Information
L'APÉRO AVEC... Benoît Payan : "Je nourris une véritable nostalgie de l'enfance"; Les souffrances de l'exercice du pouvoir, sa vie rêvée, les valeurs de son éducation, le lien fort à ses aïeux, sa passion des costumes napolitains... Le maire de Marseille se livre comme rarement.
Vous êtes né dans le 8e, vous avez grandi à Saint-Loup, vos aïeux sont d'Endoume, vous avez été élu dans plusieurs secteurs et vous vivez à Saint-Barnabé. C'est lequel votre quartier marseillais de coeur ?
Mon quartier c'est Endoume, toute ma famille est de là-bas. Donc j'ai envie d'y retourner. C'est trop cher à l'achat, je ne suis pas propriétaire à Saint-Barnabé, et je n'ai pas d'argent de côté. Mais si je trouve une location à bon prix, j'irai dès que possible.
Qui est Benoît Payan, hors de la lumière ?
Je suis assez banal en tant qu'homme et d'ailleurs je ne crois pas que les gens aient besoin de le savoir. Ça s'apparente à du voyeurisme, c'est du cinéma pour moi. Je suis juste un petit Marseillais - il faut que j'arrête de dire petit, j'ai passé l'âge ! - qui vit pour sa ville. Et d'ailleurs ce que je fais là, c'est juste un moment de ma vie. Je n'arrive pas à comprendre comment on peut faire ça pendant 30 ans.
Quel est votre "mood" actuel ?
Je suis un homme qui aimerait être plus heureux, qui ne l'est pas assez dans ce qu'il fait, parce qu'il a beaucoup de travail, beaucoup d'inquiétudes et qu'il met beaucoup d'attention à sa fonction. Être moi-même, c'est pouvoir m'échapper. Petit, sur mes bulletins de notes, il était toujours écrit "élève dans la lune". J'ai besoin de me retrouver, en contemplant quelque chose, en lisant, en écoutant de la musique, en regardant un film ou en partageant un moment avec quelqu'un et ce sont des moments devenus rarissimes. Or, c'est ce qui m'a construit. Je n'ai plus de temps de calme et d'introspection ; c'est ce que j'essaye de retrouver. Le pire c'est que je culpabilise : quand je prends une demi-heure par jour pour moi, j'ai l'impression de l'arracher à mon travail.
Vous parvenez à dissocier le maire de l'homme ?
Oui, je fais la différence entre le maire qui doit faire attention à la fonction et moi en tant qu'homme mais mon problème c'est que je suis, visiblement, trop naturel. Les gens ont des idées préconçues de la fonction de maire, il faudrait être aussi neutre que possible. Or si j'ai envie de m'asseoir par terre pour regarder un spectacle ou d'aller sur la plage et d'enlever mes chaussures et bien je le fais ; mes équipes me rappellent souvent que je ne devrais pas.
C'est pesant ?
Oui, très. Très, très. Le seul truc normal que j'arrive encore à faire, c'est prendre un peu le métro mais ça les met en difficulté.
C'est ce qui vous pèse le plus dans ce job ?
Non, ce qui pèse, ce sont les 100 heures par semaine, les obligations, la responsabilité de cette ville où il se passe constamment quelque chose. Hier, on s'est dit : "Tiens, ça fait deux jours qu'il n'y a pas eu un truc grave." Je ne dors jamais bien, je suis réveillé la nuit par les alertes, je veille tout le temps sur cette ville. Et en même temps, on me dit que ça ne se fait pas de mettre des baskets avec un costume... Au niveau de la vie personnelle, c'est deux heures par mois ! La réalité extérieure me rattrape en permanence. La seule chose possible, c'est le cinéma parce qu'il fait noir et que personne ne vient me parler pendant le film ! Je me suis accordé un week-end à Rome en avril et j'ai réussi à trouver des Marseillais à tous les coins de rue !
Vous ne semblez pas être un maire heureux...
La fonction ne me rend pas heureux, c'est trop exigeant, c'est un sacerdoce. Attention, je mesure l'honneur qui m'est fait d'être maire, c'est considérable, mais c'est le regard et la rencontre des Marseillais, même ceux qui ne sont pas contents, qui me rendent heureux. Ça donne du sens à tout ça, parce que les réceptions officielles, les réunions de travail, la complexité et l'âpreté des choses ne procurent pas de plaisir, on ne fait face qu'à des difficultés.
Que changeriez-vous en vous, en tant qu'homme et en tant que maire ?
Je devrais avoir une discipline alimentaire, et me ménager. Le corps est une machine qu'il faut entretenir. J'ai envie de m'oublier un peu moins... En tant que maire, c'est le fait de penser que je peux toujours mieux faire, ça me taraude chaque jour. Le fait que je ne trouve pas de plaisir dans la fonction vient de là.
Qu'est-ce qui peut vous faire péter une durite ?
Au niveau personnel, c'est la trahison, qui m'est insupportable, et en tant que maire c'est qu'on fasse l'inverse de ce que j'ai demandé. Je n'arrive ni à le comprendre ni à l'accepter.
