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Macron sur écran géant et place déserte : «Libé» a-t-il diffusé une photo «trompeuse» de la cérémonie du 8 mai ?
Pour illustrer un billet mettant l’accent sur l’isolement d’Emmanuel Macron, «Libération» a publié une photo de la place de l’Etoile vide lors de la cérémonie du 8 mai. Si le cliché a été largement partagé, il a aussi récolté des critiques.
Une image «trompeuse» ? Plusieurs internautes ont dénoncé le choix iconographique de Libération pour illustrer le billet que Thomas Legrand, un des éditorialistes politiques du journal, a consacré à la cérémonie du 8 mai.
Sur le cliché, on aperçoit sur la gauche un écran géant diffusant une image du président Emmanuel Macron, le tout devant une place vide de tout spectateur. La photo est ainsi légendée : «La place de l’Etoile, fermée au public, à Paris, le 8 mai 2023». Elle vient donc en illustration d’un billet titré : «8 Mai : Macron aux Champs isolé».
L’image a été largement relayée sur les réseaux sociaux, et souvent saluée comme le symbole de l’isolement du président de la République, alors que les rassemblements avaient été interdits autour des Champs-Elysées et qu’un dispositif de filtrage renforcé avait été mis en place. L’ancien producteur de cinéma Hugues Charbonneau y a vu «un écran géant pour un public imaginaire». Comme l’éditorialiste Françoise Degois, ironisant sur «le summum de cette cérémonie lunaire : un écran géant installé sur les Champs-Elysées vides, certainement pour les arbres, les oiseaux, les pavés». La journaliste de France Inter Pascale Clark a elle évoqué une photo «sidérante» prise sur la «place de l’Etoile fermée au public en ce 8 mai». Quand la députée de La France insoumise Clémentine Autain a estimé que l’image montrait «un président isolé comme jamais».
[b]«Un dispositif qui est le même chaque année»[/b]
Mais la photo, ainsi que les commentaires qu’elle a suscités, a également suscité plusieurs critiques. Vincent Flibustier, fondateur du site satirique NordPresse qui se décrit comme «formateur en éducation aux médias et aux fake news», a dénoncé sur Twitter une image «trompeuse». En substance : cette photo ne montre pas l’isolement d’Emmanuel Macron, car elle aurait en fait pu être prise lors de chacune des dernières cérémonies du 8 mai. Dans un thread, il explique ainsi que la zone photographiée (la place Charles-de-Gaulle, anciennement place de l’Etoile, donc) «est toujours vide», et l’écran «pas destiné au grand public mais aux tribunes des invités», «comme toujours». Flibustier accompagne d’ailleurs ses tweets d’une image des deux tribunes (absentes de la photo de Libé) qui faisaient face à l’écran géant. Plus loin, il écrit : «Le problème c’est que cette photo […] aurait pu être prise chaque année et qu’elle n’a donc finalement aucun rapport avec la réalité qui est effectivement que les manifs étaient interdites autour des Champs-Elysées.»
Plusieurs soutiens du président de la République, élus ou adhérents au parti Renaissance, ont partagé ce thread. A l’image de Stéphane Vojetta, député macroniste des Français de l’étranger, qui commente : «Quand la réalité va à l’encontre du récit, pourquoi s’embêter avec la réalité ?» De son côté, la journaliste médias Clara-Doïna Schmelck juge que le fait de «lire dans cette photographie le symbole d’un Président de la République isolé et coupé du peuple» constitue «une extrapolation». L’ancien journaliste Jérôme Godefroy va, lui, jusqu’à parler de photo «mensongère».
