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Dominique de Villepin, les ombres d'un drôle de «stratège»
ENQUÊTE
Omniprésent dans les médias depuis la guerre entre le Hamas et Israël, l'ancien Premier ministre éloigné du pouvoir depuis 2007 s'affiche en simple diplomate gaulliste, libre de toute attache. En réalité, il est devenu un businessman, cultivant ses relations avec le Golfe et la Chine, et s'est constitué une fabuleuse collection d'art.
La vie est un combat. Toujours penser stratégie, leçon de Napoléon, son maître. Dominique de Villepin prépare minutieusement chacune de ses sorties cathodiques dans son duplex princier de l'avenue Foch, à Paris : considération du média, de l'intervieweur, tenue choisie avec soin pour habiller sa silhouette fuselée par un jogging quotidien depuis un demisiècle, mots affinés par la lecture, dès l'aube, de la presse. Après la tragédie du 7 octobre, sollicité par des dizaines de journalistes, l'ancien Premier ministre a réservé sa première interview à la radio publique, sur France Inter. Propos justes, ton grave : «Je suis surpris par l'ampleur, par l'horreur, par la barbarie, qui nous appelle tous à un devoir de solidarité et d'humanité envers Israël. Mais je le dis avec une peine infinie, pas surpris par cette haine qui s'est exprimée quand on se rappelle la guerre à Gaza… quand on se souvient de ce que nous avons tous dit comme témoins sur place de cette prison à ciel ouvert - on parle de cocotte-minute, qu'une telle situation puisse inventer l'enfer sur terre… Oui, on se dit que quelque chose a été raté, l'amnésie qui a été la nôtre… Ne nous mettons pas au niveau de ceux qui pratiquent cette barbarie… Le Hamas, ce n'est pas le peuple palestinien… Pour être efficace, il faut utiliser toutes les armes mais il faut une perspective politique… Faire en sorte que tout cela ne se termine pas dans un bain de sang.»
Antiennes antisémites
La voix de Villepin a porté dans le monde entier, particulièrement dans les pays arabes, qui n'ont jamais oublié son discours à l'ONU de 2003, contre l'intervention américaine en Irak. Emmanuel Macron, qui l'écoutait jadis avec égard, aurait apprécié un tel succès. Pour lui, Dominique Galouzeau de Villepin fait désormais partie, comme Hubert Védrine, de ces diplomates «vintage», ensuqués dans leurs rêves de grandeur gaullo-mitterrandienne, ce terme qu'il prisait en 2017 et n'emploie plus. Eh bien, le vieux lion a visiblement la niaque. Toujours halé, cheveux argent, il a couru les chaînes d'infos, LCI, BFM, CNews, «pour ferrailler contre ceux qui ne pensent pas comme moi», disait-il, avant d'aller chercher le jeune public du Quotidien de Yann Barthès, le 23 novembre. Et là, soudain, ces mots troubles, après un sujet sur les célébrités de Hollywood critiquées ou sanctionnées pour avoir soutenu les Palestiniens : «On voit à quel point la domination financière sur les médias, et sur le monde de l'art, de la musique pèse lourd. Parce qu'ils ne peuvent pas dire ce qu'ils pensent, parce que tous les contrats s'arrêtent immédiatement», a commenté Villepin, reprenant - sans prononcer le mot juif - les vieilles antiennes antisémites. Malaise pour nombre de téléspectateurs. Le producteur a hésité à souffler dans l'oreillette de Yann Barthès qu'il fallait réagir. Finalement, l'émission a continué. Villepin en est ressorti tout content, au bras de son aînée, Marie, 35 ans, l'ancienne mannequin devenue peintre, qui l'accompagne souvent sur les plateaux. Père et fille en osmose comme toujours, prenant soin l'un de l'autre, escortés par le garde du corps et le chauffeur mis à disposition par la République, depuis les années à Matignon.
