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Macron va-t-il dérouler le tapis rouge à Xi Jinping ?
CHRONIQUE - Paris, Marseille, les Hautes-Pyrénées : le programme de la visite du président chinois se construit. Mais avec quel objectif, alors que l'industrie européenne s'alarme de la dégradation de la relation commerciale ?
Xi Jinping n'a pas remis le pied en Europe depuis le Covid. Autant dire que sa venue en France les 6 et 7 mai prochains - qui n'est pas encore officiellement confirmée - revêt une importance toute particulière. Les préparatifs de ce déplacement s'accélèrent. De sources concordantes, Emmanuel Macron envisage ainsi d'emmener son homologue dans les Hautes-Pyrénées. Chez lui, en somme. Sur les traces de son enfance chez sa grand-mère. Retour de politesse, puisque Xi Jinping avait fait visiter au président français la résidence de gouverneur où son père avait habité à Canton. Un autre déplacement plus formel pourrait avoir lieu, à Marseille. Autre ville de coeur d'Emmanuel Macron.
Cette visite a une portée symbolique. La France et la Chine commémorent les 60 ans de leurs relations diplomatiques. L'agenda politique et stratégique de la visite du plus puissant allié de Vladimir Poutine, également attendu en Serbie et probablement en Hongrie, s'annonce chargé. L'agenda économique, y compris son lot traditionnel de contrats, le sera au moins autant.
Pour le préparer, le ministre chinois du Commerce était à Paris dimanche et lundi pour un exercice impeccable et aimable d'hypocrisies réciproques. Wang Wentao l'a juré, l'enquête ouverte par Pékin sur les cognacs n'a rien de politique. « C'est difficile de comprendre comment une bouteille de XO à 300 euros peut être accusée de dumping », ironisait la semaine dernière le patron de la Chambre de commerce de l'Union européenne en Chine, Jens Eskelund. Quant à la France, elle le promet, elle n'est pour rien dans l'enquête qui vise les véhicules électriques chinois et que Pékin n'a de cesse de dénoncer.
La visite de Xi Jinping intervient alors que le monde est pris de vertige à la lecture des statistiques chinoises qui décrivent des surcapacités industrielles inédites. La Chine produit toujours plus, alors qu'elle consomme chichement. Cela prépare-t-il un second « choc chinois » pour l'économie de la planète, après celui provoqué par l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 ?
Ce second choc est en réalité potentiellement plus violent que le premier, pour quatre raisons. Un, parce que la Chine a acquis en vingt ans un poids considérable, et représente 31 % de la production manufacturière mondiale. Deux, il ne s'agit plus de se laisser submerger par des produits peu chers et bas de gamme, mais par des produits peu chers et d'aussi bonne qualité, sinon meilleure, que les nôtres. Trois, il n'y a plus vraiment, en échange de nos importations, d'eldorado chinois. De petites tracasseries administratives en vraies barrières, les multinationales se sentent de moins en moins chez elles dans l'empire du Milieu. « Elles doivent prendre des décisions difficiles pour savoir comment, et parfois même si, elles restent engagées sur le marché chinois », décrit un récent rapport de la Chambre de commerce de l'Union européenne en Chine. Quatre, l'économie chinoise n'est plus en train de se couler dans la grammaire libre-échangiste des affaires inspirée par l'OMC, elle se transforme radicalement, sous la direction de Xi Jinping, en véritable capitalisme d'État, dirigiste, ultrarégulé, entièrement soumis aux impératifs de sécurité nationale avec une intégration civilo-militaire assumée, en particulier dans les domaines technologiques.
Comment réagir ? Les États-Unis surtaxent les importations chinoises et multiplient les mesures de contrôle des exportations pour tenter de couper l'accès de la Chine aux technologies les plus avancées. L'Union européenne élève son niveau de riposte. Après les panneaux solaires, la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé mardi une enquête sur des marchés de turbines éoliennes. Fin mars, inaugurant le nouvel outil de lutte contre les subventions étrangères, le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, avait poussé le constructeur ferroviaire CRRC à se retirer d'un marché public bulgare. Dans les prochains jours, la Commission pourrait ouvrir un nouveau front, sur le terrain de la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics.
Aucun de ces instruments n'est cependant en mesure de contrer la totalité de la stratégie de concurrence chinoise. Aucune surtaxe ne compensera les énormes gains de productivité tirés d'un marché intérieur de 1,4 milliard d'habitants. Aucune enquête sur les subventions ne saura rétablir l'équité face à une économie entièrement irriguée au crédit subventionné et qui n'obéit donc pas aux mêmes exigences de coût du capital.
Pour autant, ni les États-Unis ni même l'Europe ne sont démunis. La Chine a besoin de nos marchés et de certaines de nos technologies. La preuve avec les opérations séductions lancées par Pékin à destination des entreprises et investisseurs étrangers. Lundi, Alain Mérieux, le fondateur de bioMérieux, a été reçu à titre privé par Xi Jinping lui-même. Le président chinois s'est aussi rendu en personne sur un site du chimiste allemand BASF. Il a participé à un dîner de dirigeants américains de haut vol (Blackstone, Qualcomm, FedEx...) fin mars. Pour les entreprises qui comblent les lacunes technologiques du tissu chinois, par exemple dans le domaine des semi-conducteurs, Pékin est prêt à dérouler le tapis rouge.
Il y a donc une partie, serrée, d'interdépendance à jouer avec Pékin. Ni la France ni l'Europe ne peuvent suivre le jusqu'au-boutisme de Washington. Il faudra au moins une décennie pour désincarcérer des appareils productifs qui ont été intimement intégrés depuis plus de vingt ans. Pour autant, il faut « montrer les dents » , selon l'expression de Bruno Le Maire. Et mieux vaut les avoir pointues. B. B.
Société du Figaro