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À la région Île-de-France, le temps des tempêtes pour Valérie Pécresse
[Un élément multimedia s'affiche ici, dans ce même article en ligne sur Mediapart.fr.]Crise des transports, état des lycées franciliens, tensions dans sa majorité: la présidente de la région Île-de-France vit une séquence politique difficile. Fragilisée par son score à la présidentielle, l’élue LR doit également gérer une relation conflictuelle avec ses partenaires, au premier rang desquels l’État.
Chiraquienne devant l’Éternel, Valérie Pécresse a entendu mille fois la formule de l’ancien chef de l’État : «Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille.» Peut-être y pense-t-elle ces jours-ci, au milieu de la zone de turbulences politique qu’elle traverse à la tête du conseil régional d’Île-de-France. Entre l’automne dernier et l’aube de la nouvelle année, la présidente de la première région de France a dû gérer de front le délitement des transports publics, l’augmentation du prix du passe Navigo et les cris d’alarme sur l’état des lycées franciliens.
Quelques mois à peine après un échec retentissant à l’élection présidentielle, l’élue Les Républicains (LR) se retrouve à nouveau sous le feu des projecteurs et des critiques. « Elle est en train de saccager les services publics en Île-de-France », lance Céline Malaisé, présidente du groupe communiste à la région. « Il est temps qu’elle assume enfin ses responsabilités, tançait début janvier le député Modem Bruno Millienne, un ancien allié. La situation n’est plus tenable. »
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Le manque de visibilité du conseil régional, qu’elle a parfois déploré, appartient décidément au passé. Le 12 décembre, la matinale de RMC dévoile des images accablantes du lycée Voillaume, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dont les élèves racontent le quotidien sans chauffage et sans électricité. Les chaînes d’information en continu embrayent. « La honte ! », lit-on sur le bandeau de CNews. Le soir même, puis le lendemain, Cyril Hanouna consacre plusieurs dizaines de minutes de son émission à la situation de l’établissement.
« La période est difficile, souffle un proche de Valérie Pécresse. On prend plein de choses dans la figure. » Sur les réseaux sociaux, le mot-clé Pécresse donne à voir un condensé des mécontentements. Tous les jours, des internautes y racontent les trains annulés ou bondés, les retards, les « malaises voyageurs » et les incidents de signalisation. Les proches de l’élue dénoncent le flot d’insultes, souvent misogynes, dont elle fait l’objet. Un « cyberharcèlement sexiste » qu’elle a elle-même dénoncé, le 25 novembre, sur Twitter.
L’opposition voit dans la concomitance des scandales le boomerang des choix politiques de la présidente de région. « Les politiques régionales se voient sur le temps long, et le grand public commence à comprendre ce qui a été semé depuis sept ans, estime la communiste Céline Malaisé. Sur les transports, par exemple, elle a passé beaucoup de temps à inaugurer des rames et des stations lancées avant elle. Là, c’est son propre bilan qui lui revient à la figure. Globalement, elle a tellement rogné le socle de services publics que la moindre de ses décisions a des effets immédiats. »
Au siège du conseil régional, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), l’urgence est de reprendre la main. Le 31 décembre, dans une vidéo de vœux, Valérie Pécresse a annoncé avoir « convoqué » la RATP et la SNCF à la rentrée pour qu’ils prennent des « engagements ligne par ligne » et leur avoir infligé des « pénalités exceptionnellement fortes ».
Le 13 janvier, jour de la fameuse convocation, celle qui préside aussi Île-de-France Mobilités (IDFM) a convoqué les journalistes et soigné la mise en scène : elle, dans son fauteuil de présidente, et les quatre dirigeants d’opérateurs, dont l’ancien premier ministre Jean Castex devenu président de la RATP, un cran en dessous d’elle, sommés de s’engager à faire mieux.
