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Gabriel Attal ferme les yeux sur les agissements de la ministre Prisca Thevenot
Les services du premier ministre n’ont pas donné suite aux alertes, y compris écrites, concernant le management brutal de la porte-parole du gouvernement. Prisca Thevenot est notamment accusée d’avoir qualifié de «putes» deux de ses collaboratrices.
«Si tu vois qu’un copain, qu’une copine ou qu’un camarade de classe souffre, soutiens-le. Parles-en autour de toi.» Ce conseil de Gabriel Attal, formulé en novembre 2023 aux écoliers, ne vaut visiblement pas pour son propre gouvernement. Depuis plusieurs semaines, le premier ministre ferme les yeux sur les graves dysfonctionnements ayant conduit aux départs de la quasi-totalité des membres du cabinet de la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot.
En l’espace de quelques jours, sept collaboratrices et collaborateurs ont claqué la porte en dénonçant le management brutal de la ministre, décrit dans plusieurs articles de presse, de Libération au Monde, en passant par Politis ou Marianne. Mais selon nos informations, Matignon a également été destinataire, dès le mois d’avril, de plusieurs signalements émanant de membres du cabinet de Prisca Thevenot, dont au moins deux ont été formulés par écrit. Ils sont restés sans réponse.
Selon ces signalements, que Mediapart a pu consulter, les services du premier ministre sont donc alertés depuis plusieurs semaines du «comportement», jugé problématique, de la porte-parole du gouvernement auprès de ses équipes. Des messages ont aussi été adressés à la nouvelle directrice de cabinet de cette dernière, qui a remplacé au pied levé son prédécesseur, lui-même démissionnaire.
« Je ne peux continuer à subir les propos et l’attitude injurieuse et humiliante de la ministre qui n’a pas hésité, encore peu après 7 heures, ce matin, à hurler au téléphone que je me fais manipuler par “des filles”, qui plus est “des putes”», a notamment rapporté un collaborateur à la nouvelle directrice de cabinet, indiquant avoir été lui-même traité de «pervers narcissique» par Prisca Thevenot.
Décrivant une situation «grave», ce membre de cabinet a également fait état auprès de Matignon d’une violente attaque personnelle de la porte-parole du gouvernement, qui l’a convaincu de quitter le cabinet. «Suite au comportement de la ministre, je ne suis plus en mesure d’exercer efficacement mes fonctions», a-t-il signalé le 25 avril.
Des faits répétés le lendemain, dans un échange de textos avec Prisca Thevenot en personne: «“Ferme-la, con, naïf, incompétent, ignorant, débilos…” Ces mots prononcés ne m’atteignent pas», lui écrit le collaborateur, contrairement à ceux qui ont engendré son départ – et qui sont trop intimes pour être retranscrits.
Sollicitée par Mediapart, Prisca Thevenot a indiqué qu’elle ne ferait «pas de commentaire».
« Anxiété » et «souffrance au travail»
Dans un message adressé au service du premier ministre pour signaler sa démission, un autre membre du cabinet de la porte-parole du gouvernement a fait part de la «souffrance au travail» et de l’«anxiété» provoquées par la situation. Sans recevoir, là encore, aucune réponse à ce jour.
Une absence de réaction de Matignon qui interroge, au regard du nombre de signalements reçus, mais aussi de la proximité affichée entre le chef du gouvernement et sa porte-parole. «Au-delà d’être mon “boss” en tant que premier ministre, c’est un ami, un conseil, et surtout un militant macroniste comme moi», a-t-elle récemment écrit sur son compte Instagram, répondant à une série de questions de ses abonné·es.
Depuis la vague de départs dans son cabinet, nombre de conseillers du pouvoir aiment à rappeler que l’entrée de Prisca Thevenot au gouvernement fut d’abord un choix de Gabriel Attal. Et de lui seul, insistent-ils. Le premier ministre a-t-il au moins convoqué son «amie» après avoir été alerté des cas de souffrance au travail de ses anciens collaborateurs et collaboratrices? Questionné sur le sujet, Matignon n’a pas répondu.
À l’inverse, des éléments de langage ont infusé dans plusieurs rédactions pour tenter de faire passer Prisca Thevenot pour la victime d’une cabale collective, comme si cette vague de départs résultait d’une coalition de membres de son cabinet qui auraient subitement décidé de se liguer contre elle. «C’est évidemment faux, aucun d’entre nous n’avait d’ailleurs intérêt à démissionner et à médiatiser cette affaire», proteste une ex-collaboratrice, en déplorant l’inaction du gouvernement.
Dans ses précédentes fonctions de secrétaire d’État chargée de la jeunesse, Prisca Thevenot avait déjà connu, en novembre 2023, le départ de trois collaborateurs – dont sa directrice de cabinet et son adjoint – quatre mois après sa prise de poste.
Le précédent parisien
Avant même d’intégrer le gouvernement, cette macroniste de la première heure a laissé des souvenirs mitigés au sein de la majorité présidentielle, notamment dans le comité de La République en marche (LREM, ex-Renaissance) du XVIIe arrondissement de Paris. Prisca Thevenot s’y est impliquée en amont des municipales de 2020, après une candidature malheureuse aux législatives en Seine-Saint-Denis en 2017.
« Ambiance délétère», «climat de terreur», «comportements déviants et toxiques»... Plusieurs militant·es interrogé·es par Mediapart gardent un souvenir amer de cette période. «Elle a pourri la campagne», assène la référente de l’arrondissement jusqu’à l’automne 2020. Ce qui a poussé un autre militant à saisir par écrit la commission des conflits du parti, le 16 décembre 2019, pour alerter sur «le déroulement de la campagne et l’ambiance générale au sein du mouvement dans le XVIIe» et réclamer des sanctions à l’égard de l’actuelle ministre.
Dans un message adressé à Stanislas Guerini, à l’époque délégué général du parti, aujourd’hui ministre de la transformation publique, celui qui était alors coordinateur de la campagne dans l’arrondissement avait aussi dénoncé une «ambiance détestable» due, selon lui, au «comportement ahurissant» et «totalement individualiste» ainsi qu’aux «coups bas, aux mensonges et aux manipulations» de Prisca Thevenot. Cinq militant·es interrogé·es, dont quatre ayant des postes à responsabilité dans l’arrondissement, disent avoir quitté la campagne entre décembre 2019 et janvier 2020, en grande partie à cause de ces comportements.
Dans sa réponse au coordinateur de campagne, Stanislas Guerini l’avait remercié pour «son message d’alerte très détaillé» et son «regard lucide». Le lendemain, le chef du parti LREM – qui n’a pas répondu aux sollicitations de Mediapart – s’était engagé dans un message à l’auteur du courrier adressé à la commission «à faire le point avec l’équipe parisienne sur le sujet». Un point qui, à en croire huit militant·es interrogé·es, n’a jamais eu lieu.
Mediapart