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Jean-Claude Gaudin
Ancien maire de Marseille, ministre, député et sénateur
Jean-Claude Gaudin avait fini par incarner Marseille comme son modèle Gaston Defferre avant lui. Il est mort lundi 20 mai, à l’âge de 84 ans. « Jean-Claude Gaudin n’est plus. Il était Marseille faite homme », lui a rendu hommage Emmanuel Macron dans un message posté sur le réseau social X.
Elu maire de sa ville natale à quatre reprises, sans discontinuer de juin 1995 à juillet 2020, le leader de la droite marseillaise n’aura pas battu le record de longévité de son aîné socialiste (vingt-cinq années de mandat contre trente-quatre), mais, tour à tour député et sénateur des Bouches-du-Rhône, président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA, 1986-1998), de la communauté urbaine de Marseille puis de la naissante métropole Aix-Marseille-Provence de mars 2016 à septembre 2018, il a marqué comme aucun autre élu la politique provençale pendant plus d’un demi-siècle.
Sous son autorité, toujours enrobée d’une apparente bonhomie, la droite a patiemment conquis et conservé tous les pouvoirs locaux. Une hégémonie totale, qui n’a pas empêché Jean-Claude Gaudin de vivre un quatrième et ultime mandat municipal très contesté. La mort, le 5 novembre 2018, de huit personnes dans l’effondrement de deux bâtiments dans la rue d’Aubagne a révélé l’échec de sa politique municipale en matière de lutte contre l’habitat indigne et suscité de violentes manifestations. Ce drame est l’un des éléments qui expliquent le basculement à gauche de Marseille en 2020 et la défaite de Martine Vassal, candidate LR soutenue par Jean-Claude Gaudin. Attaché aux symboles républicains, il a lui-même remis l’écharpe de maire à l’écologiste Michèle Rubirola, qui lui a succédé à la tête d’une coalition de gauche. « En politique, il faut savoir perdre »,
confiait-il.
Depuis sa retraite, il entretenait d’ailleurs des rapports cordiaux avec son successeur Benoît Payan (DVG), qui a remplacé Mme Rubirola en décembre 2020. Le nouveau maire de Marseille, qui le traitait avec une grande courtoisie, l’a invité à suivre à ses côtés le déplacement du pape François à Marseille en septembre 2023. Une attention que Jean-Claude Gaudin, grand connaisseur des arcanes du Vatican et qui a régulièrement tenté, en vain, d’organiser un déplacement papal à Marseille, a beaucoup apprécié. « Jean-Claude Gaudin paraissait insubmersible. Son départ me peine infiniment (…) Il manquera à cette ville », a réagi Benoît Payan sur X à l’annonce du décès.
L’identité marseillaise
Incontournable dans sa ville, Jean-Claude Gaudin a vécu une carrière politique nationale d’envergure, ténor de la droite française depuis le milieu des années 1980. Ministre de l’aménagement du territoire, de la ville et de l’intégration dans le second gouvernement d’Alain Juppé (novembre 1995-septembre 1997), il a enchaîné quatre mandats et vingt-huit ans de présence au Sénat, dont il finit premier vice-président (2014-2017). Il échoue toutefois à atteindre son Graal, la présidence du Palais du Luxembourg, ce qui constitue son seul véritable regret politique.
Jean-Claude Gaudin est né le 8 octobre 1939 à Mazargues, tout au sud de Marseille. Ce quartier populaire, où il conservera toute sa vie une maison familiale, est encore cernée de champs. Il y fréquente l’église Saint-Roch et les patronages, y acquiert son accent chantant, sa rondeur et son goût pour les traditions locales, comme celle de La Pastorale Maurel,
pièceque, même élu, il interprétera régulièrement. Son père est artisan maçon, adhérent du Mouvement républicain populaire (MRP), parti démocrate-chrétien. Sa mère, ouvrière dans les corderies. Les Gaudin louent également un cabanon dans la calanque de Sormiou, où le jeune Jean-Claude passe ses étés. Il y garde de fortes attaches et plus tard, devenu maire et ministre, guidera notamment dans cet écrin naturel Jacques Chirac.
Héritier de la verve des personnages de Marcel Pagnol, chez qui sa mère sert parfois à table, Jean-Claude Gaudin représente, aux yeux de ses électeurs, l’identité marseillaise. Pourtant, il n’aime guère la mer, se désintéresse du football et de l’Olympique de Marseille – bien qu’il en devienne président de mi-1995 à fin 1996, après la faillite de Bernard Tapie –, et finit par passer la moitié de sa semaine à Paris et la plupart de ses week-ends dans sa résidence secondaire de Saint-Zacharie (Var). Mais, jusqu’à ses derniers mois de mandat municipal, ses adversaires politiques mettront rarement en cause ce rapport viscéral entre l’homme, resté célibataire et sans descendance, et sa ville.