Devant les élu·es de sa majorité, mercredi soir, elle a tenté de convaincre que le tunnel était derrière elle. « Je suis une femme debout, a-t-elle affirmé. Plus que jamais, je suis déterminée à faire de notre Île-de-France la plus belle […] des régions ! » Insistant sur sa « pugnacité », la présidente LR a exhorté ses soutiens à « ne jamais laisser salir [leur] bilan » face aux « extrêmes qui voudraient [les] rendre coupables de tout ».
L’onde de choc de la présidentielle
Derrière le phrasé conquérant, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy peine à retrouver l’élan de son premier mandat. Attaquée sur sa gestion du quotidien, Valérie Pécresse voit le sommet de son château de cartes politique s’effondrer. N’a-t-elle pas construit tout son storytelling politique sur sa réputation de bonne gestionnaire, allant jusqu’à s’auto-attribuer le surnom de « Dame de faire » ? Pendant la campagne présidentielle, elle s’est souvent targuée de diriger « la région la mieux gérée de France ».
Quelques mois plus tard, l’argument a perdu de sa superbe, et avec lui l’assise politique de Valérie Pécresse. De l’avis général, la rude défaite d’avril 2022 (elle est arrivée en 5e position, avec moins de 5 % des voix) a marqué une rupture dans un mandat à peine commencé. « Elle est sortie de là très fragilisée, c’est incontestable », glisse un de ses vice-présidents. « La présidentielle a été très, très difficile pour tout le monde, confie une autre. Après ça, il a fallu atterrir dans un contexte de crise énergétique, avec le contrecoup de la défaite et la dette personnelle qu’elle avait à rembourser. »
Le retour a été d’autant plus rude que Valérie Pécresse avait emmené dans son aventure nationale une bonne partie de ses forces régionales. Sa directrice de cabinet, Magali Lamir, l’a suivie au quartier général de campagne, comme la totalité de son premier cercle. Plusieurs de ses vice-président·es ont été intégré·es à l’organigramme, comme Othman Nasrou, alors porte-parole, et Alexandra Dublanche, en charge des comités de soutien. Si bien que le siège audonien sonnait creux au printemps. « Pendant plusieurs mois, la région était en pilotage automatique », explique un élu de la majorité.
Les élections législatives, en juin, n’y ont rien arrangé. La droite d’opposition a pris une claque et les candidat·es poussé·es par Valérie Pécresse aussi : son fief des Yvelines, un vieux bastion LR, ne compte plus aucun député de son camp.
À l’inverse, l’union de la gauche a eu des répercussions régionales et a contribué à souder autant qu’à galvaniser une opposition déjà audible. « Quand le lion est blessé, les hyènes se précipitent, ironise un membre de l’exécutif régional. Depuis la rentrée, l’opposition fait feu de tout bois. On les voit frapper de toutes leurs forces. »À cette période, elle a avancé en mode “marche ou crève”, l’air de dire “tous ceux qui ne sont pas avec moi peuvent s’en aller”.
Un vice-président de la région Île-de-France.
Dans la majorité, en revanche, les secousses de 2022 ont fragilisé l’édifice qu’a construit l’ancienne députée depuis sept ans. La première fois qu’elle réunit son exécutif après la présidentielle, Valérie Pécresse commence bille en tête sur les dossiers régionaux. « On était tous sidérés », confie une participante. Jusqu’à ce qu’une de ses fidèles la coupe : « Valérie, on peut parler de la présidentielle ? »
À l’époque, plusieurs de ses proches décrivent une atmosphère lourde et une présidente tendue. Certains se font de plus en plus rares, comme Othman Nasrou ou Alexandre Dublanche, pourtant des pièces maîtresses du dispositif. « Secouez-vous, les gars ! », s’emporte-t-elle un jour, réclamant des « résultats ». « Elle avait besoin de se remettre dans les starting-blocks mais ça a été violent, un peu brutal pour certains », explique un des concernés.
