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Macron dans «Valeurs actuelles»: l’interview qui a tétanisé l’Elysée
L’entretien accordé par Emmanuel Macron à l’hebdomadaire ultraconservateur, paru jeudi, a suscité un vent de panique parmi ses proches. Récit
Dans un entretien de 12 pages à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles paru jeudi, Emmanuel Macron a évoqué les sujets de l’immigration, de l’islam et du communautarisme. Le choix du magazine prisé par la droite ultraconservatrice est une première depuis Jacques Chirac. Il a suscité des critiques nourries, quelques jours après l’attaque à la mosquée de Bayonne.
Un Président doit-il parler à Valeurs actuelles ? C’est la question qui tétanise l’entourage d’Emmanuel Macron lorsqu’il découvre que le chef de l’Etat s’est confié à l’hebdomadaire prisé de la droite dure et de l’extrême droite, dans l’A330 présidentiel, vendredi dernier, lors du vol retour de son voyage dans l’océan Indien. Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, son bras droit, et Philippe Grangeon, son conseiller spécial, ignoraient jusqu’à lundi l’existence de cet entretien. Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, n’en était pas non plus informée.
Dès mardi, l’opération déminage est lancée. Le premier cercle diffuse des éléments de langage aux pontes de la majorité. Vite, préparer les esprits à l’expression présidentielle attendue sur l’immigration, l’islam et le communautarisme : « Le président de la République doit parler à tout le monde sans ostracisme », avancent les macronistes. De la franchise sur les sujets régaliens : « C’est important pour le pays », appuie l’un de ses proches.
Démission. Mais en coulisses, la panique grandit lorsqu’une première version de l’interview commence à circuler. Des députés en reçoivent des échos dans des boucles Telegram de La République en marche... Emmanuel Macron s’épanche, sans filtre. Sur la forme, on y lit des propos peu châtiés du président de la République. Julien Odoul, l’élu RN qui s’en prend à une femme voilée ? « Il s’est fait baiser », lâche-t-il dans l’A330, suggérant que la mère de famille était militante. Sur le fond, il qualifie Eric Zemmour d’homme « intelligent » (contacté, Louis de Raguenel, rédacteur en chef de Valeurs actuelles, refuse de confirmer ces propos).
Catastrophé, le conseiller communication du Président, Joseph Zimet, confie alors à plusieurs interlocuteurs songer à démissionner – il dément aujourd’hui ces propos rapportés de sources concordantes à l’Opinion.
Pour ce moment de confidences, le Président avait accepté l’idée qu’il n’y ait pas de relecture par son équipe, une pratique pourtant usuelle dans ce type d’exercice médiatique. Ces termes de l’échange avaient été négociés en amont entre l’hebdomadaire et le conseiller communication. « C’est OK, vous pouvez tout prendre », confirme Emmanuel Macron lui-même au journaliste invité à bord, Louis de Raguenel. L’accord présidentiel est répété une fois l’enregistreur allumé. Ils sont trois à disposer de cette bande sonore de 41 minutes : l’interviewer, le directeur de la rédaction Geoffroy Lejeune et son numéro 2, Tugdual Denis. Pas l’Elysée.
A la lecture de la première version, l’entourage présidentiel change d’avis. Selon nos informations, il sollicite une trentaine de modifications, que l’on retrouve dans l’édition parue jeudi.
Mais les fuites affolent Christophe Castaner, déjà peu enchanté par cette interview. Le ministre de l’Intérieur y voit une reprise en main élyséenne des dossiers régaliens. Emmanuel Macron y fait plusieurs annonces, comme le délai de carence de trois mois pour les soins accordés aux demandeurs d’asile, que révélait l’Opinion, ou l’objectif de reconduites à la frontière exécutées à 100% d’ici la fin du quinquennat. Le ministre s’inquiète que l’enregistrement soit diffusé, voire monnayé. Surpris, Louis de Raguenel réfute auprès de Beauvau. Castaner l’appelle, le journaliste réitère. « Absolument aucune fuite n’est venue de chez nous, les rumeurs qui suggèrent que nous avons été déloyaux sont fausses, clarifie-t-il. Nous n’avons aucun intérêt à diffuser un tel enregistrement, qui est gardé en lieu sûr. »
Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on ne sait plus sur quel pied danser. L’ancien conseiller en communication Sylvain Fort n’a jamais été favorable à une telle opération. Qu’il ait été en contact régulier avec Louis de Raguenel, depuis que les deux jeunes hommes se sont côtoyés au «groupe Fourtou», un cercle de communicants et de journalistes préparant la réélection de Nicolas Sarkozy en 2012, n’y change rien... Pas plus que l’ex-conseillère presse Sibeth Ndiaye, malgré ses relations cordiales avec VA. Selon plusieurs sources, Emmanuel Macron a décidé seul de l’initiative.
L’« ami Emmanuel ». L’hebdomadaire l’a abondamment mis en scène : ses relations avec le chef de l’Etat sont fluides... et ne datent pas d’hier. En 2007, Yves de Kerdrel, directeur du Journal des finances du groupe Figaro, et Emmanuel Macron, inspecteur des finances, se rencontrent à la commission Attali pour la croissance. Quand Kerdrel dirigera VA, en 2012, il dira dans le Tout-Paris qu’il dispose d’un contact à l’Elysée... son « ami Emmanuel », secrétaire général adjoint de François Hollande. Le magazine décolle et devient la tribune de « toutes les droites ». Il se vend à plus de 100 000 exemplaires, selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias. En 2016, la ligne avec Macron ministre de l’Economie est coupée.
A la même époque, d’autres contacts se nouent. Geoffroy Lejeune, tout nouveau directeur de la rédaction, rencontre le journaliste Bruno Roger-Petit, aujourd’hui conseiller mémoire à l’Elysée. Ils se croisent sur les plateaux télés et assistent ensemble à des matchs de football au parc des Princes. Depuis 2017, l’Elysée suit de près ce que publie l’hebdo conservateur. « Comme le lait sur le feu », témoigne un membre de la rédaction. Emmanuel Macron le lit attentivement. « Et dire qu’on a attaqué François Hollande pour ses confidences à Davet et Lhomme... », soupire un familier du gouvernement, ex-socialiste.