La passion de la politique vient tôt au jeune Gaudin. « A 15 ans, je rêvais déjà de devenir sénateur », racontera-t-il. Son sens de la formule, son goût du contact humain et sa capacité à trouver des compromis (« le plus souvent à son avantage »,
selon son premier adjoint de 1995 à 2008, Renaud Muselier) se révèlent rapidement. Ils constitueront ses atouts lors des nombreuses campagnes électorales qu’il mènera à Marseille et dans la région PACA. Enseignant l’histoire et la géographie pendant une quinzaine d’années dans l’établissement secondaire catholique privé Saint-Joseph-les-Maristes, le professeur Gaudin y forge sa science des anecdotes historiques, marque de fabrique de ses futures interventions politiques.
En mars 1965, Jean-Claude Gaudin entre au conseil municipal de Marseille. A 25 ans, il est le benjamin des élus de la coalition de Gaston Defferre, réunissant socialistes et centristes pour faire barrage aux communistes et gaullistes qui convoitent la ville. De ce premier mandat sous l’étiquette du Centre national des indépendants et paysans (CNIP), Jean-Claude Gaudin conserve religieusement une photo souvenir dans son bureau. « A l’époque, j’étais encore comestible », glisse-t-il immanquablement aux visiteurs qui remarquent la relique.
Cette période d’apprentissage fonde sa fascination pour le maire historique de Marseille, héros de la Résistance, autoritaire mais aimé. Président de la commission de l’urbanisme, le jeune élu œuvre à l’urbanisation à marche forcée du nord de la ville pour accueillir les rapatriés d’Algérie. Trois décennies plus tard, ces grands ensembles se transformeront, sous ses propres mandats, en ghettos sociaux. Témoins d’une fracture géographique que la politique municipale de Jean-Claude Gaudin, favorisant ses terres d’élections, plus aisées et moins cosmopolites, dans le sud de Marseille, aura fortement contribué à creuser.
Battu par Gaston Defferre
En 1971, socialistes et communistes se rapprochent, sous l’impulsion de François Mitterrand, et le démocrate-chrétien Gaudin se voit renvoyé dans l’opposition municipale. Il soutient alors Valéry Giscard d’Estaing en 1974, puis arrache, quatre ans plus tard, pour le compte de l’UDF, la 2e circonscription des Bouches-du-Rhône au baron du PS Charles-Emile Loo. L’exploit constitue sa première élection en son nom. Aux législatives de 1981, en pleine vague socialiste, Jean-Claude Gaudin réédite la performance et reste le seul député de droite élu à Marseille. Une victoire qui l’impose comme leader de son camp.
Jean-Claude Gaudin mettra plus de temps à enlever la mairie de Marseille. En 1983, pour sa première tentative, il est battu par Gaston Defferre, qui, en tant que ministre de l’intérieur, vient d’orchestrer un nouveau redécoupage électoral. La loi PLM a un effet immédiat pour Gaudin : il arrive en tête en voix (près de 2 500 bulletins d’avance) sur l’ensemble de la ville, mais est défait en nombre d’élus. Amer, il déclenche un incident lors du premier conseil municipal pour ne pas participer à l’élection finale de son adversaire.
Laminé en 1989 par l’inattendu Robert Vigouroux, ex-socialiste qui réussit l’exploit jamais égalé de rafler les huit secteurs de Marseille, l’UDF Jean-Claude Gaudin trouve la bonne formule en 1995. Neuf ans après la mort de Defferre, il dépasse sa défiance des gaullistes pour s’allier avec le RPR et son jeune secrétaire départemental, Renaud Muselier. Il a alors 55 ans, et ses listes « Ambition Marseille » remportent quatre secteurs sur sept, lui offrant enfin la mairie.
A peine installé dans le bureau de Gaston Defferre, signe de sa dévotion, Jean-Claude Gaudin fait remonter des réserves municipales la table de travail et la lampe de son prédécesseur. De Defferre, il conserve également les méthodes de gestion : l’entente avec le syndicat majoritaire Force ouvrière, qui le fera « membre d’honneur » en janvier 2014, la mainmise sur les comités d’intérêt de quartiers (CIQ), la Société des eaux de Marseille (SEM), ou encore l’AP-HM, les hôpitaux de Marseille, grands pourvoyeurs d’emplois à distribuer à ses affidés.