Aussitôt, la polémique a enflé : Villepin antisémite ? Oui, pour l'inoxydable Jacques Attali, comme pour le président du parti Les Républicains, Eric Ciotti, dénonçant une «pensée complotiste, rappelant les heures les plus sombres». L'historien Iannis Roder, spécialiste de la Shoah, s'est inquiété, dans une courte vidéo, de voir l'ancien Premier ministre reprendre les «poncifs antisémites du XIXe siècle», véhiculés par Drumont et les Protocoles des sages de Sion. Villepin a écouté ce professeur agrégé qu'il admire, vu le tweet de son ancien conseiller à Beauvau, Frank Melloul, désormais patron de la chaîne franco-israélienne i24 News : «Cher Dominique de Villepin. Que vous arrive-t-il ?» Des amis l'ont appelé, gênés, disant, pour les plus francs : «Quelle connerie…» Tous ceux qui fréquentent Villepin, le philosophe Luc Ferry, l'éditeur Olivier Orban, les anciens diplomates Gérard Araud, Philippe Faure et Hubert Védrine, qui partage ses vues sur le conflit israélopalestinien, l'assurent à Libération : «Villepin n'est pas un quart de seconde antisémite.» Mais lui n'a pas cru bon de faire amende honorable. Il aurait pu regretter ces mots qui brûlent désormais sur les sites antisémites, lui qui prétend «marcher sur des oeufs avec des pattes de colombes». Mais non. En privé, il peste : «On me renvoie à l'antisémitisme du XIXe siècle, en refusant la réalité d'aujourd'hui, en occultant la question de la libre expression dans les médias.» Il flirte avec la paranoïa : «La chasse aux sorcières a commencé.» Villepin sert le même couplet à Libération : «A quoi bon répondre ? On est dans l'ère de la post-vérité. Il y a une volonté très organisée de caricaturer, de salir, de bâillonner…» Il a décliné toute rencontre, mais nous a accordé trois longs entretiens par téléphone, possibilité de le citer, avec son accord. «J'ai 70 ans, je n'aime pas la lumière », ose-t-il, après s'être tant exposé. Et, langue toujours fiévreuse : «Je n'ai de comptes à rendre à personne, sauf à ma conscience.»
Politique chevaleresque
On rétorque qu'il est utile de savoir d'où il parle. Soupir : «Vous me traitez comme un citoyen de seconde zone, toujours les mêmes questions…» Il le sait, le bruit partout court qu'il est payé par le Qatar, l'émirat qui finance le Hamas, héberge ses chefs politiques et négocie depuis le 7 octobre la libération des otages. L'essayiste Alain Minc et l'avocat Gilles-William Golnadel l'ont encore récemment épinglé sur ce thème. Toujours, Villepin dément : «Je n'ai jamais eu un contrat avec le Qatar. Rien, pas même une conférence rémunérée», répète-t-il à Libération. Même ses amis en doutent, tant ils ont vu leur «Dominique», il y a dix ans, s'emballer
pour l'émirat et ses dirigeants, les Al-Thani, louer leur modernité, leur vista. L'un d'eux se souvient l'avoir entendu se vanter de les avoir aidés à percer dans le luxe, racheter le Printemps. Il nie. «Calomnie», lâche-t-il en privé, s'offusquant
que les médias le cherchent toujours sur ce terrain-là et n'interpellent jamais son ennemi de toujours Nicolas Sarkozy, bien plus proche du Qatar. Nous y reviendrons.
Villepin est un coffre-fort, «un grand secret, un solitaire», dit Maurice Gourdault-Montagne, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères au début de la macronie, qui l'a connu à Sciences-Po Paris. Personne ne sait vraiment quelle est la vie de ce drôle de politique chevaleresque, tant aimé de Jacques Chirac, moins de Bernadette qui, après la dissolution ratée de 1997, l'appelait, tout ironique, le «Stratège». Nicolas Sarkozy s'était promis de le suspendre à «un croc de boucher», après l'affaire Clearstream (ce scandale financier à tiroirs, avec de faux listings qui prétendaient révéler les comptes occultes de personnalités, dont Sarkozy). Il y eut ce procès et ces images du couple Villepin, avec leurs trois enfants, soudé à l'entrée du tribunal, avant de divorcer. Relaxe, tentative, en 2011, de se présenter à l'élection présidentielle. Et Villepin a disparu du paysage, revenant seulement sur les ondes pour quelques tours de pistes géopolitiques.
