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«Désinfox coronavirus» : le nouveau faux pas de com du gouvernement
Cela aurait pu être vu comme la simple recension des différents articles de fact-checking publiés par différents médias sur l’épidémie de Covid-19. Mais en un tweet de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, voilà l’exécutif accusé de rétablir un «ministère de l’Information» et de vouloir «certifier» la «vérité», comme dans 1984 de George Orwell…
De quoi parle-t-on ?
Depuis la mi-avril, il est possible de trouver sur le site du gouvernement une recension de différents articles publiés par des médias dotés de services spécialisés dans la «vérification d’information» : AFP Factuel, les Décodeurs du Monde, la plate-forme «Vrai ou Fake» de France Info, ou encore l’équipe CheckNews de Libération. «Depuis le début de l’épidémie, le caractère inédit de la situation favorise la prolifération de fausses informations, peut-on lire sur la page «Désinfox coronavirus» à laquelle Sibeth Ndiaye fait référence dans son tweet. Plus que jamais, se fier ou partager des informations non vérifiées peut induire des erreurs et engendrer des comportements à risque. Pour se protéger et protéger les autres, il est nécessaire de se référer à des sources d’information sûres et vérifiées.» Au sein de l’exécutif, on précise que cette rubrique est le fruit d’un travail du Service d’information du gouvernement (SIG), «donc de l’administration» et non du porte-parolat. «Cette page est à visée informationnelle. Il n’y a aucune visée politique», jure-t-on.
Pourquoi cela peut poser problème ?
Parce que mélanger sur un site de communication du gouvernement des éléments d’information venant des médias peut créer une sérieuse confusion, même avec la meilleure des intentions comme lutter contre la propagation de fausses informations. «C’est franchement la chose la plus inutile que le gouvernement pouvait faire, estime Christian Delporte, historien spécialisé notamment dans les médias et la communication. Le rôle du gouvernement est de communiquer pas de trier ce qu’il considère comme être de la bonne ou de la mauvaise information. C’est le rôle des journalistes.»
D’abord, les sources : certes solides, elles ne sont que partielles. Pourquoi le Monde, Libé, 20 Minutes, l’AFP, France Info et non le Figaro, les Echos, Mediapart, l’Humanité ou les journaux de la presse quotidienne régionale ? «Evidemment il n’est pas question de censure mais ce gouvernement invente la certification, critique Boris Vallaud, porte-parole du Parti socialiste. Ce qui interroge c’est d’ailleurs moins ceux qui y sont que ceux qui n’y sont pas et les raisons pour lesquelles ils n’y sont pas.»
Mais il n’y a pas que le choix des médias qui peut générer du malaise : mettre des éléments d’information écrits par des journalistes sur un site dédié à la communication du gouvernement risque, en ces temps de défiance des pouvoirs politiques et médiatiques, d’affaiblir deux paroles censées aider à la manifestation de la «vérité» justement. D’autant plus que, victime de fake news durant la campagne présidentielle de 2017, la majorité a fait adopter en 2018 une loi «contre la manipulation de l’information» très critiquée par les oppositions. «Comme la communication du gouvernement est calamiteuse depuis le début de la crise, ça donne l’impression qu’il essaie de se rattraper aux branches. C’est hallucinant», déplore Delporte. «Quel est l’enjeu du monde de l’information ? La crédibilité, rappelle Patrick Bloche, ancien président (PS) de la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale. Or laisser entendre qu’il faudrait aller sur un site du gouvernement pour trouver cette crédibilité, ça ne peut pas marcher.»
Que répond le gouvernement ?
D’abord, qu’il n’a jamais été question «de classer les médias ou de donner des bons points à des rédactions». Si on retrouve des articles publiés sur les sites de Libé, du Monde ou encore de France Info, c’est parce que les services du SIG ont déterminé, nous dit-on, «trois critères» pour mettre ces articles en lien : des médias disposant d’une rubrique de fact-checking depuis au moins deux ans, d’une équipe spécialisée et diffusant ces contenus en gratuit. Et par ailleurs, si on dit «comprendre» les «critiques» qui peuvent être formulées, on explique au sein de l’exécutif que «l’enjeu sanitaire» est bien plus important. «Quand des gens se retrouvent à l’hôpital parce qu’ils ont lu quelque part que l’eau de javel pouvait les protéger du coronavirus, nous préférons nous appuyer sur les médias, qui sont des tiers de confiance, pour lutter contre les fausses informations», dit-on au sein du gouvernement. Quitte, parfois, à accepter de relayer un article critique sur la gestion de crise par l’exécutif ? Parce qu’elles ne sont pas classées dans les rubriques «fact-checking», les enquêtes sur ces sujets menés par ces mêmes médias (comme celle de Libération sur les masques) ne sont pas recensées par les services du gouvernement. Ce qui ne les a pas empêché de renvoyer vers ce podcast de CheckNews mettant en cause les informations données par le directeur général de la santé, Jérôme Salomon.
A nos lecteurs
Depuis la mi-avril, le gouvernement publie sur son site une liste de liens renvoyant à des articles de presse destinés à réfuter les fake news qui circulent en France à propos de l’épidémie de coronavirus. Cette initiative qui paraît animée d’une intention louable – lutter contre la désinformation – pose néanmoins trois
problèmes.
Les directions des journaux concernés – celle de Libération en tout cas – n’ont pas été informées de cette publication de liens avant qu’elle soit mise en œuvre. Le service CheckNews a seulement été prévenu une fois la page de liens publiée.
Les articles cités sur le site émanent des journaux qui comportent un service dédié de fact-checking, ce qui a pour effet d’en éliminer les autres et introduit une distinction difficile à justifier. Le choix des liens appartient entièrement aux services gouvernementaux, selon des critères inconnus, ce qui pourrait laisser croire au public que le gouvernement s’institue en juge de la qualité de tel ou tel article et appose une estampille officielle sur telle ou telle production journalistique. La communication gouvernementale est une chose, le travail des rédactions en est une autre. Cette publication sans autre forme d’explication risque d’introduire une confusion dans l’esprit des lecteurs, d’autant que sa promotion a été faite par Sibeth Ndiaye, qui occupe le poste très politique de porte-parole du gouvernement. Nous tenons donc à bien préciser que cette initiative ne recouvre aucune forme que ce soit de partenariat entre Libération et les services de communication gouvernementale.
A tout le moins, et en réservant notre jugement sur la suite de l’opération, le site du gouvernement doit avertir très clairement ses lecteurs que cette liste de liens, qui s’apparente à une revue de presse, n’engage en aucune manière les titres concernés quant au choix des articles référencés, choix auquel nous sommes tout à fait étrangers.
Laurent Joffrin directeur de la rédaction de Libération