Elu sénateur en 1989, après onze années passées à l’Assemblée nationale, Jean-Claude Gaudin mène de front ses mandats. Pendant trois décennies, il passe trois jours par semaine à Paris, laissant la gestion courante de sa ville à sa garde rapprochée, que dirige sans partage son immuable directeur de cabinet et ami Claude Bertrand. Jean-Claude Gaudin semble alors plus passionné par les arcanes du jeu parlementaire que par le quotidien des Marseillais. Il ne quittera le Sénat qu’en octobre 2017, contraint par la loi sur le cumul des mandats. Une démission dont il se dira « profondément malheureux ».
Successivement membre du CNIP, des Républicains indépendants, de l’UDF et de Démocratie libérale, cofondateur de l’UMP, dont il est président par intérim à deux reprises, en 2004 après la démission d’Alain Juppé puis en 2007 lors de l’accession de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Jean-Claude Gaudin sera une voix écoutée chez Les Républicains. Adepte d’une certaine loyauté envers ce qu’il définit comme « sa famille politique », il soutient les leaders désignés par le parti, qu’ils s’appellent Nicolas Sarkozy, François Fillon ou Laurent Wauquiez. Le maire de Marseille n’a pourtant jamais cessé de se voir comme un héritier du catholicisme démocrate, humaniste et progressiste. « Dans la lignéedu Sillon de Marc Sangnier. Plutôt des gens aspergés d’eau bénite, comme je le suis moi-même », répète inlassablement ce proche du cardinal Etchegaray, que le pape Jean Paul II a fait commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, la plus haute distinction du Saint-Siège, à Rome, en 1996.
Ancré dans la démocratie chrétienne, Jean-Claude Gaudin reste toutefois l’homme qui a passé un accord de gouvernance avec le Front national pour diriger le conseil régional PACA en avril 1986. Le pacte, négocié en partie par Patrick Buisson, lui vaut alors une désapprobation nationale. Mais les critiques ne l’empêchent pas de valider, en tant que chef de la droite locale, de nouveaux accords de désistement avec les candidats FN aux législatives de 1988.
« Un édredon qui vous étouffe »
Derrière sa faconde et son affabilité, l’ogre politique Gaudin use d’un sens politique aigu et sait éliminer ses adversaires, qu’ils gravitent dans l’opposition – comme Bernard Tapie, Jean-Marie Le Pen ou Jean-Noël Guérini, l’ancien président socialiste du département des Bouches-du-Rhône, tous battus électoralement – ou dans son propre camp. « Gaudin est un faux gentil »,
dit l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin. « Avec lui, pas de sang sur les murs, c’est, au mieux, un édredon qui vous étouffe »,
renchérit Renaud Muselier, dauphin déchu qui sera l’un des rares à droite à oser attaquer Jean-Claude Gaudin – « un mauvais maire pour Marseille », lâche-t-il en janvier 2018.
En 2014, à 74 ans, alors qu’une première alerte médicale le fait hésiter à briguer un quatrième mandat, Jean-Claude Gaudin s’interroge publiquement : « L’idée de retraite me terrorise et j’ai passé l’âge d’être diacre. Si je fais plus maire, qu’est-ce que je fais ? » Ce dernier mandat, décroché sans trembler face au socialiste Patrick Mennucci et au frontiste Stéphane Ravier, prend des allures de fin de règne, marqué par la constitution heurtée de la métropole Aix-Marseille, qu’il préside sous les critiques des autres maires du département, et une brutale guerre de succession, qui provoquera la défaite de son camp, en 2020.
Les mandats de Jean-Claude Gaudin auront vu la façade littorale de Marseille se métamorphoser, notamment grâce aux financements de l’Etat avec le projet Euroméditerranée, et le chômage baisser de 22 % à moins de 12 %. Mais ses choix politiques laissent une ville très endettée, profondément divisée entre zones de prospérité et de grande pauvreté, et qui accumule des retards en matière de transports publics, d’écoles ou d’équipements sportifs. En mars 2022, après une longue enquête du Parquet national financier sur des pratiques généralisées d’heures supplémentaires payées sans travail effectif au sein d’une quinzaine de services municipaux, Jean-Claude Gaudin sera condamné pour « détournement de fonds publics par négligence ». Au terme d’une procédure de reconnaissance de culpabilité, il se verra infliger une peine de six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende et expliquera ne pas s’être « intéressé assez au fonctionnement interne des choses ».
Le drame de la rue d’Aubagne, que le maire n’aura pas su éviter en menant une politique efficace contre l’habitat indigne, véritable fléau local, provoquera d’importantes manifestations à la fin 2018. A plusieurs reprises, des milliers de Marseillais convergent alors vers l’hôtel de ville aux cris de « Gaudin démission » et « Gaudin assassin ». Refusant de reconnaître une quelconque responsabilité de sa municipalité, Jean-Claude Gaudin concédera toutefois face aux élus marseillais : « Les morts de la rue d’Aubagne me hanteront toujours. »
Le Monde