Ça n'est pas quand des opposants ou des Marseillais disent que vous n'avez pas été élu sur votre nom ?
D'abord, j'ai été élu sur mon secteur, et ensuite ils peuvent dire ce qu'ils veulent, il suffit de se promener dans la rue pour se rendre compte qu'ils sont à côté de la plaque.
À quel moment avez-vous senti que la fonction pouvait vous monter à la tête ?
Franchement jamais. C'est mon éducation qui veut ça, j'ai toujours été ramené au juste niveau. C'est la principale force de mon éducation, l'humilité. À 3-4 ans, au premier caprice, j'ai été remis dans le droit chemin très rapidement.
Vous avez reçu une éducation à la dure ?
(Il réfléchit) Encadrée.
Que pensent vos parents de votre rôle de maire ?
Ils sont fiers, mais sans plus. Vous savez, j'ai une vie normale : si je me trompe de lessive à la maison, je me fais envoyer en l'air par ma femme...
C'est quoi votre échappatoire pour relâcher la pression ?
C'est nager le matin, de 7 h à 8 h à la piscine. Depuis le mois de mars, je tente de m'y astreindre mais il y a eu le drame de Tivoli et je me suis cassé le pied. Je veux m'y remettre au plus vite. Dans l'eau, j'arrive à ne penser à rien.
Après deux ans et demi d'exercice, quelle est votre plus grande fierté ?
C'est d'avoir remis Marseille au centre du pays, qu'on parle d'elle en bien et d'avoir ramené plus d'argent de l'État que n'importe quelle municipalité depuis la guerre !
Le plus gros raté de votre début de mandat ?
Le fait que la transformation de l'administration ne soit pas plus rapide.
Quel est le projet ? Deux, trois mandats ?
C'est de faire bien mon travail. On a changé beaucoup de choses dans la ville, ne serait-ce qu'en termes de symbolique, et la chose que je dois réussir à la fin c'est de réconcilier la ville. Ça n'est pas une ville où on s'affronte mais où on se tourne le dos.
D'autre part, cette ville souffre, et a beaucoup souffert, d'un personnel politique médiocre, qui n'est intéressé que par sa réélection. Ça me fait penser à Main basse sur la ville, un film où il est dit que le seul péché c'est de perdre les élections. Quand je vois l'excitation de mes opposants autour de 2026, que rien ne compte pour eux, si ce n'est l'amertume d'avoir perdu et la préparation du retour, je me dis que je suis loin de ces gens qui aiment le pouvoir.
Vous n'aimez pas le pouvoir, vous ?
Pour faire des choses oui, mais pas cette folie qu'il entretient, où tous les coups sont permis, où les gens n'ont pas de parole, pas d'honneur. Je ne suis pas naïf, mais on a le devoir d'élever la fonction. Si Marseille en est là, c'est d'abord aux femmes et aux hommes politiques que j'en veux.
Dans une autre vie, vous feriez quoi ?
Je voulais être pharmacien, boucher... Mais j'aurais adoré être tailleur de costumes à Naples, dont la famille de ma mère est originaire ! Là-bas, il y a une tradition ancienne de confection des costumes pour hommes, qui s'apprend dès l'âge de 8 ans. Ils sont légers, adaptés au climat.
C'est une manière de s'habiller, la "Sprezzatura", une nonchalance qui se travaille. C'est ma passion mais c'est très cher, alors je mets les costumes de mon arrière-grand-père et de mon grand-père. Ça dit beaucoup des gens qui les portent. Moi, je peux refaire 25 fois mon noeud de cravate, c'est un respect de l'autre, une discipline. Avant le conseil municipal, je rends fou tout le monde : au lieu de relire mon discours, je peux repasser pour la 3e fois ma chemise.
Elle ressemblera à quoi la vie d'après ?
Je pense que je partirai pour m'occuper de mon pays à l'étranger.
Ambassadeur ?
On verra...
Plus léger : le bouquin qui vous chamboule, votre péché mignon à table et votre passion honteuse ?
Actuellement, entre 2 h et 3 h du matin, je lis des poèmes, très tristes mais plein d'espoir, Les Adieux d'Aragon et Les Pâques à New York de Cendrars. Mon péché, c'est le fromage et ma passion honteuse, je dirais Claude François !
L'odeur qui vous émeut ?
Celle des parfums de mes aïeux, qu'on avait mis dans mon berceau, et que je porte toujours. La mémoire olfactive dit aussi des choses de la véritable nostalgie de l'enfance que je nourris, parce que la mienne a été particulièrement heureuse, avec parfois quatre générations sous le même toit. Ça m'a permis de m'épanouir.
La question piège : un dîner avec Martine Vassal ou un tennis avec Renaud Muselier ?
J'ai déjà dîné avec Martine Vassal et je n'ai jamais joué au tennis avec Renaud Muselier. Mais je ne sais pas répondre à cette question !
Un poker avec Nicolas Pagnol alors ?
Il me battrait. Parce qu'il faut savoir mentir...
La Provence