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Comment Eric Ciotti a orchestré avec Vincent Bolloré l’annonce de son ralliement au RN
Au lendemain des élections européennes, le milliardaire breton et le président exclu des Républicains ont imaginé de concert l’annonce de son accord avec le parti d’extrême droite en vue des législatives des 30 juin et 7 juillet.
Lundi 10 juin, juste au lendemain des élections européennes, Eric Ciotti a pris contact avec Jordan Bardella et Marine Le Pen. Il s’est aussi rendu au 51, boulevard de Montmorency, dans le 16^(e) arrondissement à Paris, pour rencontrer Vincent Bolloré. Le président du parti Les Républicains (LR) n’a encore rien dit dans son propre parti de sa [décision de faire alliance avec le Rassemblement national (RN)](https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/11/eric-ciotti-propose-une-alliance-des-republicains-avec-le-rassemblement-national-en-vue-des-legislatives-et-ouvre-une-crise-a-droite_6238762_823448.html), mais il est venu en imaginer l’annonce avec le grand patron, propriétaire notamment de CNews, *Paris Match*, Europe 1 et *Le Journal du dimanche*.
Cela fait longtemps, déjà, que Vincent Bolloré caresse l’idée d’une *« union des droites »,* comme il appelle cette potentielle alliance entre le RN et LR. A plusieurs reprises, il en a esquissé la possibilité devant des journalistes et des éditeurs, collaborateurs de son groupe. Devant quelques élus, aussi, qui viennent le visiter dans cet immeuble de trois étages sur le perron duquel flotte un drapeau breton et qui abrite sa holding familiale, La Compagnie de l’Odet*.* Eric Ciotti en fait partie.
Les deux hommes se connaissent depuis quelques années déjà. *« Nous sommes tous deux préoccupés par la préservation de l’identité française »,* reconnaissait en novembre 2021 devant *Le Monde* le très droitier président des Républicains en évoquant ses liens avec le milliardaire. Chaque été, depuis plusieurs années, Eric Ciotti, qui rêve de conquérir Nice et domine la puissante fédération LR des Alpes-Maritimes, rencontre en effet le patron breton dans le sud de la France, lorsque ce dernier vient passer les vacances dans sa maison de Saint-Tropez, dans le Var. Ils ont aussi pris l’habitude de déjeuner régulièrement ensemble, de retour à Paris.
Situation favorable
Déjà, c’est quelques heures après un tête-à-tête avec Vincent Bolloré, à l’hiver 2021, qu’Eric Ciotti avait annoncé publiquement qu’il voterait Eric Zemmour au cas où, lors de la présidentielle suivante, le patron de Reconquête !, se retrouverait au second tour face à Emmanuel Macron. Puis, sur CNews, il avait appelé *« les soutiens et potentiels électeurs d’Eric Zemmour »* à adhérer à LR afin de voter pour lui à la primaire de la droite où il était candidat… Las, Ciotti avait été battu au second tour de la primaire LR par Valérie Pécresse et, six mois plus tard, en avril 2022, Zemmour avait à peine dépassé les 7 % au premier tour de la présidentielle.
Cette fois, pourtant, la situation paraît bien plus favorable à leurs yeux. Le RN est arrivé franchement en tête de l’élection européenne, Les Républicains sont menacés de perdre plusieurs de leurs bastions et le rassemblement possible des gauches peut être un chiffon rouge pour les électeurs de droite. Une scission des Républicains est désormais possible, pensent-ils, et une bonne partie des cadres et des élus pourraient rejoindre le parti d’extrême droite. Vincent Bolloré l’espère depuis longtemps.
Jusqu’à l’orée des années 2000, on a cru le chef d’entreprise classiquement libéral, comme la plupart des patrons du CAC 40. Mais, depuis son arrivée dans les médias, le grand patron ne cache plus son engagement, en catholique fervent, dans la défense de *« l’Occident chrétien »*. Ce *« combat civilisationnel »*, dont il parle parfois à ses visiteurs, tous les présidents qu’il a fréquentés, depuis Jacques Chirac et jusqu’à Emmanuel Macron, qu’il méprise, l’ont perdu, pense-t-il. C’est désormais à lui de le mener.
En 2022, Vincent Bolloré a cru avoir trouvé en Eric Zemmour le bon candidat pour prendre la tête de sa croisade. Marine Le Pen ? *« Elle est de gauche »*, fustigeait-il. Mais, depuis l’échec de Reconquête !, il s’est résolu à faire avec le Rassemblement national dont il apprécie bien plus le nouveau président, Jordan Bardella. Au RN, pense-t-il, il revient désormais de mener le combat contre l’immigration et l’islam, le retour à l’ordre et à la sécurité. En chef d’entreprise, cependant, il préférerait bien mieux voir aux manettes de l’économie des ministres venus de la droite. Au fond, son idéal politique, ce serait une synthèse française de la première ministre italienne, Giorgia Meloni : anti-immigrés et réactionnaire, européenne et propatrons.
Pétition pour soutenir ce rassemblement
En quelques années, il a donc mis une partie de son groupe, qui s’étend des médias jusqu’à l’édition, au service de ce dessein politique. L’alliance entre Républicains et extrême droite ? Elle est déjà visible chaque jour sur les plateaux de CNews, où, régulièrement, Pascal Praud reçoit des figures LR et leur demande : *« Mais puisque vous êtes d’accord avec Jordan Bardella sur l’immigration, pourquoi ne pas travailler avec lui ? »*
Seulement, il le sait, les cadres du parti Républicain résistent. Jusqu’à Nicolas Sarkozy, qui siège au conseil de surveillance du groupe Lagardère, désormais à la main de Vincent Bolloré, et ne veut pas entendre parler d’une alliance avec Le Pen. Ils résistent, sauf Eric Ciotti. C’est donc le président des Républicains que Vincent Bolloré convie ce lundi. Cette fois, la situation est mûre. Dès le lendemain, le président de LR annonce, comme convenu entre eux, son ralliement au RN en vue des prochaines législatives.
Peut-être Eric Ciotti et Vincent Bolloré n’imaginaient-ils pas que les cadres des Républicains seraient si nombreux à s’insurger et que l’exclusion du président Ciotti serait votée à l’unanimité du bureau politique de son parti. C’est en tout cas de concert que les deux hommes ont imaginé, mercredi, de lancer une pétition pour soutenir ce rassemblement des droites qu’ils appellent de leurs vœux. Comme une deuxième poussée, afin de faire céder cette muraille de Chine qui résiste encore au FN et exaspère Vincent Bolloré. Puis Eric Ciotti s’est rendu sur CNews, face à Christine Kelly, moquer ses anciens « amis », *« tellement décalés de la réalité lorsqu’ils fustigent le danger fasciste ».* Avant de refuser de céder la présidence des Républicains, bien que son ancien parti lui ait désormais retiré tous ses pouvoirs, sa voiture avec chauffeur et jusqu’à l’accès à son bureau.