Cuisinier avenue Foch
Il gère désormais seul sa société de conseils, Villepin international, domiciliée avenue Foch, l'artère parisienne fétiche des potentats africains où il a racheté, voici trois ans, la demeure du célèbre coiffeur disparu Jacques Dessange. Il vit là, avec Marie, et toutes ses oeuvres d'art : statues et masques africains, toiles sublimes de Nicolas de Staël, Zao Wou-Ki, Maurice Mata, Ladislas Kijno, Anselm Kiefer… «Un véritable musée», glisse son complice de toujours, Philippe Faure, ancien ambassadeur au Mexique et au Maroc. Un autre camarade du Quai
d'Orsay : «C'est si beau qu'on a du mal à se concentrer.» Villepin, soucieux de cloisonner, reçoit toujours en tête-à-tête, vins fins et plats mitonnés par son cuisinier. Tous se demandent comment la fortune est tombée sur leur cher «Dominique», qui, jeune diplomate à Washington, s'offrait des «croûtes» chez l'antiquaire du coin et des bouteilles de vin à 5 dollars. Ils peuvent bien tenter d'en savoir un peu plus, l'interroger sur ses voyages toujours évoqués à la hussarde d'un «je rentre du Mexique» ou bien d'Ethiopie, du Maroc, de Chine. Le globe-trotter ne s'étend guère. Il peut s'amuser des bruits de Paris, se délecter des aventures des puissants, même rire de la rumeur, fausse, qui, il y a quelques années, le disait en couple avec l'acteur Lambert Wilson. Toujours, il revient aux grandes Suite page 4
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lignes de fractures du monde.
Villepin se vit et se vend encore en homme d'Etat. C'est ainsi qu'il s'affiche dans les forums internationaux, les grandes écoles, à la télé, hyperactif depuis l'invasion de l'Ukraine et la guerre à Gaza. «Je ne peux pas me taire, je me sens un devoir, la situation est trop grave.» Villepin parle en «homme du Sud». Sa seule grille de lecture, insiste-t-il, «une vision singulière du monde», liée à sa petite enfance au Maroc, où il est né, puis au Venezuela, où il grandit jusqu'à l'âge de 15 ans. Son père avait un poste élevé chez Pontà-Mousson (aujourd'hui Saint-Gobain), avant de devenir sénateur. Mère adorée, jolie villa, mais tout autour la pauvreté, les copains qui dévalaient pieds nus vers l'école. «J'ai toujours été sensible à ceux qui n'ont rien et souffrent de l'injustice.»
«Born to be alive»
Puis le lycée en France, en internat, à Toulouse. A 17 ans, il vécut un drame qui l'habite encore. Le coeur de son frère aîné, Eric, 19 ans, épileptique, a cessé de battre, au retour d'une balade en mer, à Saint-Briacsur-Mer, en Bretagne. Villepin l'a trouvé sans vie dans la baignoire. Deuil impossible. Il brilla pour deux, fac de lettres à Nanterre, Sciences-Po, l'ENA, le Quai d'Orsay, premier poste consacré à l'Afrique centrale, puis l'ambassade de France à Washington, New Delhi, toutes ces années auprès de son mentor, Jacques Chirac.