Le vice-président cité plus haut embraye : « Valérie a un vrai souci de management. C’est une femme assez dure, qui a d’immenses qualités mais quelques défauts sévères. À cette période où on est tous sortis chamboulés de la présidentielle, elle a avancé en mode “marche ou crève”, l’air de dire “tous ceux qui ne sont pas avec moi peuvent s’en aller”. » Son entourage loue plutôt sa « capacité de rebond ». « Après une présidentielle, il y a besoin d’un peu de temps pour repartir mais elle a très vite repris les choses en main, juge-t-on auprès d’elle. Elle a voulu montrer à tout le monde qu’elle avait encore des projets à mener ici. »
Sur le Navigo, lâchée par Larcher
Au-delà de sa région, Valérie Pécresse a perdu de l’influence dans son camp. Pendant la campagne interne pour la présidence de LR, les trois candidats ont pris soin de ne pas la citer comme référence. Pire : Éric Ciotti, nouveau patron du parti, a répété que l’échec de la présidentielle devait plus à la candidate qu’à son camp. Sur la réforme des retraites, l’engagement de Valérie Pécresse (la retraite à 65 ans) est même devenu la « ligne rouge » de LR dans ses tractations avec le gouvernement.
À l’Assemblée nationale, la présidente de la première région de France ne compte plus aucun relais ou presque. Déjà peu audible sous la précédente législature, le « pécressisme » n’existe plus au Palais-Bourbon. Son principal relais, Robin Reda, siège désormais sous pavillon macroniste.
Dans la région qu’elle dirige, la droite d’opposition n’a plus que quatre député·es sur 97. Elle les a récemment invité·es à échanger, histoire de cultiver son réseau parlementaire. Mais aucun·e des quatre n’est réputé·e proche d’elles, dans un groupe où Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand ont beaucoup mieux cultivé leur entregent.
Au Sénat, la donne est encore plus complexe. Fin novembre, l’examen d’un amendement sur le financement des transports franciliens a contrarié, sinon plus, Valérie Pécresse. Soutenu par quelques sénateurs dont elle est proche, comme Philippe Tabarot ou Roger Karoutchi, l’amendement visant à abonder les caisses d’IDFM grâce à une hausse de la fiscalité sur les entreprises a rallié les voix de la gauche mais pas celles de la droite sénatoriale qui, en majorité, l’a refusé à l’unisson avec le gouvernement. Le tout avec l’aval discret de Gérard Larcher, le président du Sénat, pourtant réputé proche de Valérie Pécresse.À la région aussi, on est au début d’une recomposition politique. Elle est un peu le pendant régional de Macron.
Robin Reda, député Renaissance, conseiller régional.
Un isolement inédit pour celle qui a été habituée à compter parmi les siens. Signe de sa fragilité nouvelle, sa majorité a vécu quelques secousses depuis un an. Comme ce matin de juillet où l’UDI (Union des démocrates et indépendants), son principal allié, a boycotté une séance du conseil régional.
L’épisode se déroule au lendemain des élections législatives, et le parti de centre-droit tente alors d’initier un bras-de-fer, s’estimant trop mal lotie dans le partage du pouvoir régional. Parmi les revendications des frondeurs, des vice-présidences supplémentaires et la direction d’organismes associés à la région. Les élu·es UDI ne boycottent pas n’importe quelle séance : ce jour-là est voté le budget supplémentaire de la région.
Bien consciente du caractère symbolique du geste, Valérie Pécresse est ulcérée. Elle convoque un à un les cadres du groupe UDI, parmi lesquels trois de ses vice-présidents. Le message se veut ferme. « Soit ils rentraient dans le rang, soit ils prenaient la porte », résume un proche. L’UDI finit par rentrer dans le rang, moyennant quelques concessions minimes.
Dans l’hémicycle du conseil régional, la recomposition de la vie politique menace aussi Valérie Pécresse. Sa majorité compte plusieurs soutiens d’Emmanuel Macron, comme la maire Horizons du 9e arrondissement de Paris, Delphine Bürkli. À la région, Robin Reda, devenu macroniste, a quitté le groupe majoritaire à la demande de Valérie Pécresse, soucieuse d’éviter la contagion macroniste dans ses rangs.
