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Dans la tête de Russell Westbrook
Parfois critiqué pour sa tendance à vampiriser le jeu du Thunder, Russell Westbrook n'accorde aucun crédit aux reproches, et ce n'est pas le départ de Kevin Durant qui va lui faire changer d'avis. De toute façon, le meneur d'Oklahoma City «n'arrive pas à jouer autrement» . Plongée dans l'esprit d'un homme qui ne doute jamais.
Russell Westbrook éprouve une aversion profonde pour l'à-peu-près. Au lycée, il adorait les mathématiques au point de se spécialiser dans l'algèbre, car «régler des problèmes compliqués (lui) donnait l'impression d'accomplir quelque chose» : les résoudre en partie, ou de manière détournée, ne lui suffisait pas. Ce goût du travail bien fait se traduit aujourd'hui dans son vestiaire et dans la maison qu'il partage à Oklahoma City avec sa femme, Nina, où tout est toujours impeccablement rangé : «Quand je commence à faire le ménage, je ne peux pas m'arrêter avant que tout soit parfait.»
Sur les parquets NBA, où il laisse éclater sa furie depuis huit saisons, c'est pareil : pas de demi-mesure, soit Westbrook joue à fond, soit il ne joue pas du tout. «Je ne sais pas être 'cool', a-t-il récemment expliqué à GQ. Ce n'est pas dans ma nature. Je ne sais jouer que d'une manière. Je suis incapable de me dire, 'là je vais tout donner, mais ensuite je vais me relâcher un peu'. Je ne suis pas assez bon pour jouer ainsi.»
Alors "RussWest" donne tout, tout le temps, et les effets sont dévastateurs : depuis que Kevin Durant l'a laissé seul en partant à Golden State, le meneur de jeu plane sur le Thunder en compilant 33,2 points, 9,0 rebonds et 9,7 passes par match. On lui promet une saison historique, un possible trophée de MVP dans six mois, peut-être même un triple-double de moyenne. Leader d'un effectif amoindri, l'intéressé tiendra-t-il le coup sur le plan physique ? «La fatigue, c'est dans la tête», répond-il. «Il est comme ça, résume Blake Griffin. Il ne sait que foncer en détruisant ce qu'il y a sur son passage.»
«Il joue comme s'il sortait tout droit de l'enfer»
Cette opiniâtreté trouve ses origines dans les conseils de son père, Russell Sr, qui l'a éduqué au basket en lui répétant que le ballon était son «seul ami». Elle a porté ses fruits en high school, lui permettant de se démarquer de ses rivaux. «Je n'étais pas bon : je courais partout, je perdais la balle une fois sur deux, reconnaît Westbrook. Mais je jouais dur.»
Elle l'a porté jusqu'en première division universitaire, à UCLA, où l'assistant-coach Kerry Keating le décrivait comme «un chien fou (...), un gamin qui joue comme s'il sortait tout droit de l'enfer». Et elle a fini par convaincre Sam Presti, le manager général d'Oklahoma City, qui avant la Draft 2008, l'a vu arriver avec près d'une heure d'avance à un workout – séance d'essai que Westbrook avait achevé avec les poignets rougis et gonflés à force de dunker comme un dératé.
Cela l'a parfois desservi, comme tous ces soirs de match au lycée où, perclus de crampes, il ne pouvait rentrer aux vestiaires sans le soutien d'un équipier. «Il était capable de courir à une vitesse étourdissante : le problème, c'est qu'il ne ralentissait jamais», raconte son coach universitaire, Ben Howland. «Il a des qualités athlétiques tellement folles qu'il est capable de supporter d'énormes séances d'entraînement, sept jours sur sept, confirme son préparateur physique, Rob McClanaghan, au Bleacher Report. Il a donc fallu lui apprendre à jouer lentement, ne serait-ce que pour le rendre plus imprévisible.»
«J'ai peut-être l'air d'un enragé mais je ne sais pas jouer autrement»
Sa perception du jeu ne facilite pas la tâche. Le meneur possède en effet la faculté de faire abstraction de son défenseur direct («je peux passer n'importe qui balle en main», assure-t-il) pour se concentrer sur ses adversaires en deuxième rideau, ce qui le pousse à jouer sans cesse en percussion. Une arme redoutable qu'il n'utilise pas toujours à bon escient, fonçant parfois dans le tas pour s'empaler aveuglément sur les big men adverses, mais qui lui permet de squatter les Top 10 à coups de dunks d'une brutalité sans égale.
Cette tendance peut être d'autant plus problématique que Westbrook «aime le contact» et fait fi des ecchymoses qui ornent ses avant-bras. Au lieu de le pousser à en faire plus, ses coaches successifs ont donc plutôt été amenés à le canaliser. Et quand il y consent, c'est à contrecœur. «Je ne sais pas combien de temps je serai encore en mesure de courir et de sauter comme je le fais en ce moment, indique-t-il à Sports Illustrated. Donc j'y vais. Je fonce, à chaque fois. J'ai peut-être l'air d'un enragé, mais je n'arrive pas à jouer autrement.»