Et puis la gloire, avec son discours du 14 février 2003 à la tribune de l'ONU, à New York. «Le Patrick Hernandez de la diplomatie française»,
tweeté un jour le politologue Bruno Tertrais, comparant Villepin au chanteur d'un seul tube Born to be alive. Après cette blague, devenue virale, et quelques passes d'armes médiatiques, Villepin a invité Tertrais à déjeuner. Il déteste
être réduit à son fameux discours. Il sait combien il le doit au président Chirac, résolu, le premier, à s'opposer à l'intervention d'une coalition conduite par les Etats- Unis en Irak. «On s'est même demandé si mon père devait lui-même aller à l'ONU, évoque Claude Chirac. Mais la réunion se tenait entre ministres des Affaires étrangères, le Président ne voulait pas en rajouter.» Maurice Gourdault-Montagne, alors sherpa à l'Elysée, rappelle que «George Bush voulait aussi intervenir pour protéger Israël, Chirac l'avait mis en garde contre le risque de contagion. Souvenez-vous aussi que les opinions européennes étaient contre la guerre, l'Allemagne aussi fermement opposée». Mission fut donnée à Villepin de porter la voix de la France et d'écrire le discours, ciselé avec son directeur de cabinet de l'époque, Bruno Le Maire, jusque dans l'avion qui les menait vers New-York. Ovation à l'ONU. Et Villepin fit le tour du monde, pour dénoncer - déjà - «le piège de la force seule», s'assurer d'un véto contre les Etats-Unis. En vain, Bush, sans l'aval du Conseil de sécurité, décida la guerre. «Je me souviens de Dominique regardant à la télé les images des GI accueillis avec des fleurs en Irak», se remémore la poétesse Vénus Khoury- Ghata. «Il disait : bientôt ils vont détruire leur pays.» C'est l'époque où le ministre des Affaires étrangères recevait, avec sa femme sculptrice, Marie-Laure, beaucoup d'artistes, écrivains,
peintres, invités à dessiner des menus, repenser la décoration du Quai d'Orsay. Il fréquentait assidûment les journalistes, dont Edwy Plenel, alors directeur du Monde qui, à la surprise de confrères, louait ouvertement ce Villepin «si brillant, et beau», et qu'il sollicitera, parmi d'autres, pour l'aider à créer Mediapart. La gauche a souvent été séduite par ce diplomate qui a tenté de raviver le chemin de la paix en
Palestine : dialogue avec le leader historique de l'Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat, visite des territoires occupés, pression pour stopper le processus de colonisation, effort de rapprochement avec Israël. Dominique de Villepin, Premier ministre, a tenté d'apaiser les tensions en 2005 avec le Premier ministre Ariel Sharon, qui exhortait alors les juifs de France à émigrer pour «fuir un antisémitisme sauvage». La communauté juive tremblait après l'affaire Ilan Halimi, torturé et assassiné par le gang des barbares. Villepin a tenu un discours vibrant au Vel d'Hiv en juillet 2005, reçu Sharon à Matia
gnon. Mais son bilan en politique intérieure, entre le contrat premier embauche et la crise des banlieues, fut désastreux, sans parler de l'affaire Clearstream, triste fin de la chiraquie.
Entre Sarkozy et Djouhri
Après la victoire de Sarkozy en 2007, Villepin eut du mal à se réinventer. Il accepta la main tendue d'un avocat, Antoine Tchekhoff, qui raconte : «Je devais mener une négociation avec une entreprise du CAC 40 en Argentine, Villepin connaissait les dirigeants, nous avons sympathisé, je lui ai dit : pourquoi vous ne deviendriez pas avocat dans mon cabinet ? Il a prêté serment dans ma robe.» Début d'une intense collaboration pour de grands groupes, dans le BTP, l'énergie… «Villepin a une vision stratégique précieuse, sans parler de son aura à l'étranger.» L'ancien Premier ministre a ainsi exploité sa stature internationale, signant parallèlement quelques contrats pour Alstom et Veolia, du temps où l'entreprise était dirigée par son ami Henri Proglio. En France, les beaux projets s'évaporaient, ce think tank discuté avec Vincent Bolloré, même ce
poste promis chez Christie's par le milliardaire François Pinault, fondateur de Kering et intime de Chirac. «Sarkozy s'est appliqué à le bloquer systématiquement», avance un proche de Villepin.
