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Hymnes nazis, chants racistes, podcasts complotistes : sur Deezer et Spotify, l’extrême droite dans les oreilles
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Les deux plateformes de streaming hébergent, malgré des politiques de lutte contre la haine en ligne, plusieurs titres et podcasts de la mouvance identitaire et antisémite.
par Maxime Macé et Pierre Plottu
publié le 10 mai 2024 à 9h11
Vous écouterez bien un podcast raciste et antisémite ou un classique du IIIe Reich entre deux tubes ? Spotify et Deezer ont tout ce qu’il faut pour ça. Certes, les deux entreprises ont, par exemple, banni l’antisémite Alain Soral de leurs plateformes, début 2022. La première appuyant sa décision en refusant ses intox covidosceptiques tandis que son homologue française justifiait ce choix par son combat contre la haine en ligne. Une goutte d’eau… Car Libération a pu identifier que les deux leaders du streaming hébergent la crème des discours et des chansons d’extrême droite, jusqu’aux plus radicaux.
«Charles Martel si tu voyais / la Gaule ce qu’ils en ont fait / Charles Martel tu dirais / la France aux Français», beugle par exemple le groupe Brutal Combat en refrain d’un titre suintant la haine des immigrés. «J’arrive dans ta fac de gauche équipé comme Elephant», rappent, de leur côté, les jeunes Choletais de Ouest Cokins en référence au film de Gus Van Sant sur la tuerie du lycée de Columbine aux Etats-Unis (15 morts en 1999). Dans un autre style, les rockeurs Limougeauds de Lemovice chantent carrément à la gloire des «troupes de choc, soldats maudits, brigade numéro 7, de la Galice, Poméranie à Radomyśl» : la formation de SS français qui a précédé la division Charlemagne. Le tout, donc, en accès libre sur les deux plateformes.
Chanson pétainiste en originale
Des recherches plus ciblées permettent également de se retrouver avec les plus grands classiques du IIIe Reich dans les oreilles. La Horst Wessel Lied, l’hymne de la SA puis du régime nazi est, par exemple, disponible en plusieurs versions sur Spotify. Tout comme celui de la SS d’ailleurs, ainsi que pléthore de chants militaires allemands de la Seconde Guerre mondiale. Si tous ces titres ne sont pas disponibles sur Deezer, la licorne française n’en héberge pas moins tout un album dédié à ce genre très particulier… Ou encore la chanson pétainiste Maréchal nous voilà, à la gloire du dictateur collaborationniste de Vichy, en version originale.
Pourtant, Deezer s’est récemment vanté d’avoir fait un grand ménage de printemps, supprimant 26 millions de titres, soit 13 % de son catalogue. Fini, les paroles d’un racisme crasse ? Non, il s’agissait surtout de dégager les «faux albums» et autres mauvaises imitations réalisées par intelligence artificielle pour capter des revenus. Contactée, l’entreprise réaffirme que «la lutte contre la désinformation et les contenus haineux et illégal est une priorité absolue», précisant être «engagé(e) contre la désinformation et la haine tout en veillant à préserver la liberté d’expression». Et de relativiser en invoquant «entre 150 000 et 200 000 contenus (qui) sont téléchargés quotidiennement» sur sa plateforme. Comment sont-ils modérés ? «Il y a une équipe dédiée à examiner chaque signalement provenant des utilisateurs», précise un porte-parole concédant, entre les lignes, que rien n’est mis en place pour contrôler ces contenus à la source.
Absence de validation éditoriale
Même son de cloche du côté de Spotify qui met également en avant ses «conditions d’utilisation (qui) stipulent clairement que nous n’autorisons aucun contenu incitant à la violence ou à la haine» et assure à Libération prendre «les mesures appropriées» si nécessaire. L’entreprise affirme mettre en œuvre «une combinaison de méthodes algorithmiques et humaines pour examiner le contenu» et avoir «en 2024, supprimés des milliers de publications qui violent (ses) politiques en matière de haine». Mais, «comme toujours, le contexte est important et le contenu qui n’incite pas explicitement à la violence ou à la haine contre des minorités peut rester sur la plateforme», ajoute-t-elle. Problème : la firme suédoise a déjà été pointée du doigt à plusieurs reprises par la presse – notamment le journal belge la Libre en 2020 et la Radio télévision suisse il y a à peine un mois – pour sa «complaisance» avec l’extrême droite. Confrontée par ces médias, elle a botté en touche et mis en avant des mesures qui, à ce stade, n’ont donc pas changé la donne.
Les plateformes de streaming profitent également du boom des podcasts, ces émissions audio à la demande. Emissions de radio, déclinaisons parlées de contenus YouTube, séries documentaires… L’offre est large et éclectique. CNews, très présente, y côtoie France Inter, le vulgarisateur historique Nota Bene, l’After foot de RMC ou des créateurs indépendants. Mais ici aussi, les contenus d’extrême droite fleurissent avec, parfois, absence de validation éditoriale en amont.
Des milliers d’heures du podcast Géopolitique profonde sont, par exemple, disponibles sur les deux plateformes. Dont cet épisode, mis en ligne sur Deezer (mais pas Spotify) à la mi-mars, mettant à l’honneur Vincent Reynouard, Alain Soral et Alexandre Juving-Brunet. Soit, dans l’ordre : le pape du négationnisme français, un antisémite multirécidiviste et un influenceur islamophobe passé derrière les barreaux qui fantasme une guerre civile raciale. Présentés comme de pauvres «victimes» de la «tyrannie» de «la République» par Mike Borowski, pilier de la fachosphère et animateur de ce podcast à la ligne éditoriale amalgamant idéologie d’extrême droite radicale et complotisme radicalisé, ils dissertent pendant quatre-vingt-dix minutes sur la «dictature» qui serait à l’œuvre en France… Pas de quoi rebuter ni Deezer ni Spotify visiblement puisque Géopolitique profonde, qui se décline également sur YouTube, y déverse mensonges, délires racistes et propagande pro russe depuis novembre 2022 à raison de plusieurs épisodes par semaine. Et invite, depuis ses débuts, dès noms bien connus a l’extrême droite : du très underground suprémaciste blanc Daniel Conversano à Bruno Gollnisch, le – toujours – membre du conseil national du RN préféré des radicaux.
Démographie, combat culturel et islamophobie en toute tranquillité
Dans un style moins complotiste mais tout aussi raciste, l’institut Iliade, think tank identitaire, a également sa chaîne sur les deux plateformes depuis des années. On y cause démographie («la mère de toutes les batailles», affirment-ils, obsédés par la pureté raciale), combat culturel et islamophobie en toute tranquillité. Pire encore avec la «Radio Athéna» de l’antisémite Henry de Lesquen, candidat à la candidature à la présidentielle 2017 pour son «Parti national-libéral» dont le logo reprenait celui de la division SS Das Reich… Il proclamait notamment son intention d’interdire la «musique nègre» s’il l’emportait. Radio Athéna est hébergée par Deezer et Spotify depuis octobre 2023 et diffuse plusieurs heures d’émission par semaine.
On peut aussi trouver sur ces plateformes le masculiniste Stéphane Edouard, les cathos-tradi identitaires d’Academia Christiana (sous le coup d’une procédure de dissolution annoncée par le ministère de l’Intérieur en décembre et toujours en cours), des «sketchs» de Dieudonné, les recensions radicales du youtubeur «Maudin Malin», les logorrhées de Papacito et quantité d’autres encore. L’intolérance, la xénophobie et le racisme à portée de clic.