais aussi sur cette confusion avec les affaires. On se doutait que ce ne serait pas très clair. » Un président embraye : « Le pire, ce serait l'influence sur la commission d'appel. Là, ce serait juste inacceptable ! Cet article laisse sans voix beaucoup de gens. Mais je reste prudent en attendant les preuves. »
« Je n'ai pas envie d'y croire, dit cet entraîneur. Je pense que ce n'est pas possible. Enfin j'espère... » Voyant la clémence appliquée au MHR, le Racing a décidé de faire appel des sanctions prononcées contre lui (50 000 euros d'amende) et contre son coach Laurent Labit, suspendu quinze semaines pour avoir déclaré qu'Altrad avait « acheté la Fédération » après le report controversé du match Montpellier-Racing en avril. L'affaire sera jugée le 30 août. Avec ou sans bienveillance ?