La réalité est plus complexe, la relation de ces deux fauves nourrirait un roman, tant il y a de secrets entre eux, et un homme : Alexandre Djouhri, l'ancien braqueur devenu riche intermédiaire, au coeur de nombreuses affaires, dont celle des
financements libyens pour laquelle il est mis en examen. Djouhri apprécie Sarkozy, comme Villepin qu'il a approché dès le début des années 90, et toujours traité avec soin, aux grands crus, au Ritz ou au Bristol. Il a oeuvré à leur réconciliation, organisée dans son chalet, à Gstaad, en 2008.
Cette même année, début août, étrangement, Sarkozy a chargé Villepin de le représenter aux obsèques du palestinien Mahmoud Darwich, l'un des plus grands poètes arabes contemporains. Un coup de fil en pleine nuit, et l'ancien banni, alors en vacances sur la Riviera, rejoignit illico l'avion militaire affrété pour le mener vers Ramallah, sur la tombe du défunt. Plus tard, en 2011, Sarkozy lui a confié une obscure opération de médiation avec le pouvoir libyen, sur l'île de Djerba, en Tunisie. L'ancien président n'a pas répondu à nos sollicitations, contrairement à son ancien secrétaire général à l'Elysée, Claude Guéant, qui indique : «L'idée était que Villepin, avec son talent propre, son relationnel dans le monde arabe nous aide à convaincre Kadhafi de se retirer du pouvoir.» Il ne précise pas que Villepin était parti en mission dans un avion loué par Djouhri. Ce même sulfureux intermédiaire qui a acheté à Guéant, trois ans plus tôt, pour 500 000 euros, deux tableaux flamands d'une valeur dix fois moindre, via un montage complexe provenant du fonds souverain libyen (ce qui lui a
valu une mise en examen pour «faux» et «blanchiment»). Une somme comparable (489 183 euros), originaire du même fonds libyen, a été versée à peu près au même moment, par Djouhri, à Villepin. Lui a été seulement entendu par la justice, sans poursuite.
Cette même année 2011, le truculent avocat Robert Bourgi, fantassin de la Françafrique, a révélé avoir porté à Chirac et Villepin, durant plus d'une décennie, des mallettes de billets offerts par des dirigeants africains. «L'homme qui fait trembler la République», titrait le Monde. Bourgi, devenu proche de Sarkozy, racontait dans le Tout-Paris qu'il avait couvert son «Dominique» de cadeaux, livres anciens et objets de Napoléon. Invérifiable, Villepin avait vendu, en 2008, sa belle collection napoléonienne, en 335 lots, avant de se séparer, en 2013, de sa fabuleuse bibliothèque politique,
450 ouvrages, écrits de Jaurès, Hugo, manuscrits de Trotski, Mussolini, même l'édition originale du résistant polonais Jan Karski, alertant les alliés sur l'extermination des juifs. Ces deux ventes aux enchères ont rapporté plus de 4 millions d'euros. Bourgi ne retire rien de ces révélations. Mais il dit aujourd'hui regretter d'avoir tiré sur Villepin, au moment où il s'apprêtait à défier Sarkozy pour la présidentielle de 2012 : «Je comprends que Dominique a été piégé dans le système Chirac, soit il l'acceptait, soit il sortait. Dommage, cet homme avait sans doute un grand destin.» Sa campagne était lancée, tournée vers les jeunes, les banlieues, le
Conseil représentatif des institutions juives de France s'inquiétait de voir l'opposant de la guerre en Irak autant courtiser les musulmans. Tout fut stoppé net, d'autant que Villepin ne dépassait pas les 5 % dans les intentions de vote. Un ami se souvient l'avoir averti : «Plus tu montes en haut du mât, plus il faut avoir le derrière propre.»
