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L’histoire secrète du remaniement
Récit exclusif|Après plusieurs jours de tractations au sommet de l’État, Emmanuel Macron a installé à Matignon le plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Ve République.
Ludwig Gallet, Olivier Beaumont, Marcelo Wesfreid et David Doukhan
Mardi 2 janvier, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, demande à Gabriel Attal de lui fournir une note pour savoir comment il envisagerait ses 100 premiers jours à Matignon. Les cabinets ont appris la veille le report du Conseil des ministres et les spéculations vont bon train quant à un remaniement rapide. La presse, alors, fait du ministre des Armées Sébastien Lecornu le grand favori à la succession de Borne.
La requête d’Alexis Kohler, jusqu’alors restée secrète, démontre que l’option Attal était envisagée dès le départ. « Je pense que le président avait son nom en tête depuis décembre », glisse un témoin direct des tractations. « Il faudra que je donne une impulsion en janvier, ce sera un moment décisif », avait confié à l’époque le chef de l’État à l’un de ses collaborateurs.
Certains au sein du gouvernement se demandent si le président n’aurait pas « testé » des noms pour jauger leur perception. Lecornu, Denormandie, Ferrand… de simples leurres ? Alors que la rumeur bruisse sur une éventuelle nomination, Richard Ferrand fait très vite savoir qu’il n’envisage pas de revenir au gouvernement. Restent Julien Denormandie et Sébastien Lecornu. Le premier, dont le profil est vu d’un très bon œil par François Bayrou, incarnerait le macronisme historique. Lecornu découvre avec perplexité les articles de presse qui font de lui le possible locataire de Matignon. Au plus fort des supputations le concernant, le 7 janvier au soir, il prépare tranquillement, depuis son ministère, le discours de prise d’armes qu’il va prononcer le lendemain aux Invalides. Il n’a alors jamais eu d’échange avec l’Élysée sur une éventuelle nomination…
Un drôle de numéro
Dans cette histoire, jamais le président de la République n’a trahi ses intentions. Face à Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, respectivement reçus les jeudi 4 et vendredi 5 janvier, Macron pose beaucoup de questions, mais ne se livre à aucun moment. Ce même vendredi, il accueille pourtant une nouvelle fois Gabriel Attal au Château. Une première ébauche de gouvernement est même débattue. Élisabeth Borne, quant à elle, ne s’est toujours pas vu signifier son départ.
Son patron lui joue un drôle de numéro. Le dimanche 7 janvier, la Première ministre est invitée à se rendre à l’Élysée. Officiellement, pour un rendez-vous de travail sur les inondations dans le Pas-de-Calais. Là n’est pourtant pas le seul objectif de cette entrevue. Ils discutent bien de la suite, du remaniement à venir, mais jamais de la situation personnelle de Borne, qui repart à Matignon sans plus d’éclaircissements.
« Il saura mettre son talent au service de l’action »
Tout se décante le lendemain. Après avoir vu une dernière fois le chef de l’État, elle lui adresse sa lettre de démission. Le courrier laisse transparaître sa déception. Depuis quelques heures, le nom de Gabriel Attal a enfin franchi le mur du son. Une certaine fébrilité gagne pourtant son entourage, ce lundi 8 janvier. L’Élysée tarde à annoncer le nom du nouveau Premier ministre. En coulisses, Richard Ferrand et François Bayrou tentent de s’opposer sur le fil à sa nomination. L’attente est décrite comme « terrible ».
Emmanuel Macron n’écoute finalement pas ses deux visiteurs historiques. Il acte un « effet waouh » en nommant le plus jeune chef de gouvernement de la V e République. « Il saura, j’en suis sûr, mettre tout son talent et son audace au service de l’action et des résultats », confie Emmanuel Macron au « Parisien » - « Aujourd’hui en France ». Reste à constituer une équipe ultra-resserrée. Pas une mince affaire. « Dans une époque aux mille bascules où le visage de plusieurs décennies peut se dessiner en quelques mois, il fallait un gouvernement de vitesse, d’impact et d’intensité. Plus révolutionnaire que gestionnaire », poursuit le chef de l’État.
Plusieurs jours avant la nomination de Gabriel Attal, Emmanuel Macron envisageait déjà un autre gros coup. Il discute avec Rachida Dati d’une possible entrée au gouvernement. La maire du VII e arrondissement de Paris n’évolue pas en terre inconnue. Elle entretient des liens réguliers avec Brigitte Macron, ainsi qu’avec Frédéric Rose, le conseiller Intérieur du président. Elle est aussi très proche de Maxime Cordier, conseiller spécial d’Attal, qu’elle a pacsé il y a trois semaines.
Mais Dati refuse les premières propositions qui lui sont faites. « Quand elle a mis la mairie de Paris dans la corbeille, ça a commencé à bouger », raconte un témoin privilégié de ces discussions. Le jeudi 11 janvier au matin, Matignon lui envoie un véhicule et la fait entrer en toute discrétion, par l’arrière de l’hôtel. Elle rencontre Gabriel Attal dans le pavillon de musique — une petite bâtisse située au fond du jardin, connue pour abriter les rendez-vous discrets. Le Premier ministre part ensuite déjeuner avec Emmanuel Macron, qui reçoit à son tour Rachida Dati. Tous les deux actent son retour au gouvernement, quinze ans après avoir quitté la chancellerie.
Bergé repêchée « dix minutes avant l’annonce »
Le choix est fait de ne conserver que les profils les plus politiques au sein du gouvernement. Les autres sont sacrifiés sans ménagement. C’est notamment le cas de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, qui a agacé Macron sur le cas Depardieu. Elle n’a été appelée qu’après l’annonce du nouveau gouvernement. « Elle a été deux ans sa conseillère. Comment peut-on traiter si mal les gens ? C’est d’une violence inouïe », raconte une de ses anciennes homologues. Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles sortante, a quant à elle été repêchée in extremis. « Dix minutes avant l’annonce, elle n’était pas dans le gouvernement ! » confie un témoin aux premières loges.
La composition de ce gouvernement, annoncée tard le jeudi soir, est pourtant loin de faire l’unanimité. D’abord car les principaux postes, les cinq ministères régaliens, sont dévolus aux hommes. Quant à François Bayrou, qui a fait le siège du téléphone d’Emmanuel Macron des jours durant, il n’a récupéré que des miettes. « Il y aura un avant et un après-nomination Attal. […] Tout cela va créer des inimitiés, de la rancœur, de la frustration », s’inquiète un poids lourd du gouvernement.
Gabriel Attal semble avoir parfaitement cerné ces risques. Selon nos informations, le chef du gouvernement a fait de la « collégialité » au sein de l’exécutif sa première des priorités. Mais face à son équipe, lors du Conseil des ministres qui a lieu le lendemain matin, il fixe aussi les règles : « Les déplacements, les arbitrages, les prises de parole de chacun d’entre vous et des ministres qui appartiendront à vos pôles devront être parfaitement coordonnés entre nous et avec mes équipes à Matignon », exige-t-il. À la sortie, un ministre reconduit, qui se dépeint comme « un survivant », résume alors le sentiment général : « On est revenus de cet enfer. » Il parle bien du remaniement.
Le Parisien