« À la région aussi, on est au début d’une recomposition politique à venir, estime Robin Reda. Beaucoup des électeurs de Valérie Pécresse sont des électeurs macronistes qui l’ont préférée au candidat LREM en 2021. Et l’année suivante, ç’a été l’inverse aux régionales. Elle est un peu le pendant régional de Macron. À un moment donné, il faudra assumer de reconstruire cette grande alliance de la droite et du centre. » Les élections sénatoriales de septembre pourraient constituer un premier test. Draguée par Emmanuel Macron, l’UDI pourrait être amenée à faire un choix.
Avec l’exécutif et avec Hidalgo, un double front compliqué à gérer
Pour expliquer ses difficultés, le camp Pécresse se tourne d’ailleurs régulièrement vers l’Élysée. « Le gouvernement est odieux avec nous, peste une vice-présidente. Sur tous les sujets, ils ne lâchent rien. » Une ministre confirme, dans un sourire : « Vu comment elle a traité le président pendant la campagne, c’est assez audacieux de se plaindre aujourd’hui. » Les sujets de discorde et d’agacement mutuel se multiplient.
En décembre, Pap Ndiaye, le ministre de l’éducation nationale, réagit sur Twitter à la « polémique Voillaume » : il annonce qu’il se rendra sur place le lendemain matin et convoque à demi-mot la présidente de région, lui enjoignant de « rétablir rapidement la situation ». Durant la visite, l’atmosphère entre le ministre et la présidente de région sera glaciale.
Sur les transports, la tension est encore plus forte. Pendant des semaines, la hausse du prix du Navigo a été au cœur d’un bras-de-fer politico-médiatique entre région et État. Pressé de renflouer les caisses d’IDFM, l’exécutif a pris un malin plaisir, encouragé par l’Élysée, à mettre l’élue LR face à ses responsabilités. « On ne peut pas faire toutes les inaugurations, mettre les logos IDFM sur chaque bout de métro et de bus et et se tourner vers l’État dès que ça ne va pas », cingle un ministre.
Et un nouveau dossier vient brouiller les relations entre Valérie Pécresse et ses partenaires : l’ouverture à la concurrence du réseau de transports franciliens, prévue pour 2025 pour les bus. Dans une tribune, 250 élu·es de gauche demandent le report de cette échéance, jugée intenable.
Parmi les signataires, Anne Hidalgo, la maire socialiste de Paris, avec laquelle les relations se sont considérablement détériorées. Au gouvernement, Clément Beaune, le ministre des transports, est favorable à un report. Esseulée, Valérie Pécresse refuse de changer d’avis : « Il y aura toujours un prétexte pour ne pas le faire », a-t-elle répété dans Le Figaro mardi.
Même sur les dossiers les plus techniques, le jeu politique est omniprésent. La présidente a encore cinq ans de mandat (à cause de l’élection présidentielle, le prochain scrutin régional aura lieu en 2028) mais, dans ses rangs, tout le monde pense déjà par-delà, sans voire contre Valérie Pécresse. Élections sénatoriales, municipales de 2026, trajectoires individuelles… Premier vice-président sous la précédente mandature, Othman Nasrou s’est pleinement engagé auprès de Bruno Retailleau lors de la campagne interne à LR. Ce que beaucoup ont perçu comme une forme d’émancipation.
Reste un caillou dans la chaussure de Valérie Pécresse, peut-être plus encombrant que tous les autres. L’ancienne ministre est au cœur de trois enquêtes judiciaires. La plus récente, ouverte en décembre par le parquet national financier, porte sur ses liens avec Alstom, des soupçons de prise illégale d’intérêts ayant été soulevés par le média Blast. Une autre est entre les mains de la brigade financière depuis septembre, relative à un détournement de fonds publics pendant la campagne présidentielle.
Depuis 2020, enfin, la justice enquête pour le même motif sur le recrutement à des fins politiques de chargés de mission par la région Île-de-France. Dans cette affaire, consécutive à un rapport de la chambre régionale des comptes, les locaux du conseil régional ont été perquisitionnés en septembre 2020, comme l’avait révélé Mediapart. Les nuages continuent à s’accumuler.
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