Désinscrit du barreau
Villepin et Sarkozy se sont aussi affrontés, en loucedé, au Qatar. Avantage pour Villepin qui séduit en premier les Al-Thani, Hamad, l'ancien émir, et sa seconde épouse, la cheikha
Moza, fréquentés quand Chirac, président, voulut se rapprocher de Doha. Villepin a été le tuteur d'une de leurs filles, Mayassa, quand elle fut étudiante à Sciences-Po Paris, stagiaire chez Lagardère, avant de constituer, pour l'émirat, une somptueuse collection d'art, et un musée des arts islamiques. «Mon second père», l'appelait-elle. Il a trôné en guest star à l'inauguration, en 2008, participé en tant qu'administrateur - avec Patrick Poivre d'Arvor - au Centre de Doha pour la liberté de l'information - vaste blague dans une théocratie ignorant la liberté de la presse. Il a été convié au mariage des enfants Al-Thani à Doha, invité à séjourner dans le domaine royal de la famille situé près de Cannes, à Mouans-Sartoux. Puis Sarkozy, chef d'Etat, a déroulé le tapis rouge aux Qatariens, pactisé avec HBJ, le cousin d'Hamad, grand affairiste du clan, avant d'approcher son jeune fils, Tamim, émir depuis 2013. Puis «Villepin a été moins en cour à Doha», atteste Bertrand Besancenot, l'ancien ambassadeur de France au Qatar. Impression par-
tagée par l'actuelle communicante de l'émirat, Sihem Souid : «Villepin n'est plus dans les radars, jamais vu dans la liste VIP des grandes manifestations, l'émir ne m'a jamais parlé de lui.» Villepin, lui, dit : «Tout a changé avec la nouvelle génération. Avant, il y avait une vision historique, un certain idéal, aujourd'hui ce sont des gestionnaires. Je n'ai plus de contacts.» Il a même récemment proposé son concours à un riche homme d'affaires floué par les Qataris. Villepin est allé oeuvrer dans d'autres Etats du Golfe, les Emirats arabes unis, l'Arabie Saoudite, sans retourner en Israël, ni dans les territoires occupés. Il a creusé ses réseaux en Amérique latine, dans l'entourage des dirigeants de Caracas, Chávez puis Maduro, qu'il connaît de longue date, tout comme Lula, le président brésilien, qui l'a
invité pour célébrer sa réélection en 2022. Villepin vibrionne en espagnol, langue qu'il parle aussi avec son vieil ami russe Igor Ivanov, l'ancien ministre des Affaires étrangères devenu conseiller chez le géant
du pétrole, Lukoil. Grâce à lui, il a décroché quelques contrats au pays de Poutine, appuyé par l'incontournable Djouhri, qui a une belle-fille russe bien connectée. Autre fidèle dans le même cercle, la puissante Pascale Perez, révélée pour son trouble rôle dans l'affaire Benalla (elle a hébergé le garde du corps déchu de l'Elysée chez elle avenue Foch), ancienne dirigeante du groupe Derichebourg, jadis militante au RPR, désormais consultante dans le secteur de l'énergie, entre autres. Elle sollicite souvent Villepin pour des missions, notamment en Afrique. Ils ont ainsi été ensemble à Kinshasa, en 2019, pour proposer leurs services au nouveau président Félix Tshisekedi, comme l'a révélé la lettre Africa intelligence. L'ancien Premier ministre est aussi conseil du fonds souverain d'Arménie.
Quel tourbillon. Toujours entremêlés, la diplomatie et le business. Aucun contrôle, depuis que Villepin n'est plus avocat, l'ordre l'ayant enjoint en 2015, selon un de ses membres, «à se désinscrire du barreau,
pour éviter toutes poursuites, au vu de ses activités qui n'ont rien de juridiques». Ces dernières années, il s'est spécialisé vers la Chine, dont il loue souvent la grandeur dans ses conférences, ses interventions à la télé chinoise, où son message de soutien au début du Covid a été particulièrement apprécié. On le dit consultant pour le géant de la téléphonie, Huawei - ce qu'il nie. Il a travaillé pour le fonds d'investissement Minsheng, l'agence de notation financière Dagong, qui conteste le monopole des Américains. «Tout ça, c'est fini», assure Villepin, qui précise tout de même continuer ses cours à la China Europe International Business School.
