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Guillaume Martin à propos des infiltrations de Nadal : « J'ai du mal à comprendre »
Le grimpeur de l'équipe Cofidis, Guillaume Martin, se dit gêné par le recours aux infiltrations en compétition dans certains sports et plaide pour une homogénéisation des règlements.
Rentré du Tour d'Italie (14e du classement général) la semaine passée, Guillaume Martin a repris le vélo ce week-end et entamé sa préparation pour le Tour de France. Il a suivi les discussions autour du recours par Rafael Nadal à des infiltrations pendant la quinzaine de Roland-Garros et vu le tweet ironique de Thibaut Pinot - "Les héros d'aujourd'hui", posté dimanche soir, alors que cette pratique est interdite en cyclisme. Au téléphone lundi après-midi, le grimpeur de Cofidis nous a livré ses sentiments.
Comment réagissez-vous à l'utilisation par Rafael Nadal d'infiltrations et plus largement sur les différences de règlement entre le cyclisme et les autres sports?
Ce qu'a fait Nadal aurait été impossible dans le vélo, et je trouve ça normal. Si on est malade ou blessé, on ne court pas, on ne fait pas de compétition, ça me semble du bon sens. Pour plusieurs raisons. En premier lieu, pour la santé des athlètes. Sur le long terme je ne suis pas sûr que cela fasse du bien à la cheville de Nadal. Et en plus, les médicaments et encore plus les infiltrations n'ont pas qu'un effet de guérison, ça peut certainement avoir des effets sur la performance ou être détourné afin d'améliorer la performance, donc ça me semble très limite.
Par rapport au tweet de Thibaut (Pinot), le meilleur interviewé serait sans doute lui, mais peut-être que ce qu'il veut mettre en avant, c'est qu'il y a les différences de règlements mais aussi des différences de traitement, d'image entre les sports. Si un cycliste fait la même chose, déjà c'est interdit, mais quand bien même ça ne le serait pas, tout le monde lui tomberait dessus en le qualifiant de dopé parce qu'il y a un tel arrière-plan culturel, de tels clichés attachés au vélo. Alors que des gens encensent Nadal pour être capable d'aller aussi loin dans la douleur. Je crois que Zlatan Ibrahimovic a également parlé de ses infiltrations à un genou. Ils passent pour des héros parce qu'ils vont loin dans la douleur, mais en fait, ils s'aident de substances pour aller loin dans la douleur et encore une fois, c'est très limite. Le vainqueur dans le vélo, en particulier celui du Tour, même s'il n'y a aucun élément derrière, il est systématiquement accusé de dopage.
Alors que les règlements antidopage sont plus stricts dans le cyclisme qu'ailleurs...
Parce qu'il y a une histoire, il ne faut pas le nier. Dans les années 1990-2000, je pense que le cyclisme n'était pas un sport très « joli ». Je le répète souvent, mais l'affaire Festina, j'avais cinq ans et aujourd'hui je pâtis encore de ça dans l'image. Il serait peut-être temps de passer à autre chose. Le cyclisme s'est construit justement peu à peu par rapport à cette histoire négative et donc il a fallu montrer qu'on lavait plus blanc que blanc. C'est pour ça que ce règlement est un peu plus poussé. Il y a un certain nombre d'équipes qui font partie du MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible) qui vont même encore plus loin (en interdisant notamment totalement les corticoïdes en compétition), il y a cette volonté de renverser les clichés mais manifestement il y a encore du boulot.
Avez-vous connu une expérience personnelle où vous avez eu des difficultés à vous soigner correctement en course en raison de ce règlement ?
En vérité, je ne me suis même jamais posé la question, mais c'est vrai qu'avec le recul, j'ai eu comme beaucoup de cyclistes des tendinites à un genou. J'ai couru tout un Tour de Catalogne puis un Tour de Sicile avec une tendinite, j'avais mal, je ne savais pas si j'allais pouvoir finir l'étape ou repartir le lendemain. ç'aurait peut-être été plus facile avec une infiltration mais je ne sais même pas en fait.
Vous devez être très vigilant avant de prendre le moindre traitement...
C'est un peu une routine qui s'est mise en place, même depuis les catégories jeunes. Dès les rangs juniors, on m'apprenait, avant de prendre n'importe quel médicament, à faire plusieurs vérifications. A demander au médecin de vérifier que ce n'était pas dopant, au pharmacien ensuite, à vérifier soi-même grâce au site de l'AFLD où il y a une barre de recherche. Il y a plusieurs garde-fous pour éviter de prendre un médicament dopant sans le savoir. Donc oui, on fait attention.
Mais du coup, comprenez-vous qu'il y ait de telles différences de pratiques entre les sports ? Si on prend par exemple simplement l'exemple des infiltrations...
J'ai du mal à comprendre, effectivement. Je plaide pour une certaine homogénéisation des règlements entre les différents sports. Le tennis, par exemple, a des paramètres assez similaires avec le vélo, c'est un sport d'endurance avec des accélérations, donc je pense que les mêmes produits peuvent avoir un effet dopant. Dans ce cas-là, je ne vois pas pourquoi il y aurait des règlements différents. Il y a une part d'endurance dans le tennis, dans le foot, et de toute façon, il y a eu des cas de dopage avéré dans ces sports, donc c'est qu'il y avait un intérêt. Le MPCC édite assez régulièrement des statistiques et en nombre d'athlètes positifs par rapport au nombre de contrôles, le cyclisme arrive très loin derrière beaucoup d'autres sports.
Peut-il y avoir une autre définition du dopage qu'une définition purement réglementaire ? Une approche plus philosophique ou éthique ?
C'est une grande question, que je me suis souvent posée. Le règlement antidopage de l'UCI (Union cycliste internationale), pour moi, c'est un minimum. Il y a plein de choses qui sont autorisées et que moi je m'interdis. C'est toute la question des zones grises, des détournements de certains médicaments qui sont normalement utilisés pour soigner des cancers, des scléroses en plaque par exemple. Je me vois mal prendre ce genre de choses pour être un meilleur cycliste. Pourtant c'est autorisé. Les agences antidopage ont toujours un temps de retard, donc je ne pense pas qu'il faille attendre qu'elles se positionnent pour adopter ses propres positions. C'est à chacun de se construire sa propre éthique. J'accepte que parfois mes résultats soient moins bons parce que je suis cette éthique, mais néanmoins je reste cohérent avec moi-même et je me satisfais de ça.
Justement, pour vous, personnellement, où commence le dopage ?
C'est très compliqué. Si on dit, le dopage, c'est ce qui est mauvais pour la santé, il y a un contre-argument facile : faire du sport à très haut niveau, ce n'est pas bon pour la santé et certains dopés peuvent assurer que justement, ils se font moins mal et ils usent moins leurs organismes en se dopant. C'est l'argument imparable. Dire que la limite est entre ce qui est interdit et autorisé, ça ne me semble pas non plus le bon critère. Donc c'est plus une question d'éthique personnelle, se dire est-ce que j'ai besoin de prendre du paracétamol pour faire une course de vélo ? C'est quoi le sens de tout ça ? Pour moi, ça perd tout son sens si on commence à détourner des substances.
Pour vous, le dopage peut commencer avec un cachet d'aspirine, s'il n'est pas nécessaire...
Oui. La démarche de se dire que je vais prendre un comprimé pour être meilleur, ça me gêne. »