Quand il se mue en «bête sauvage»
Cette ténacité confine à une douce folie, visible avant même que le match ne débute. Dans les vestiaires, «il s'arrête de parler, il cesse de cligner des yeux, décrit son équipier Anthony Morrow. Il devient 'Maniac Russ'. Il n'est plus avec nous, il est ailleurs.» «Et encore, ce n'est rien, tempère l'intérieur Steven Adams. Il faut le voir quand le match débute... il devient une bête sauvage.» Sur un terrain, Westbrook danse, hurle, peste, gesticule comme s'il avait constamment un surplus d'énergie à évacuer. «Quand il est dans son monde, c'est impossible de le calmer», concède le vétéran Nick Collison.
Lui-même avoue ne pas se reconnaître, avec le recul. Quand il regarde ses propres matches, il a «l'impression de voir un fou» : «Je ne sais même pas ce que je fais. Après un panier plus la faute, je crie si fort, j'ai une telle montée d'adrénaline, je suis incontrôlable.»
«Il joue avec une rage qui n'est pas commune» (Kobe Bryant)
Cette attitude force pourtant l'admiration de ses pairs, à l'image d'Oscar Robertson, seul homme à avoir moyenné un triple-double sur toute une saison, et qui estime avoir «déjà vu des joueurs possédant de telles qualités athlétiques, mais aucun avec une telle détermination». Ce n'est pas non plus un hasard si Kobe Bryant estime que Westbrook est le seul joueur actif qui lui ressemble, «parce qu'il joue avec une rage qui n'est pas commune».
«Je suis si émotif et j'ai une telle envie de gagner que cela peut se retourner contre moi, admet la star d'OKC. Contrôler tout cela, l'utiliser à mon avantage, cela a été mon plus grand challenge». Dans ce domaine, il semble avoir évolué dans le bon sens, au bénéfice du collectif. «Avant, il suffisait qu'il me regarde dans les yeux pour que je m'excuse, ironise à peine Adams. Maintenant, j'arrive à lui parler même en plein match. Si je choisis le bon moment.»
Il a aussi fait de nets progrès face aux médias, jouant plus souvent sur l'ironie que sur l'agressivité, et face aux critiques, auxquelles il n'essaie même plus de répondre. Quand dès le premier match de la saison, un fan des Sixers l'a copieusement insulté en lui montrant ses deux majeurs, il s'est contenté de le regarder en grimaçant, sans rien dire, le renvoyant à sa bêtise. «Je m'en fous de ce que les autres pensent, dit-il. La seule chose qui peut vraiment me rendre violent, c'est le manque de respect envers ma famille. En dehors de ça, je suis capable de supporter n'importe quoi. Rien ne m'atteint, que ça soit positif ou négatif. Les critiques entrent par une oreille et sortent par l'autre. Je donne la priorité à ma famille et aux gens qui comptent pour moi.»
Un personnage casanier et solitaire
Car derrière le masque du personnage exubérant aux tenues extravagantes se cache un garçon casanier, plutôt solitaire, au cercle d'amis très fermé. Il a rencontré sa compagne Nina il y a dix ans, à UCLA, où elle jouait elle aussi au basket – ils se sont mariés l'été passé dans un hôtel de Los Angeles. Ses proches sont ses anciens équipiers au lycée, Donnell Beverly et Demetrius Deason, avec lesquels il passe désormais des après-midi entières à jouer aux dominos (son meilleur ami, Khelcey Barrs, qui était aussi «le meilleur joueur de basket (qu'il a) jamais vu», est décédé à 15 ans d'une hypertrophie cardiaque non-diagnostiquée). Il ne peut se passer de son petit frère, Raynard, étudiant en journalisme, et encore moins de ses parents, Russell Sr et Shannon, avec qui il parle longuement au téléphone avant et après chaque rencontre.
En dehors du basket, même s'il est l'un des prestigieux invités de la fashion week new-yorkaise, Westbrook assure avoir «une vie simple». Quand il ne travaille pas sur sa nouvelle ligne de vêtement, il va dès que possible jouer au bowling, «parfois seul, l'après-midi, quand il n'y a personne d'autre». Attaché à sa routine, il s'entraîne tous les matins entre 9h et 9h30, avant de prendre son petit déjeuner, n'arrive jamais en retard, n'arbore aucun tatouage et ne boit pas une goutte d'alcool. «Les gens qui ne me connaissent pas doivent me prendre pour un fou : je ne suis pas comme ça. En temps normal, je suis quelqu'un de vraiment relax, promet-il. Mais vu comment je joue, je comprends qu'on puisse se tromper...»