Marchand d'art
Priorité à sa vie de marchand d'art, dans la galerie, ouverte en 2020, avec son fils, à Hongkong. L'éden du soft power chinois, à la fiscalité minimale, 7 %, où Arthur de Villepin réside depuis qu'il y a fait un stage,
chez Veolia, puis tenté de percer dans le commerce de vins. La «galerie Villepin» expose les tableaux de l'artiste de la famille, Marie, des peintres européens, chinois, et des toiles qui stupéfient tous les spécialistes du coin : celles du célèbre Zao Wou-Ki, dont la côte explose, jusqu'à plus de 50 millions d'euros. Sa veuve, Françoise Marquet, héritière d'une collection de peintures, dessins, gravures, estimée à plus d'un demi-milliard d'euros, ne fait confiance qu'aux Villepin. «Je ne veux pas de spéculateurs, dit-elle. Arthur est un véritable marchand d'art.» Et «Dominique», rencontré avec son mari au temps du Quai d'Orsay, est un «ami». Il l'a toujours épaulée, notamment quand le fils de Zao Wou-Ki l'a accusée, en 2012, d'abus de faiblesse - le peintre, atteint d'Alzheimer, ayant été soudain déménagé de Paris où il vivait, naturalisé français de longue date. Françoise Marquet l'a emmené vivre en Suisse, où il est mort un an après. «Elle plaisantait toujours sur Villepin, en disant qu'il ne payait que la moitié des tableaux, mais elle l'a toujours bien aimé, se souvient un acteur du dossier. A toutes les étapes de la procédure, elle se prévalait de son soutien.» Un accord confidentiel a finalement été scellé avec le fils, qui a renoncé au procès contre une somme colossale, permise par la vente de nombreuses toiles somptueuses à François Pinault. Durant l'inventaire, réalisé devant huissier, Villepin est apparu, comme propriétaire de plusieurs chefs-d'oeuvre de Zao Wou-Ki. Il a ensuite racheté l'ancien château du
peintre, à Egry, dans le Loiret, combatif, avec des associations locales, pour bloquer l'installation d'un parc éolien tout près. Villepin veut y installer une fondation, avec Françoise Marquet qui n'a pas d'héritier. Il dit : «Je vis pour l'art et la culture.» Pourtant, il a frémi quand Emmanuel Macron s'est mis en marche, réalisant son rêve : conquérir d'un coup le pouvoir suprême. Quelques rencontres ont eu lieu durant la campagne de 2017. Macron lisait l'ouvrage de Villepin : Mémoires de paix pour temps de guerre. Il l'a consulté, séduit par ses thèses sur le Sud global, la place centrale de l'Afrique, cette voix singulière de la France à préserver… Mais Villepin n'a pas voulu, au soir du premier tour, festoyer à la Rotonde, appelant par SMS à davantage de gravité à l'aulne d'une victoire face à Marine Le Pen. Macron n'a pas franchement apprécié. Il a préféré Sarkozy, qu'il a souvent missionné pour le représenter, au Japon, au Rwanda, à Oman. Il a nommé au Quai d'Orsay Catherine Colonna, l'ancienne adjointe de Villepin à Washington. Voilà, encore une occasion ratée, et le conflit israélo-palestinien, «la mère des batailles», incendie le monde, avec une France larguée, un Président sans voix. Dans ses envolées un peu folles, Dominique de Villepin souffle à son vieux complice Hubert Védrine : «Allez, revenons aux manettes, ils sont tous nuls !» Puis il retourne à l'écriture de son livre consacré… aux maudits de l'Histoire.•«Je comprends que Dominique a été piégé dans le système Chirac, soit il l'acceptait, soit il sortait. Dommage, cet homme avait sans doute un grand destin.» Robert Bourgi avocat