Ce qui est vrai, c’est que la place Charles-de-Gaulle a, traditionnellement, vocation à rester vide durant la cérémonie du 8 mai. Sollicitée par CheckNews, l’Elysée rappelle que «c’est un dispositif qui est le même chaque année et qui n’a pas changé. On parle d’une cérémonie officielle, d’un moment de communion nationale : il est normal que des personnes ne puissent pas se rendre sur la place». Celle-ci accueille en revanche des troupes militaires, positionnées tout autour. Y sont également installées des «tribunes consacrées à des invités – familles de soldats, membres d’associations d’anciens combattants, scolaires, porte-drapeaux… –, au corps diplomatique et à la presse accréditée», liste l’Elysée. Soit un total d’environ un millier de personnes. Ce sont les tribunes qu’on distingue sur les images partagées par Vincent Flibustier, et qu’on retrouve sur des images de cérémonies des années précédentes.
Tribunes réservées à un public «choisi»
Et pour que ces personnes ne manquent rien de la cérémonie, en particulier lorsque le président de la République se rend sous l’arc de Triomphe, un écran est installé «tous les ans». «Il permet simplement de retransmettre les moments importants que sont le ravivage de la flamme [du soldat inconnu], la signature du livre d’honneur, le salut aux porte-drapeaux.»
La place vide, les tribunes réservées à un public «choisi», et l’écran géant sont donc partie intégrante du cérémonial suivi à chacun des 8 mai. L’édition 2023 s’est toutefois distinguée des précédentes par l’interdiction des rassemblements aux abords des Champs-Elysées, et un dispositif de filtrage du public particulièrement poussé.
C’est cette «ambiance» qu’explique avoir voulu illustrer Denis Allard en prenant cette photo : «le côté désert des Champs-Elysées, le fait qu’on n’ait pas laissé passer les gens, qu’il y avait plusieurs cordons de sécurité avant d’y accéder». Le photographe, qui collabore régulièrement avec Libération, était chargé lundi de couvrir pour le journal la cérémonie commémorant la victoire du 8 mai 1945, dans sa partie parisienne (le président Macron se rendait ensuite à Lyon). A ce titre, il faisait partie du pool de photographes autorisés à se rendre sur la place Charles-de-Gaulle – au centre de laquelle se trouve l’Arc de Triomphe – et à photographier de près le chef de l’Etat.
«Lecture trop littérale»
«J’ai pris cette photo alors que je regagnais la position où on devait attendre l’arrivée de Macron, retrace Denis Allard. Le Président n’était pas encore sur la place, mais devant la statue de Charles de Gaulle, plus bas sur les Champs-Elysées.» A ce moment-là, l’écran géant retransmettait donc la toute première étape de la cérémonie, soit le dépôt d’une gerbe au pied de la statue du général. «Cet écran énorme au milieu de cette large place vide me semblait intéressant graphiquement à exploiter», poursuit le photographe. Dans la même optique, Denis Allard s’était également rendu auparavant sur les Champs-Elysées pour y prendre quelques photos. Parmi ses clichés montrant l’avenue délaissée par les foules, figure par exemple «un arrêt de bus vide». «En photo, on essaye de montrer les choses avec ce qu’on a sous le coude», résume-t-il, insistant sur l’absence d’intention de «tromper». «On propose des solutions graphiques qui sont ensuite utilisées en adéquation avec le récit du journaliste ou de l’éditorialiste.»
La photo de l’écran déployé sur la place Charles-de-Gaulle a été retenue par le service photo de Libération car «elle symbolise le vide qui a caractérisé la cérémonie de cette année». Interrogée sur l’accusation de photo «trompeuse», la direction du service photo du journal estime que ce reproche est le fruit d’une «lecture trop littérale». La même source nuance par ailleurs la critique en estimant que «la même photo n’aurait pas pu être prise les années précédentes» : «La place est toujours vide, mais pas les rues alentour. Là, on voit qu’il n’y a personne, à tel point qu’on aperçoit des policiers qui n’ont rien à faire.»
Dans des vidéos d’éditions précédentes (l’exemple le plus récent étant 2022), on devine quelques spectateurs postés dans les axes qui mènent à la place. Même si l’impression qui se dégage des images est toujours celle d’un relatif «vide», la place étant fermée au public.