par Gastibelza » 26 Nov 2019, 20:50
Un petit mot sur J'accuse de Polanski. Le sujet pouvait être piège car même en étant un minimum informé, c'est pas compliqué de prendre connaissance du récit et de son dénouement. Ne serait-ce qu'en allant sur Wikipédia. L'autre piège résidait pour moi sur la tentation de se centrer sur Dreyfus et d'en faire une figure christique à la sauce hollywoodienne.
Mais Polanski est un excellent réalisateur. La sobriété de ses plans, la manière de rendre compte de l'ambiance feutrée des salons où se déroule l'intrigue, le langage soutenu des personnages donnent un sentiment de civilité dans lequel pointe une brutalité effrayante. L'idée de faire de Picquart, l'homme de l'intérieur qui dévoila l'injustice, le personnage central est judicieux. Pas de pathos, ni d'effets tonitruants : juste le parcours d'un homme antisémite, militaire et patriotard jusqu'à l'os qui n'écoute que sa conscience pour faire éclater l'affaire. Dujardin est habituellement cabot mais la sobriété lui va bien même si on s'attend parfois à ce qu'il parte dans une diatribe pleine de gouaille quand on oublie de faire abstraction de ses précédents rôles.
Le contexte est bien restitué bien qu'une vision plus développée des deux camps dans les champs médiatiques ou politiques (Dreyfusards et antidreyfusards) n'aurait pas été de trop. En tout cas, ce voyage au cœur de la raison d'Etat et du secret militaire fonctionne bien. Le film s'inscrit dans une continuité historique intéressante en montrant le niveau d'imprégnation de la société française à l'antisémitisme et la manière dont la démocratie fabrique des monstres au nom de l'intérêt supérieur de l'Etat. Autant d'éléments qui annoncent les régimes d'extrême-droite qui vont prendre le pouvoir en Europe.
Je n'ai plus que de vagues souvenirs du film d'Yves Boisset sur le sujet. Il me semble que c'était plus militant et pédagogique quand Polanski fait preuve de plus de subtilité. La fin, que je ne révèle évidemment pas, est à ce titre remarquable dans ce qu'elle dit de cette incroyable cicatrice qu'est l'affaire Dreyfus pour la République française. D'ailleurs, Boisset avait été emm*rdé pour tourner son film. On était dans les années 90...
Donnez-moi vos pauvres, vos exténués,
Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,
Les rebuts de vos rivages surpeuplés ;
Envoyez-les moi, les déshérités que la tempête m’apporte.
J’élève ma lumière et j’éclaire la porte d’or
Emma Lazarus